«Les déclarations d’Aït Hamouda ne justifient pas des poursuites judiciaires»
La décision du parquet de Sidi M’hamed de placer l’ex-député Nordine Aït Hamouda sous mandat de dépôt a surpris bien plus que son arrestation samedi à Tichy, où il avait tenu une conférence. Le fils du Colonel Amirouche est poursuivi pour des griefs lourds, à savoir «atteinte aux symboles de l’Etat et de la Révolution», «atteinte à un ancien président de la République», «atteinte à l’unité nationale», «incitation à la haine et discrimination raciale».Des accusations «trop gonflées», estime Me Boudjema Ghechir, avocat et ancien président de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADH). Pour lui, la lecture «personnelle» qu’a faite Aït Hamouda sur des personnalités historiques, notamment l’Emir Abdelkader qu’il accuse de trahison, relève des libertés académiques, d’autant qu’Aït Hamouda s’est présenté comme chercheur en histoire. «Peut-être qu’on peut débattre avec lui et le contredire en restituant le contexte historique sans lequel on ne peut comprendre objectivement la démarche de l’Emir. Mais cela ne doit pas justifier des poursuites pénales, parce qu’il s’agit d’une opinion qui doit être contrée par une autre opinion», a-t-il expliqué dans une déclaration faite à El Watan. L’affaire a été déclenchée, jeudi 17 juin, suite à la diffusion par la chaîne Al Hayat TV d’un entretien dans lequel Nordine Aït Hamouda tient des propos très critiques à l’endroit de personnages historiques canonisés par le roman national, notamment le défunt président Boumediene et l’Emir Abdelkader. Ses déclarations controversées ont provoqué une onde de choc au sein de l’opinion publique et suscité une avalanche de réactions, y compris de la part d’universitaires.
La première réaction officielle est venue de la part de l’Autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV) qui a privé Al Hayat TV d’antenne pendant une semaine, comme mesure conservatoire en attendant de trancher sur son avenir. Mais l’affaire a vite pris de nouvelles proportions avec l’arrestation, samedi, d’Aït Hamouda, mais aussi de Habet Hannachi, directeur et propriétaire de la chaîne. Ce dernier a lui aussi été arrêté samedi. Une arrestation qui a divisé l’opinion, surtout les journalistes. A ce sujet, Me Ghechir considère qu’«on ne peut pas poursuivre un journaliste ou un média en justice pour des sujets ouverts qui rentrent dans les libertés académiques. Il a juste l’obligation d’ouvrir son média aux avis différents». En revanche, dit-il, «si l’on devait poursuivre Habet Hannachi, ce serait pour toutes les précédentes déviations, sa chaîne étant devenue un forum des dénigrements». Et encore, cela ne relève pas de la justice, mais de la responsabilité de l’ARAV, indique le même juriste. «L’ARAV ne devrait pas traiter ces cas de manière sélective. Hannachi a attaqué des dizaines de personnalités, il a traité des dossiers en justice sans en connaître le contenu, etc. et n’a jamais été dérangé. Alors s’il continue de dévier, c’est à cause du laxisme de l’ARAV», affirme Me Ghechir. L’incarcération de Nordine Aït Hammouda soulève d’autres questionnements, notamment concernant le grief d’«incitation à la haine et discrimination raciale». Pour des propos franchement racistes et dénigrant les Algériens de Kabylie, prononcés récemment et avec récidive, le sénateur FLN Abdelouahab Benzaïm n’a pas été inquiété, malgré la polémique qu’il a soulevée et la vague de condamnations de ses propos. Et pas seulement lui. Naïma Salhi a créé de sérieux problèmes aussi en prêchant la haine raciale, alors qu’elle était députée. Elle n’a jamais été inquiétée. «Cette politique du deux poids deux mesures n’est pas croyable dans un Etat qui veut tourner la page et entrer dans un nouveau système avec des promesses de liberté et de démocratie. Si on veut mettre fin à certains comportements dangereux pour l’unité de la nation, il faut traiter ces gens avec la même démarche sans être sélectifs», souligne encore notre interlocuteur. Par ailleurs, Me Ghechir distingue entre l’incarcération de Nordine Aït Hamouda et l’intensification des arrestations dans les rangs du hirak et celles des encadreurs et des personnes solidaires avec les détenus d’opinion. «Je ne pense pas qu’il ait été arrêté en tant que démocrate, mais simplement pour calmer les esprits, sachant que ses déclarations ont dérangé beaucoup d’Algériens et créé une vive polémique», a-t-il expliqué à El Watan.