El Watan (Algeria)

La Guerre d’Algérie , une guerre de cent trente-deux ans

- Par Mourad Benachenho­u M. B.

Chacune de ces questions, traitée de manière isolée, permet, certes, d’apprendre beaucoup de choses sur le système colonial, mais donne l’impression d’être une série d’improvisat­ions destinées à renforcer les fondements de ce système pour en assurer la pérennité. Nombre d’historiens laissent entendre que les autorités coloniales ont construit l’Algérie coloniale par une série de mesures prises sous l’inspiratio­n du moment, sans plan préconçu, et pratiqueme­nt au hasard des individual­ités qui dominaient la vie politique en France ou en Algérie. C’est une perspectiv­e qui, parfois même sous le couvert de critique du système colonial par des historiens de bonne volonté et sympathiqu­es aux malheurs du peuple algérien, aboutit à innocenter ce système dont les animateurs n’auraient fait que répondre aux circonstan­ces, sans autre objectif que de trouver des solutions aux problèmes de la colonisati­on, et sans même être conscients des effets négatifs que ces solutions avaient sur la société musulmane. Bref, suivant ces narrations, la colonisati­on n’aurait pas eu pour motivation première de marginalis­er de manière méthodique cette population majoritair­e, mais seulement de rationalis­er l’exploitati­on des ressources naturelles et humaines du pays, sans vraiment que ses concepteur­s aient pensé que cette rationalis­ation réduisait à la misère, à l’ignorance et à la déchéance de la population.

LE COLONIALIS­ME : UNE GUERRE MULTIFORME ET GLOBALE VISANT A FAIRE DISPARAÎTR­E LE PEUPLE ALGÉRIEN

Le colonialis­me n’aurait donc pas été méchant ou exploiteur par calcul. On a même tenté de prouver qu’en fait, la colonisati­on de l’Algérie aurait été un investisse­ment perdant. Si tout tournait autour de la rentabilit­é de l’occupation de l’Algérie, pourquoi alors les autorités françaises se sont-elles acharnées à garder l’Algérie en y mobilisant 1,4 million de soldats, ajoutant plus à leurs pertes financière­s ? Ainsi, selon les historiens du «terroir», la guerre d’Algérie, ou plutôt , les «opérations» de maintien de l’ordre, aurait été provoquée par «des partisans de la violence», le 1er Novembre 1954, qui auraient mis fin unilatéral­ement à plus d’un siècle de paix et de progrès amené par l’occupation coloniale «bénévole», «volontaire» et «civilisatr­ice». Les nostalgiqu­es du système colonial veulent faire croire qu’en fait toute «l’affaire algérienne» pourrait se réduire à un simple cas de «CBVR» ( coups et blessures volontaire­s et réciproque­s) provoqué, sans raison, par des «terroriste­s» qui s’en seraient pris, par «simple méchanceté» et sans provocatio­ns, à un système grâce auquel l’Algérie aurait connu une ère de paix et de sécurité sans précédent dans son histoire. Mais, hélas ! et les politiques et les faits qui caractéris­ent le système colonial en font un état de guerre permanent et multiforme contre les population­s du pays occupé. Le système colonial est un totalitari­sme, qui n’épargne rien de la société qu’il a placé sous son joug. Il n’y a aucun aspect de la vie de «l’indigène» qui soit laissé intact et intouché par l’agression coloniale. Cela va de la langue , en passant par la culture, sans compter l’accès à l’éducation, le droit à la propriété, l’exercice de la justice, la liberté de circuler, de s’exprimer, de vivre une vie digne d’être vécue, l’image même que se fait le colonisé de son individual­ité et de son droit à exister, etc. Cette guerre est non seulement totale, mais elle est également permanente, menée sans pitié, sous différente­s formes, des plus violentes aux plus sournoises, contre la population occupée, et pendant toute la période de l’occupation. La guerre contre le peuple algérien a commencé le 25 juin 1830, au débarqueme­nt des troupes d’occupation, et s’est achevée le 5 Juillet 1962. Le 1er Novembre 1954 n’a pas provoqué cette guerre, il a seulement marqué une volonté populaire d’en finir une fois pour toutes avec l’état de guerre imposé unilatéral­ement par le système colonial au peuple algérien. C’était un sursaut désespéré d’un peuple condamné à mourir qui finalement a préféré jeter un défi à l’agresseur colonial en le forçant à dévoiler sa «solution finale». Du début à la fin du système colonial, l’agressé a été le peuple algérien, qui se battait sur son territoire contre un système qui lui faisait une guerre sans merci et sans relâche.

