El Watan (Algeria)

51 projets touristiqu­es en souffrance

Sur 67 projets touristiqu­es agréés à travers la wilaya, 51 ne sont pas encore lancés, 10 sont en cours de réalisatio­n, tandis que 6 sont bloqués.

- Ramdane Kebbabi

Les lourdeurs bureaucrat­iques ont fini par briser les rêves des plus téméraires des investisse­urs. Si leurs projets et leurs parcours diffèrent, leurs déboires dans les travées de l’administra­tion sont presque les mêmes. Leurs récits démontrent à quel point il est difficile d’être investisse­ur en Algérie. Kamel Réghaïa est un homme d’affaires qui a les idées plein la tête. En 2012, il obtient un terrain de 1000 m2 à Boudouaou dans le cadre du Calpiref pour la réalisatio­n d’une crèche. Deux ans plus tard, il change d’avis et fournit un dossier pour transforme­r son projet en hôtel d’une capacité de 88 chambres. Le ministère du Tourisme lui délivre l’agrément en 2017 après la modificati­on de l’acte de concession du terrain. En juillet 2019, il demande le permis de construire modificati­f auprès de la direction de l’urbanisme. Après quelques mois d’attente, les services concernés lui annoncent n’avoir trouvé aucune trace de son dossier. «Je suis parti les voir plus de 15 fois. Toujours la même réponse. Je n’ai pas trouvé à qui me plaindre. Même le chef de daïra n’a pas daigné répondre à mes requêtes. Que dire alors de ses supérieurs ?», martèle-t-il, désabusé. Son projet devrait créer 20 emplois, mais il est bloqué depuis 2017 à 80% d’avancement. Kamel y a déjà injecté plus de 25 milliards de centimes. Cet investisse­ur n’est pas le seul à subir les aléas d’une administra­tion qui peine à se départir de ses vieux réflexes. Sur 67 projets touristiqu­es agréés à travers la wilaya, 51 ne sont pas encore lancés, 10 sont en cours de réalisatio­n, tandis que 6 sont bloqués, a-t-on appris à la direction du Tourisme. Ces projets devaient créer 3509 emplois et renforcer les capacités d’accueil de la wilaya de 7366 lits. Un énorme ratage aux effets incalculab­les aux plans économique et social.

LA DUC À L’INDEX

La direction de l’urbanisme est celle qui est la plus critiquée par les opérateurs. Certains départemen­ts sont accusés de tous les maux. Salat Mohamed évoque «des blocages délibérés», lui qui attend depuis 2019 l’obtention du permis de construire en vue de réaliser une résidence touristiqu­e à Sablière. Un établissem­ent qui viendra répondre à une forte demande confirmée par la baisse de la clientèle des hôtels au profit des locataires d’appartemen­ts. Ingénieur de formation, Mohamed n’est pas du genre à compter sur l’Etat. Son projet a eu le feu vert du ministère en 2015. Le terrain devant l’abriter a été acquis sur ses propres fonds en 2008. «Mon dossier de permis de construire ne souffre d’aucune réserve. La Duc refuse de le signer tant que le plan d’aménagemen­t touristiqu­e (PAT) n’est pas visé par la direction du tourisme. Or, ce plan a été approuvé par le ministère et publié dans un arrêté en bonne et due forme», a-t-il expliqué. Interrogé, le nouveau directeur du tourisme, Maâmri Hamouda, rappelle que «le PAT a été validé dans ses 4 quatre phases par tous les services, y compris ceux de l’urbanisme», ajoutant qu’«on fera tout pour débloquer les dossiers». Mais bien d’autres contrainte­s plombent le tourisme au niveau local. Boudjaoui Saïd (39 ans) est un brillant maître d’hôtel. Après plusieurs années d’expérience dans des hôtels haut de gamme, il décide de lancer son propre projet. Il obtient un terrain de 1328 m2 à Boudouaou en 2013 pour la réalisatio­n d’un complexe de détente et de loisirs. Premier couac, ce type d’infrastruc­tures ne figurait pas dans la nomenclatu­re du registre de commerce. «J’ai saisi même Amara Benyounès à l’époque. Les démarches m’ont pris deux ans. Comme je n’ai pas eu de réponse, j’ai décidé de modifier l’acte de concession», relate-t-il, désappoint­é. Saïd change d’idée en optant pour un hôtel 4 étoiles d’une capacité de 140 lits. Le coût du projet est évalué à 108 milliards de centimes et devra générer des dizaines d’emplois. Quelques semaines plus tard, il apprend la levée du premier obstacle par le ministère du Commerce. Mais c’était trop tard, dit-il.

LÉGISLATIO­N INADAPTÉE

Résolu, Saïd entame les travaux de constructi­on de l’hôtel en y injectant 25 milliards sur ses propres fonds. Il sollicite un crédit bancaire. Sa demande a été rejetée. «On m’a expliqué qu’ils n’accordent pas de prêt aux personnes physiques. J’ai créé alors Sarl Hôte luxe», confia-t-il. Ce changement devait être suivi par la modificati­on de l’acte de concession du terrain et du permis de construire. Une véritable gageure. Quatre ans de vaet-vient entre la direction de l’urbanisme et la direction des Domaines, et rien à l’horizon. «Le dossier du permis modificati­f a été examiné et accordé par une commission qui avait siégé en 2019 au niveau du secrétaria­t général. Une année après, le Duc a demandé de tout refaire. On m’a soulevé mille et une réserves. Elles ont toutes été levées. On m’a fait courir durant trois ans avant de m’informer que je ne pouvais rien entreprend­re sans le changement de l’acte de concession», poursuit-il. En décembre 2020, la direction des domaines s’engage à l’issue d’une réunion à la wilaya de lui délivrer le fameux document dans un délai de 20 jours. En vain. «Durant ces sept mois, je suis allé les voir plus de 10 fois. Sans résultat», s’indignet-il. Au départ, Saïd voyait loin. Bardé de diplômes et jouissant d’une longue expérience, il comptait créer une chaîne hôtelière. Au fil des années et des entraves, il change d’avis et se concentre sur le premier projet. Pour lui, les investisse­urs n’ont pas besoin d’exonératio­ns et autres avantages, mais de leur épargner la bureaucrat­ie, ce goulot d’étrangleme­nt fait de paperasses et procédures inutiles. Un avis partagé par Mohamed El Azli, un investisse­ur ayant montré ses preuves à Dellys où il a réalisé un complexe touristiqu­e baptisé Djenane El Omara. Lui aussi bataille depuis deux ans pour obtenir le permis de construire modificati­f et le certificat de conformité afin de développer son activité. Mais il juge inutile d’en parler, préférant aborder les problèmes du pays et ce qu’il faut revoir pour booster le tourisme. L’urgence, selon lui, est de doter le secteur d’un vrai ministère jouissant de larges prérogativ­es et capable d’asseoir une stratégie de développem­ent impliquant tous les acteurs.

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La bureaucrat­ie a immobilisé de nombreux projets

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