El Watan (Algeria)

Les dessous de la rencontre Saïed-Ghannouchi

L Rencontre du président de la République, Kaïs Saïed ,avec celui du Parlement, Rached Ghannouchi, après plusieurs mois de rupture l Léger espoir de faire bouger les lignes politiques dans une Tunisie en pleine crise, politique, économique et financière,

- Mourad Sellami De notre correspond­ant

Les récentes semaines ont vu le président tunisien, Kaïs Saïed, rencontrer de nouvelles figures, hors du paysage politique traditionn­el. Le palais de Carthage a vu passer Lotfi Zitoun, l’ex-conseiller du président de l’Assemblée, Rached Ghannouchi. Une autre figure, réputée proche du président tunisien lors de sa campagne électorale en 2018/19, Ridha Chiheb Mekki, alias Ridha Lénine, a été également accueilli au palais présidenti­el. Le président Saïed a clairement élargi le spectre de ses concertati­ons et il a rencontré, entre autres, le président de l’Assemblée, l’islamiste Rached Ghannouchi, une première après plusieurs mois de rupture.

Le communiqué officiel sur la rencontre du président Saïed avec l’islamiste Ghannouchi n’a pas été accompagné de la vidéo classique du Président donnant une leçon politique. C’est juste un petit communiqué de trois lignes évoquant cette rencontre au palais de Carthage et disant qu’elle s’est tenue en marge de la Fête nationale de l’armée à laquelle ont été invités le chef du gouverneme­nt, Hichem Mechichi, et le président de l’Assemblée, Rached Ghannouchi. Le président Saïed s’est juste entretenu avec Ghannouchi. Mechichi n’a pas été invité à cette rencontre. Il s’agit, semble-t-il, d’un entretien marquant le dégel des relations entre le camp Saïed et les islamistes d’Ennahdha. Ces derniers essaient, par tous les moyens, de renouer avec la présidence de la République, afin de l’associer à une quelconque dynamique économique et financière, en ces temps de crise.

Pour sa part, le président Kaïs Saïed s’est dernièreme­nt retrouvé dos au mur après ses déclaratio­ns hostiles au Dialogue national de 2013/14, qui a enfanté la Constituti­on du 27 janvier 2014 et les élections générales d’octobre 2014. Lesquelles déclaratio­ns ont déplu à l’UGTT, le principal allié apparent du président Saïed, à un moment où les acteurs en Tunisie sont plutôt appelés à s’unir. Le président Saïed a donc tenté de passer en revue les options politiques qui s’offrent à lui, en ces temps de crise. Il s’est rappelé de son ami «Ridha Lénine», qui l’a accompagné à travers la République durant la campagne électorale. Pourtant, ce dernier a été longtemps sciemment écarté de la sphère proche du Président. Kaïs Saïed s’est permis le luxe de raconter avec son ami leurs aventures, durant la campagne électorale, quand ils n’avaient pas le prix d’un café, alors que «certains» parlent de financemen­ts de millions de dollars. Une bouffée d’air frais «populiste» à laquelle s’est greffée la rencontre avec Ghannouchi, pour dire que le président Saïed n’écarte aucune alternativ­e.

Toute la sphère politique, tunisienne et internatio­nale, a tenté d’examiner les dessous de la rencontre Saïed/Ghannouchi. Plusieurs commentate­urs se sont interrogés si jamais il serait possible d’assimiler cette rencontre à celle de Paris (août 2013) entre le défunt Béji Caïd Essebsi et le même Ghannouchi. Le rédacteur en chef du quotidien arabophone Al Maghreb et chroniqueu­r sur Radio Mosaïque, Zied Krichen, a constaté que rien n’a filtré de la rencontre Saïed/Ghannouchi, tout comme la rencontre de Paris. Néanmoins, l’analyste pense que «c’est juste une bouffée d’air frais pour le président Saïed, qui ne saurait signer son suicide politique avec une éventuelle alliance avec les islamistes d’Ennahdha». Pour Krichen, «les islamistes n’ont que l’abîme à proposer à Saïed avec le plan de réformes structurel­les du FMI, que le président de la République, le défenseur des pauvres, ne saurait accepter».

La vétérane du quotidien arabophone Assabah, Essia Atrouss, s’est interrogée, quant à elle, sur le timing de cette rencontre, privilégia­nt la piste d’un détourneme­nt de l’attention du public en ces temps de crise générale que traverse le pays. Essia Atrouss appelle carrément à des élections générales anticipées, puisque les élus actuels ne sont pas parvenus à faire sortir le pays de sa crise. Cet appel est par ailleurs relayé par de plus en plus de personnali­tés publiques, comme Samir Majoul, le président de la centrale patronale, ou Sami Tahri, le porte-parole de l’UGTT. «Faute de solution, il est impératif de remettre la décision au peuple», explique Tahri à El Watan. Néanmoins, le syndicalis­te pense que «les politiques en Tunisie sont des durs à cuire et n’acceptent pas facilement de rendre le tablier». C’est dire que la rencontre Saïed/Ghannouchi ne semble pas ouvrir de nouveaux horizons, car la crise ne se limite pas au volet politique.

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