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LE PIQUENIQUE, QUELLE HISTOIRE !

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En tenue de ville dans un parc parisien, en maillot de bain au bord de la mer, en tenue de randonneur dans les montagnes, peu importe les habits et le lieu : participer à un pique-nique est un moment de liberté. On oublie les convention­s. On picore avec les doigts un sandwich, un cornichon, un oeuf dur. Ensuite, sans demander la permission, on s’allonge voluptueus­ement, en suivant du regard les nuages ou en fermant les yeux pour se livrer aux délices de la sieste.

«Mignonne, allons voir si la rose…» Le célèbre poème de Pierre de Ronsard, datant de la Renaissanc­e, qui appelle à profiter des plaisirs de la jeunesse, était peut-être une invitation à un repas champêtre. Dès le Moyen Âge, le repas champêtre rime en effet avec volupté. Les peintres aiment représente­r des « jardins d’amour », où les mots doux côtoient des mets raffinés.

Au début du XVIIE siècle, Marie de Médicis se promène avec son fils Henri III dans le jardin des Tuileries. Lorsqu’elle désire y manger, elle fait apporter meubles et mets que ses officiers remportent après son départ. Les Tuileries deviennent le centre de la galanterie parisienne. Le terme «pique-nique» existe depuis cette époque. Faire un « repas à pique-nique » n’a d’ailleurs rien d’affriolant. Cela signifie faire un repas où chacun apporte quelque chose à manger.

À partir du XVIIIE siècle, on ne pense qu’à fuir Paris, à l’image du roi. Dans ses jardins de Versailles, les carrousels, les ballets, les promenades en gondole alternent avec les collations, les banquets et les médianoche­s. Plus tard, l’amour rousseauis­te de la nature gagne les Français.

Les riches vont pique-niquer au bois de Boulogne, les pauvres au bois de Vincennes. Vers 1790, lors des pique-niques révolution­naires organisés dans les rues de Paris, la société des Amis de la Constituti­on veille à ce que chaque mets apporté figure bien sur la table commune.

Les déjeuners sur l’herbe

Le XIXE est le siècle d’or du déjeuner sur l’herbe. On se rend sur les bords de la Marne et les boucles de la Seine, encouragé par les savants hygiéniste­s qui prônent des « bains de nature ». L’inaugurati­on de la ligne de chemin de fer Paris-le Pecq en 1837 élargit les horizons.en 1863, c’est une scène de pique-nique qui va fonder l’art moderne. La toile Le Déjeuner sur l’herbe, d’édouard Manet a pour décor un sous-bois ensoleillé. Au premier plan, on aperçoit trois personnage­s assis: deux hommes habillés et une femme entièremen­t nue. À côté d’eux, un panier renversé laisse entrevoir les restes d’un repas. À l’arrière-plan, une autre femme nue s’essuie après son bain.

Le style et la facture du tableau choquent le public et les critiques: le paysage ressemble à un décor fictif, les lois de la perspectiv­e ne sont pas respectées, il n’y a pas assez de dégradés. La femme nue n’est même pas couverte d’un voile. Indécente, elle regarde le spectateur. Le Déjeuner sur l’herbe de Claude Monet, peint quelques années après celui de Manet, est bien moins scandaleux (voir pages 70 et 71). 15 ans plus tard, l’écrivain Guy de Maupassant va écrire un monument littéraire dédié au repas en plein air, avec la nouvelle Une partie de campagne.

La famille Dufour passe une journée à la campagne. Ils déjeunent dans le jardin d’une auberge, à même l’herbe. Émoustillé­es par l’air doux, les odeurs et les bruits de la nature, madame Dufour et sa fille vont succomber aux charmes de deux canotiers après une promenade en bateau. Pendant ce temps, le père et son commis, avinés, tâtent le goujon en bord de Marne.

En 1946, Jean Renoir adapte la nouvelle au cinéma. Le film en noir et blanc, inachevé, possède une candeur, une fraîcheur et une sensualité irrésistib­les. On y voit les mêmes jeunes filles vêtues de robes en dentelle, riant sur des balançoire­s, que peignait le père de Jean, Auguste Renoir.

Le pique-nique se démocratis­e

L’invention de l’automobile va élargir le rayon d’action des pique-niqueurs et stimuler l’imaginatio­n des inventeurs. Dès la fin du XIXE siècle, Georges Vuitton, fils de Louis, équipe des voitures de tables pliantes, de coffrets à champagne, de petits lavabos de campagne pour déjeuner à l’extérieur. Le tout, en cristal et en faïence fine, car les expédition­s sur la côte basque ou normande restent un privilège de nantis. Il faudra attendre 1936 et surtout les années 1950 et 1960 pour voir débarquer les familles nombreuses profitant des congés payés.

Des familles chargées de parasols, de sacs de plage et de sacs de pique-nique arpentent le sable ou les rochers à la recherche d’un « petit coin tranquille ». Des enfants emmitouflé­s dans des draps de bain mordent dans des sandwichs assaisonné­s aux grains de sable. Aujourd’hui, le pique-nique est moins « coquin » qu’à l’époque de Renoir. L’heure est au «pique-nique évènement», au pique-nique de masse. Poser sa nappe sur le pont des Arts à Paris est devenu un must. Depuis 1986, tout le monde rêve d’obtenir une invitation pour participer aux Dîners en blanc.

Pour se démarquer des châteaux prestigieu­x, les vignerons indépendan­ts invitent, eux, leurs clients à manger dans les champs.

Le 14 juillet 2000, plusieurs millions de convives se sont assis de chaque côté d’une interminab­le nappe à carreaux rouges et blancs. Posée sur le tracé du méridien de Paris, elle a traversé 337 communes entre les frontières belge et espagnole. Cela s’appelait « l’incroyable pique-nique ». Preuve que pour célébrer la conviviali­té, on n’a pas trouvé mieux.

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Depuis de nombreux siècles, le pique-nique est ancré dans les moeurs des Français. Ici, au bois devincenne­s, en juillet 1929

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