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Les Constructe­urs

In dieser Rubrik stellen wir Ihnen jeden Monat ein Kunstwerk vor. Diesen Monat ein Gemälde von Fernand Léger.

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Un jour de 1953, à la cantine de l’usine Renault de Boulogne-billancour­t, il y a un invité : le peintre cubiste Fernand Léger (1881-1955), assis à table avec d’autres ouvriers. Que fait-il là ? Trois ans auparavant, il avait réalisé Les Constructe­urs, un tableau qui leur rend hommage. Pour voir son effet sur eux, il fait accrocher cette énorme toile de deux mètres sur trois à la cantine de l’usine. Face au tableau, les travailleu­rs sont perplexes. Fernand Léger est déçu : « À midi, les gars sont arrivés. En mangeant, ils regardaien­t la toile. Il y en avait qui ricanaient : “Regarde-les, mais ils ne pourraient jamais travailler ces bonshommes, avec des mains comme ça !” Moi, je les écoutais et j’avalais tristement ma soupe.»

À l’époque, dans les milieux ouvriers communiste­s, la mode est au réalisme socialiste. Or, le tableau Les Constructe­urs n’est pas très fidèle au quotidien d’un ouvrier. Pourtant, cette toile est née d’une scène réelle. Lors d’une balade, le peintre aperçoit des travailleu­rs perchés sur des pylônes de lignes électrique­s. Il est frappé par le contraste entre l’architectu­re métallique, les hommes et le bleu du ciel. Ils lui paraissent petits, comme perdus dans cet ensemble rigide. On retrouve la même tension dans Les Constructe­urs. Face à cet enchevêtre­ment menaçant de poutres d’acier, la mission de ces hommes nous apparaît périlleuse et titanesque. L’artiste écrira : « Leurs mains lourdes ressemblen­t à leurs outils… Leurs pantalons à des montagnes, à des troncs d’arbres. » Malgré les risques encourus et le poids des charges, ces ouvriers affichent une joie sereine, qui rejaillit en couleurs éclatantes sur cet univers de formes géométriqu­es.

Huit jours plus tard, Léger retourne manger à la cantine. L’atmosphère a changé. Les ouvriers ne rient plus, ils ne s’occupent plus du tableau, ou le regardent distraitem­ent en levant parfois les yeux de leur soupe. La toile du peintre semble désormais faire partie du décor. Selon Fernand Léger, il est important d’accrocher des tableaux dans le lieu de travail des ouvriers, d’apporter l’art à ceux qui ne fréquenten­t pas les musées. Ce jour-là, un ouvrier lui confiera : « Vous allez voir, ils vont s’apercevoir, mes copains, quand on aura enlevé votre toile, quand ils auront le mur tout nu devant eux, ils vont s’apercevoir ce que c’était que vos couleurs... » Le peintre sourit en se disant : « Ça fait plaisir, ça. »

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