AUX ORIGINES DE LA CRISE
Les Algériens renouent avec le rationnement de l’eau potable et son lot d’installation de citernes et de remplissage de jerricanes. Une situation que les responsables de la gestion des ressources en eau imputent à une faible pluviométrie ayant eu de graves conséquences sur le niveau de remplissage des barrages. Celui-ci se situerait, à en croire l’Agence nationale des barrages et transferts (ANBT), à une moyenne de 44% seulement. Comment en est-on arrivé là ? Le problème de l’eau en Algérie est-il imputable à la croissance démographie ? Au gaspillage ? Au prix de l’eau (subventionné par l’Etat) ? A la mauvaise gestion et une absence de stratégie ? Aux fuites récurrentes ? A la mal répartition naturelle des eaux ? A la formation ? A la recherche ? A la sensibilisation ? A l’économie ? Aux textes réglementaires ? En réalité, tous ces facteurs participent, selon les spécialistes, à aggraver la situation.
UNE SITUATION PRÉOCCUPANTE
D’abord, la situation géographique de notre pays est de nature à favoriser un déficit permanent d’eau. L’Algérie, pays semi-aride, figure à la 29e place du classement de 2019 établi par l’organisation World Ressources Institute sur les pays confrontés à la sécheresse. En plus d’un déficit pluviométrique chronique, l’étroitesse de la bande tellienne du Nord, renfermant les principales réserves d’eau de surface dans six bassins hydrographiques, les forages sauvages et la surexploitation de la nappe phréatique pour les besoins agricoles, essentiellement, sont les principaux éléments qui aggravent le déficit permanent d’eau. «Pour faire face à des besoins croissants, l’Algérie dispose de ressources naturelles limitées dont l’irrégularité et l’inégale répartition compliquent singulièrement les travaux de prévision et de planification nécessaires à une bonne gestion. Les effets probables du changement climatique rendront cette situation encore plus difficile», soulignent Mohammed Benblidia et Gaëlle Thivet dans une étude intitulée «Gestion des ressources en eau : les limites d’une politique de l’offre».
La quantité d’eau dont dispose l’Algérie aurait pu suffire, selon les spécialistes, si elle avait été bien gérée. Bien sûr, une attention particulière a été accordée au secteur de l’eau ces dernières années de la part des pouvoirs publics, qui lui ont consacré des moyens importants pour pallier les déficits hydriques. Evidemment, le dessalement d’eau de mer, la construction de nouveaux barrages, la réalisation de grands transferts régionaux et de grandes adductions urbaines et agricoles ont été d’un grand secours, permettant d’augmenter nettement le volume des ressources en eau mobilisées et d’améliorer les conditions d’approvisionnement. «La politique du secteur de l’eau adoptée par l’Algérie depuis une vingtaine d’années, à travers un investissement colossal en infrastructures hydrauliques (+60 milliards), le dessalement et l’épuration des eaux, nous a permis de nous doter certainement d’une bonne maîtrise des ressources en eau, avec une satisfaction des besoins en eau potable et en irrigation acceptable, mais insuffisante. «L’Algérie est donnée comme un exemple mondial en la matière.» Néanmoins, on déplore «l’absence d’investissement sur l’humain», explique le consultant international Ahmed Kettab. Aussi l’efficacité de ces efforts reste-t-elle limitée tant le service de l’eau demeure lacunaire dans la plupart des villes. Il est à déplorer des défaillances dans le système de distribution liées essentiellement à la vétusté des réseaux d’adduction qui entraînent une fuite phénoménale allant jusqu’à 50% des volumes d’eau distribuée. Les taux de raccordement des populations à des systèmes d’alimentation en eau et d’assainissement (respectivement 93% et 86% à l’échelle nationale) sont très élevés dans les agglomérations. Mais la régularité et la continuité de la distribution, objectifs principaux de l’ADE, ne sont atteintes que dans un nombre restreint de villes. Et dans bien des cas, on ne peut pas incriminer l’insuffisance des ressources disponibles.
Une partie seulement de l’eau potable produite est réellement distribuée aux usagers en raison des nombreuses fuites. «Le taux des pertes est très important, atteignant dans certains cas 50%», précisent Mohammed Benblidia et Gaëlle Thivet.
Le fait est que les efforts des pouvoirs publics se sont concentrés essentiellement sur la mobilisation de nouvelles ressources à travers la mise en place de grands ouvrages (ce qui en soi est louable), mais en faisant passer les réseaux déjà en place au second plan. Résultat : la gestion de nos ressources se caractérise par l’état défectueux des réseaux et par une exploitation technique et commerciale mal maîtrisée. «Les actions qui permettent d’assurer la continuité et la qualité du service public de l’eau, à savoir la réparation des réseaux, la réduction des fuites et des gaspillages, l’organisation et la modernisation des systèmes de gestion, la formation des personnels d’exploitation, passent bien souvent au second plan des préoccupations des gestionnaires par rapport à la construction de nouvelles infrastructures. Or, ces opérations qui procèdent de ‘‘la gestion de la demande’’ devraient être, dans bien des cas, privilégiées par rapport à la réalisation de nouveaux ouvrages de mobilisation et d’adduction, autrement dit, par rapport aux actions d’accroissement de ‘‘l’offre’’», écrit encore le duo Benblidia-Thivet.
Certes, il serait injuste d’affirmer qu’aucune amélioration n’a été apportée par les services des ressources en eau (ADE en tête), notamment en matière de réparation et de renouvellement des réseaux d’adduction et de distribution d’eau potable. Mais la tâche est immense et les services de l’ADE ne disposent pas des moyens nécessaires pour effectuer un saut quantitatif et répondre pleinement aux besoins des populations.
L’autre problème – récurrent dans tous les domaines en Algérie – réside dans le manque d’anticipation et de recherche de solutions nouvelles pour sortir de cet embarras. Le constat est connu depuis fort longtemps : la sécheresse intense et persistante observée en Algérie a un impact négatif sur les régimes d’écoulement des cours d’eau, le niveau de remplissage des réservoirs des barrages et l’alimentation des nappes souterraines. Les premières estimations quantitatives, encore très approximatives, situent la réduction des débits d’oueds à une valeur moyenne de 15% à l’horizon 2030. Or, en dehors de la construction des infrastructures – barrages et usines de dessalement d’eau de mer – peu d’actions ont été entreprises dans la prospection et la mise en place de nouveaux moyens de captage des eaux de surface. La réutilisation des eaux usées épurées pour l’irrigation reste – bien que figurant parmi les priorités des responsables du secteur –extrêmement minime. Celle-ci nécessite la mise en oeuvre préalable d’un important programme de développement de l’assainissement et de l’épuration des eaux. D’ores et déjà, l’on annonce un objectif de production de 900 millions de mètres cubes d’eaux épurées/jour à l’horizon 2025, dont 65% destinés à l’irrigation. Les solutions existent, l’expert Ahmed Kettab nous cite une liste – non exhaustive, dit-il – de pas moins 46 propositions afin de ne pas avoir à subir des situations difficiles dans les prochaines années et sortir du cercle vicieux du rationnement et des crises à répétition. La gestion du capital hydrique ne peut tolérer aucun «bricolage» ni «fautes de gestion» car il y va aujourd’hui de notre survie.