EXTRAIT DE TEXTE
2005 – Paris – Terrasse du café Sancerre aux Abbesses.
Il est tard. J’ai 25 ans. Mon oncle Saman est là, […] ma mère aussi. […] Il n’a jamais été aussi bavard. Il a un peu bu.
[…] C’est la première fois qu’il évoque la prison :
« J’ai passé huit ans dans une des pires prisons du monde. […] La première année, je partageais la cellule avec un grand journaliste engagé
[…]. J’étais si fier de partager ma cellule avec lui. Mais cet illustre résistant avait une drôle de manie : il regardait chaque matin le même dessin animé à la télévision. Le dessin animé n’avait rien d’exceptionnel, banal comme il s’en fait tant. […]
Un jour, ne tenant plus, je lui demande pourquoi il regarde ça tous les jours. Ça me surprend qu’un journaliste comme lui […] puisse trouver de l’intérêt à ce stupide dessin animé […].»
L’homme a levé la tête et m’a fixé du regard. Il a souri.
Il m’a répondu lentement : « C’est pas un stupide dessin animé […] Tu vois le personnage de Nouchâbé ? La petite bouteille qui parle dans ce dessin animé, c’est la voix de ma femme.
– La voix de ta femme ?
– C’est son métier, elle est doubleuse. Elle fait la voix de ce personnage et moi, c’est sa voix que j’entends chaque matin. »