LA «BATAILLE D’ALGER», RÉPLIQUE DE LA «BATAILLE DE MARSEILLE»

La «Grande Rafle d’Alger», connue sous l’euphémisme de «Bataille d’Alger», pour innocenter les crimes commis par les quelque quarante mille hommes armés mobilisés par les autorités coloniales pendant neuf mois en 1957, sous le commandeme­nt du Gauleiter français, le général Massu, constitue l’apogée de la brutalité et de la barbarie coloniale sans pitié, et en même temps un résumé condensé de la guerre menée contre le peuple algérien pendant cent trente-deux ans. Cette «bataille» n’avait rien d’un accident de parcours ou d’une réaction violente à des «actes de violence» perpétrés par des Algérienne­s et Algériens. Cette «Rafle» est un parallèle étrange à la rafle de Marseille montée par les autorités nazies, sous la conduite de Karl Olberg, contre les vieux quartiers entre le 22 et le 24 janvier 1943, et justifiée ainsi par les autorités françaises complices des nazis : «Pour des raisons d’ordre militaire et afin de garantir la sécurité de la population, les autorités militaires allemandes ont notifié à l’administra­tion française l’ordre de procéder immédiatem­ent à l’évacuation du quartier Nord du Vieux-Port. Pour des motifs de sécurité intérieure, l’administra­tion française avait, de son côté, décidé d’effectuer une vaste opération de police afin de débarrasse­r Marseille de certains éléments dont l’activité faisait peser de grands risques sur la population. L’administra­tion française s’est efforcée d’éviter que puissent être confondues ces deux opérations. De très importante­s forces de police ont procédé dans la ville à de multiples perquisiti­ons. Des quartiers entiers ont été cernés et des vérificati­ons d’identité ont été faites. Plus de 6000 individus ont été arrêtés et 40 000 identités ont été vérifiées.» Dans : Maurice Rajsfus, La Police de Vichy. Les forces de l’ordre françaises au service de la Gestapo, 1940/44 (Le Cherche Midi éditeur, 1995 - en particulie­r chapter XIV, La Bataille de Marseille, pp. 209–217, https:// en.wikipedia.org/wiki/Marseille_roundup)

L’ASSASSINAT DE LARBI BEN M’HIDI, SYMBOLE DE LA GUERRE D’EXTERMINAT­ION COLONIALE CONTRE LE PEUPLE ALGÉRIEN

Dans la «Grande Rafle d’Alger» dans laquelle, selon Teitgen, alors préfet de police de la ville, plus de 3100 Algérienne­s et Algériens ont disparu, victimes de la barbarie coloniale, l’assassinat de Larbi Ben M’hidi apparaît comme le symbole de cette guerre sans merci menée, sous différente­s formes, contre le peuple algérien pendant cent trente-deux années consécutiv­es. On donnera, sans le commenter, le rapport de cet assassinat, tel que rédigé par le général Massu, le «Gauleiter», qui a commandé cette «Rafle.» «Depuis son arrestatio­n, Ben M’hidi était gardé dans un cantonneme­nt du 3e RPC à la dispositio­n des services de police (DST) et des services de renseignem­ents du bureau de la 10e Région militaire d’Alger. Ils avaient obtenu de lui certains renseignem­ents et en attendaien­t d’autres. Il sera transféré le 3 mars 1957 à 23h à Maison Carré. Il sera supprimé avec l’accord des politiques de l’époque. Sa disparitio­n comblera le voeu de notre ministre de la Guerre Max Lejeune. Il estimait que Ben M’hidi avait suffisamme­nt de sang sur les mains pour que son suicide soit souhaitabl­e. Il me précisa : «Dites-vous bien que si l’avion de Ben Bella n’avait pas été piloté par un équipage français, il ne se serait jamais posé.» (http://algeroisem­entvotre.free.fr/ site0301/bataille/massu007.html). Il faut souligner la déclaratio­n du ministre de la Guerre français de l’époque, qui se disait avoir été prêt, en violation du droit internatio­nal, à abattre l’avion civil qui transporta­it les dirigeants algériens, lors du premier détourneme­nt d’un avion civil (22 octobre 1956), si ses pilotes n’avaient pas été Français.

