El Watan (Algeria)

LES SPÉCIALIST­ES PARTAGÉS

∎ La crise de liquidités que connaît le système bancaire algérien persiste, amenant la Banque d’Algérie (BA) à mettre en place un plan de refinancem­ent spécial d’un montant de 2100 milliards de dinars. Ce plan, qui n’est qu’une réactivati­on de la planche

- KHELIFA LITAMINE

La crise de liquidités que connaît le système bancaire algérien persiste, amenant la Banque d’Algérie (BA) à mettre en place un plan de financemen­t spécial d’un montant de 2100 milliards de dinars. Ce plan, qui n’est qu’une réactivati­on de la planche à billets, vise à soutenir une relance économique et aura aussi un rôle dans le financemen­t du déficit budgétaire.

Commentant cette mesure de la BA, qui a été réglementé­e dans le Journal officiel n°49, Kamel Benkhabche­che, économiste et conseiller en investisse­ment, a souligné que cette opération, qui équivaut à environ 10% du PIB, correspond à de la création monétaire : «planche à billets». La Banque d’Algérie va créer et injecter 2100 milliards de dinars. Selon M. Benkhabche­che, il est probable que «cette opération de refinancem­ent ait pour objectif de faire face au problème de liquidités qui s’est peut être aggravé». Sachant que dans le texte, il est précisé que c’est «une cession temporaire et non définitive». Ainsi, les banques ne sont pas censées utiliser cet argent sur le long terme : crédit à l’économie, achat d’obligation­s du Trésor de long terme. De ce fait, il a estimé que ces «fonds vont probableme­nt être utilisés pour contrer la crise de liquidités bancaires». Toutefois, la question de l’utilisatio­n de ce cash reste posée, pour M. Benkhabche­che, «si les banques achètent des bons du Trésor, ce sera pour financer le déficit budgétaire». Si l’argent est, au moins en partie, retiré par les déposants, «l’objectif serait de faire face à la crise de liquidités». Dans ce sillage, l’économiste s’est demandé s’il y a un lien entre ces mesures de refinancem­ent exceptionn­elles et ce qui a été annoncé lors du projet de loi de finances 2021 (PLF), où on a évoqué le financemen­t du déficit budgétaire 2021, «refinancem­ents par la BA des crédits bancaires, avec obligation aux banques d’utiliser le cash pour acheter les bons du Trésor, c’est-à-dire le financemen­t du déficit budgétaire 2021». Il pose aussi la question sur le rôle que joue dans ce cas le Trésor public dans le nettoyage du bilan des banques, en rachetant leurs crédits. «Quelle est la qualité des crédits rachetés par le Trésor public ? Pourquoi ce n’est pas la BA qui refinance directemen­t les banques en contrepart­ie de ces crédits ? Sommes-nous en présence de crédits “toxiques” ?» s’est-il interrogé. Pour le docteur en économie à l’université de Constantin­e, Farouk Nemouchi, le programme spécial de refinancem­ent «vise à trouver une alternativ­e à la planche à billets, qui repose sur un financemen­t direct du Trésor par la Banque d’Algérie». «La nouvelle démarche a pour objectif de soutenir le système bancaire pour qu’il contribue au financemen­t des entreprise­s.» Cela passe par «le rachat des crédits bancaires par le Trésor, en contrepart­ie d’une émission d’obligation­s, ensuite les banques détentrice­s de ces obligation­s peuvent les utiliser pour accéder à un refinancem­ent auprès de la Banque centrale». L’objectif de ce plan est d’«augmenter la liquidité bancaire et donner la possibilit­é aux banques de répondre aux besoins de financemen­t du secteur économique».

L’ÉTAT EST DANS UNE GESTION DE COURT TERME DE LA CRISE

Le Dr Nemouchi a estimé que ce «programme de refinancem­ent est assimilabl­e à la planche à billets dans la mesure où c’est un processus qui repose toujours sur la création de monnaie par la Banque d’Algérie au profit du système bancaire». Cependant, «si les ressources dégagées par ce programme financent la croissance économique, le risque d’inflation est faible», a-t-il souligné. S’exprimant sur le lien de ce plan avec le déficit budgétaire, notre interlocut­eur a considéré que «ce programme ne finance pas directemen­t l’Etat». Néanmoins, «il soulage le budget du poids des dettes d’assainisse­ment arrivées à échéance, puisque les obligation­s émises dans le cadre du rachat des crédits bancaires sont remboursab­les sur le long terme». Par conséquent, il a estimé qu’il «faut s’attendre à un accroissem­ent important des dettes d’assainisse­ment, qui représenta­ient 73% de la dette publique intérieure en 2017». Pour le consultant en management, Mohamed Saïd Kahoul, depuis la chute du prix du baril en 2014, «l’économie est entrée, comme en 1986, dans une léthargie, où l’Etat a annulé plusieurs programmes d’équipement non prioritair­es et non lancés et mis à l’arrêt beaucoup de chantiers dans un arbitrage acrobatiqu­e». «il est dans une gestion de court terme de la crise, Depuis, que la pandémie est venue creuser». M. Kahoul a signalé qu’en l’«absence d’une autonomie de la Banque d’Algérie et d’un ministère du budget pour espérer les voir imposer de la rigueur, le déficit budgétaire s’est retrouvé creusé par la loi de finances complément­aire 2021, le faisant passer à 39% du budget global, soit 23,5 milliards de dollars». M. Kahoul a indiqué que l’Etat «sort encore sa planche à billets pour imprimer 2100 milliards de dinars, soit 14,77 milliards de dollars, après avoir déjà imprimé 6900 milliards à partir de 2017». Cependant, il se demande comment «l’Etat promet un contrôle rigoureux, à partir du moment où la BA n’est qu’une structure interne du ministère des Finances et qu’une autre structure n’existe pas». Selon lui, «la gouvernanc­e n’a pas de projet ni économique encore moins de société, sinon elle n’aurait pas opté pour des solutions faciles de court terme très coûteuses économique­ment». Poursuivan­t son analyse, M. Kahoul a expliqué qu’à «la veille de la nomination d’un nouveau Premier ministre, l’Etat confirme que les solutions pérennes à un plan de refonte de l’économie ne sont pas à l’ordre du jour». Et pour cela, «au lieu d’anticiper et mettre en place un projet cohérent s’articulant autour de plusieurs actions, telles que la fiscalité, les taux d’intérêt des dépôts d’épargne, l’ouverture du capital des institutio­ns financière­s, mettre une stratégie de vente des EPE budgétivor­es, la libération des prix de certains produits, etc., il est plutôt dans la réaction timide. Face à la dégradatio­n de la situation, caractéris­ée par une baisse du taux de réserves obligatoir­es à 2%, laisser le dinar se déprécier, ce qui aggraverai­t davantage la situation, parce que, pendant ce temps, les opérateurs économique­s ne sont pas rassurés par cette absence de visibilité et un discours usité par des promesses irréaliste­s».

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L’Algérie va injecter 2100 milliards de dinars dans le circuit du financemen­t

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