LES PETITES BÊTES QUI MONTENT
Es gibt in Frankreich zahlreiche Start-ups, die sich mit der Zucht von Insekten befassen. Wie zum Beispiel bei Ÿnsect, wo der Skarabäus made in France zu Hause ist.
Insekten statt Rinder? Gezüchtet werden die Krabbeltiere schon.
A quelques kilomètres du site de production historique de La Vache qui rit, à Dole, dans le Jura, une ferme d’un nouveau genre est sortie de terre entre deux champs de blé en 2016. Poules, vaches et chevaux ont laissé la place à une horde de scarabées, plus précisément à des ténébrions meuniers et des coléoptères qui affectionnent les farines de céréales. Ici, on trouve ni pâturages ni hectares de blé, mais des murs de plus de 5 mètres de haut en tôle ondulée, qui constituent les 3 000 m2 de l’exploitation. « Ÿnsect we trust » peut-on lire sur les polos des employés, qui sont moins des fermiers avec des bottes en caoutchouc que des ouvriers dans une usine où tout est industrialisé, de l’élevage à l’expédition.
Quatre phases de développement
Dans un premier bloc de l’usine, on fait grandir les insectes. Des dizaines de bacs marron sont empilés les uns sur les autres, formant d’imposantes haies de plastique parallèles. Les scarabées se développent sur un cycle d’environ 60 jours. Leurs effluves sont dominés par l’odeur du son de blé dont ils se nourrissent. L’atmosphère est suffocante : pour faciliter leur croissance (un coléoptère vit jusqu’à 6 mois), les scarabées doivent être maintenus à 27 °C dans une atmosphère humide. « Ils sont enfermés dans leur boîte pendant les quatre phases de leur développement, explique Jean-gabriel Levon, polytechnicien de 34 ans et cofondateur d’ÿnsect. Des oeufs microscopiques sont d’abord immergés dans une farine de céréales. Puis ils deviennent des larves brunâtres qui, pour la plupart, sont tuées et transformées.» Mais, afin d’assurer la continuité de l’élevage, une intelligence artificielle opère une sélection pour choisir les larves les plus vives, qui prendront le rôle de mâles et femelles reproducteurs. Comment ? L’entreprise développe ses propres algorithmes qui analysent la qualité des insectes grâce à divers capteurs de température, de poids et de couleur, ce qui permet d’améliorer la productivité. « Là, les larves choisies
deviennent des nymphes, puis des coléoptères pour pondre de nouveaux oeufs », explique l’ingénieur en brassant les ténébrions comme s’il s’agissait d’anodins grains de blé.
Les larves matures partent en salle de transformation. Elles sont quelque 15 000 par bac, grouillantes, sur un tapis roulant qui les conduit à l’abattage. La start-up a breveté sa machine de mise à mort, qui envoie de la vapeur d’eau chaude sur les insectes. «La notion de souffrance chez les invertébrés est très vague. Ils n’ont pas de coeur, de poumons, de système sanguin. Ils ne respirent pas et n’ont pas les pupilles qui se dilatent. Tous les signaux traditionnels de la douleur sont absents, affirme Jeangabriel Levon. Nous inversons donc la perspective et faisons en sorte de ne pas nous sentir cruels envers ces animaux : la vapeur tue plus vite et de manière plus sûre que le broyage, par exemple. » Enfin, une machine trie la protéine pour séparer les deux produits qui en résultent : la farine et l’huile d’insecte. Et, comme rien ne se perd, les déjections sont vendues comme engrais naturel.
Des nutriments à foison
Mais à qui sont destinées les 15 tonnes de scarabées qui sortent de l’usine chaque mois ? « On développe ces produits pour les animaux de compagnie, les chiens et les chats notamment », explique Antoine Hubert,
ingénieur agronome de 36 ans et PDG d’ÿnsect. «Et, depuis juillet 2017, la Commission européenne a autorisé l’utilisation de protéines d’insectes pour nourrir les poissons d’élevage, ce qui n’a fait qu’agrandir notre marché.» En tant que président de l’ipiff (International platform of insects for food and feed, un groupement de producteurs d’insectes de différents pays), l’entrepreneur fait du lobbying auprès de l’union européenne, car « dans la nature, les poissons et cousins sauvages des poulets (cailles, faisans) mangent des insectes ; notre but est donc de renforcer la naturalité dans le régime des animaux, de réduire la pression sur les ressources marines, de préserver notre santé et notre environnement ». Rien que ça.
«La production d’un kilo d’insectes génère 10 à 100 fois moins de gaz à effet de serre que la production d’un kilo de porc », note d’ailleurs un rapport de la FAO (l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, encadré p. 38), qui conclut avec enthousiasme : « Les insectes fournissent des protéines et des nutriments de haute qualité en comparaison de la viande et des poissons.» Ces petites bêtes sont aussi moins gourmandes : pour produire la même quantité de protéines, l’insecte a besoin de douze fois moins de nourriture et de vingt fois moins d’eau que le boeuf.
Des chips d’insectes
Les fondateurs d’ÿnsect donnent cinq ans au marché de l’insecte pour exploser. Ils s’imaginent à la tête d’usines dans le monde entier et à l’origine d’une production de 150000 tonnes de farine. Autre objectif : l’alimentation humaine. Ÿnsect a développé des produits tests comme les « chips » de molitor (la larve du ténébrion), et Jean-gabriel Levon est déjà amateur de criquets. Les gâteaux à la farine de scarabée et les vinaigrettes à l’huile de coléoptère, bientôt dans nos cuisines ? Pour déjà deux milliards d’êtres humains qui en consomment régulièrement, cela n’a rien d’étonnant.
De plus, « les maladies qui infectent les insectes ne se transmettent généralement qu’entre arthropodes, sans toucher les hommes », explique Frédéric Marion-poll, chercheur associé au CNRS (Centre national de la recherche scientifique français) et professeur à Agroparistech (Institut des sciences et industries du vivant et de l’environnement). « Mais on connaît des insectes – comme les moustiques – qui contaminent les humains. Nous n’avons pas assez de recul pour affirmer qu’une telle pratique en Europe est inoffensive, la communauté
scientifique ne dispose pas de données suffisantes pour répondre aux questions des législateurs européens sur l’innocuité de la consommation d’insectes.» L’ingénieur souligne aussi les risques allergènes, « surtout pour les personnes allergiques aux crustacés, qui le seront a priori aussi aux insectes, ce qui peut poser problème si on inclut des protéines issues d’insectes dans l’alimentation de manière non déclarée ». Chenilles en Afrique centrale, fourmis au Mexique, ou sauterelles en Asie du Sudest : « C’est comme les champignons, il faut aussi savoir ce qu’on mange pour ne pas ingérer une bête qui produit des toxines naturelles ou des molécules chimiques nocives », conclut-il.
Plus optimiste, Samir Mezdour, chercheur lui aussi à Agroparistech, coordonne le projet Désirable – mis en place par les laboratoires de l’inra (Institut national de la recherche agronomique) du CNRS et du CEA (Commissariat à l’énergie atomique). Ce projet vise à générer davantage de données sur la filière et à accompagner son émergence afin, il l’espère, que « la Commission européenne autorise la commercialisation des insectes à l’horizon 2020 pour les hommes ». Rejetant les risques microbiologiques comme communs à toutes les filières de transformation dans l’agroalimentaire, il affirme que « la vraie barrière est celle de l’acceptabilité : comme les cuisses de grenouille ou les sushis, cela demandera beaucoup de temps pour que les scarabées grillés deviennent désirables ». Et qu’on se prenne à les réclamer lorsqu’ils ne seront pas au menu des restaurants.