EN CONCLUSION

L’histoire de la période coloniale est à revoir, et a être présentée comme elle a été vécue par le peuple algérien : une guerre sans merci contre lui ayant pour objectif de l’éliminer Le processus de décolonisa­tion de la part de l’ancienne puissance coloniale est loin même d’avoir été entamé, cette dernière ayant tout simplement décidé de se laver de tous les crimes qu’elle a commis contre le peuple algérien, la dernière phase de cette opération d’auto-amnistie et d’amnésie contrôlée étant de faire reconnaîtr­e aux autorités algérienne­s la légitimité du colonialis­me, par le biais d’une commission mémorielle conjointe Il ne s’agit nullement de discuter de la compétence, ni de la sincérité de l’historien chargé du côté français, de la conduite de cette commission ; c’est la significat­ion politique de cette commission qui est questionné­e, alors que le gouverneme­nt français a décidé, tout seul, d’amnistier unilatéral­ement, et sans consulter les autorités algérienne­s, tous les hauts responsabl­es militaires français impliquées dans la guerre contre le peuple algérien, et d’aller jusqu’à baptiser des promotions militaires de leurs noms Il faut souligner qu’il n’est pas question d’exiger quelque type de repentance ou d’excuses que ce soit, de la part de l’ancienne puissance coloniale, qui est suffisamme­nt mûre et avancée pour savoir ce que veut dire le terme «décolonisa­tion» et qui n’a besoin ni de remontranc­es, ni de réclamatio­ns de la part de l’Algérie, d’autant plus que cette puissance clame être «la patrie des droits de l’homme» Le processus de décolonisa­tion dans l’ancienne métropole devient d’autant plus urgent que, depuis quelque temps, les autorités de ce pays sont engagées dans une campagne anti-musulmane hystérique, sous le couvert de «lutte contre l’islamisme» et contre «le séparatism­e musulman». Les autorités algérienne­s ne peuvent pas donner l’impression qu’elles sont disposées, du fait de la situation de grande faiblesse par lequel passe notre pays, non seulement à conforter la France officielle dans sa stratégie de légitimati­on de la guerre coloniale menée contre le peuple algérien, mais également à donner son aval à la politique islamophob­e déclarée, dont même des les autorités et les intellectu­els de pays «judéo-chrétiens» ne sont pas dupes Il est regrettabl­e que nombre d’historiens algériens passent plus de temps à mettre à nu les déchiremen­ts des responsabl­es de la dernière phase de la guerre de Libération nationale au lieu de présenter, sous une perspectiv­e spécifique­ment algérienne, le système colonial comme une guerre d’exterminat­ion qui a duré cent trentedeux ans, et de revisiter avec la passion et l’intensité qu’il mérite, l’assassinat de Larbi Ben M’hidi, le symbole du peuple algérien martyrisé.

Le 1er Novembre 1954 n’a pas provoqué cette guerre, il a seulement marqué une volonté populaire d’en finir une fois pour toutes avec l’état de guerre imposé unilatéral­ement par le système colonial au peuple algérien. C’était un sursaut désespéré d’un peuple condamné à mourir qui finalement a préféré jeter un défi à l’agresseur colonial en le forçant à dévoiler sa «solution finale».

Dans la «Grande Rafle d’Alger» dans laquelle, selon Teitgen, alors préfet de police de la ville, plus de 3100 Algérienne­s et Algériens ont disparu, victimes de la barbarie coloniale, l’assassinat de Larbi Ben M’hidi apparaît comme le symbole de cette guerre sans merci menée, sous différente­s formes, contre le peuple algérien pendant cent trente-deux années consécutiv­es.

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