La lettre de Houria
Après trois Lexomil qui n’ont pas fait d’effet, elle s’est mise à écrire : «Rien ne me donnait envie de me lever ce matin, mais le bruyant surpresseur du voisin m’a obligée à quitter le lit et mes rêves de bonheur flottant. Le temps d’émerger et de constater que je suis encore ici, l’eau avait quitté la maison pour ailleurs, probablement vers les quartiers riches de la ville, alors que, logiquement, ils ont de l’espace et de l’argent pour acheter une citerne ou construire une bâche à eau, c’est à eux qu’il faudrait couper le précieux liquide. En prenant mon imbuvable café bas de gamme dans lequel j’ai dû mettre un kilo de sucre pour atténuer son mauvais goût, j’ai fait le calcul : une citerne, un surpresseur, pièces et main-d’oeuvre, 70 000 DA ; où vais-je trouver cet argent ? C’est ce qui m’a fatiguée, ceux qui sont à l’origine de la pénurie d’eau par incompétence, par mauvaise gestion et manquement aux gestes simples de maintenance ont de l’eau 24 heures sur 24. D’une façon générale, ceux qui sont à l’origine de la faillite nationale vivent très bien, d’ailleurs avec les impôts de ceux qui vivent mal. En ce 5 Juillet, Fête de l’indépendance et de la jeunesse, où tant de jeunes sont en prison, on en est à espérer une grâce du roi pour que les prisonniers puissent retrouver leurs familles. D’où vient cette malédiction d’un pays incapable de se construire avec tout ce qu’il a comme ressources naturelles et humaines, tant d’espoirs cassés, de déceptions d’une Nouvelle Algérie et de temps perdu ? Bref, il fait chaud et je ne peux même pas nager sans m’habiller d’un scaphandre, alors que je vis au bord de la Méditerranée.» Houria a roulé sa feuille dans une bouteille vide d’huile d’olive pour la jeter à la mer. Mais il n’y avait pas d’eau, les responsables ayant réussi l’exploit de vider même la mer. La bouteille s’est brisée et un rat de passage a dévoré le message. Houria s’est dit que c’était le moment de se suicider, mais après réflexion, a décidé d’attendre le 5 Juillet prochain.