HISTOIRE DE L’ART
Le Penseur – von Auguste Rodin
Ils sont grands ou petits, en plâtre ou en bronze. Plus de 20 exemplaires du Penseur sont aujourd’hui répartis dans les musées de la planète. Raison pour laquelle cette sculpture est l’une des plus célèbres qui soit. Comment cette oeuvre a-t-elle germé dans l’esprit d’auguste Rodin (1840-1917) ? La figure du Penseur est une pièce qui était présente sur La Porte de l’enfer, une commande des Beaux-arts passée à Rodin en 1880. Cette véritable porte sculptée évoque l’esprit des Fleurs du mal (1857) de Charles Baudelaire, qui lui-même s’inspirait de la vision du bien et du mal de Dante, dans La Divine Comédie. On y voit des femmes et des hommes qui errent, troublés par leurs désirs et leurs passions.
Placé au sommet de cette porte, notre penseur (qui ne mesure alors que 70 cm) contemple le spectacle de ces âmes torturées. En 1884, Rodin extrait cet observateur de la fresque et en fait une oeuvre à part entière, dont la popularité va vite s’accroître. Sa taille aussi : elle passe de 70 à 180 cm de hauteur. Pourquoi cet homme à l’allure tourmentée fascine-t-il tant ?
Cette sculpture est d’abord novatrice : jusqu’à Rodin, les notions de Pensée, de Justice, de Liberté s’incarnaient sous forme d’allégories. Ainsi, dans l’antiquité romaine, la Pensée était représentée par la déesse Minerve. En 1886, la Liberté est incarnée par les traits austères d’une femme tenant une torche et un livre : c’est la statue de la Liberté, d’auguste Bartholdi. Avec Le Penseur, Rodin rompt avec cette tradition. La Pensée est désormais un homme réel, qui réfléchit.
Par ailleurs, ce penseur a un corps d’athlète, celui d’un homme d’action. Pourquoi montrer une telle puissance musculaire sur un corps censé représenter le monde de l’esprit ? « Mon idée, expliquait Rodin, a été de représenter l’homme rude et laborieux, qui s’arrête au milieu de sa tâche pour penser aux choses, pour exercer une faculté qui le distingue des brutes. » Ce qui interpelle surtout, c’est la posture : ce dos courbé, ces épaules resserrées, ces pieds crispés, le coude droit qui s’appuie sur le genou gauche. Anormale, impossible à tenir, cette position donne à l’oeuvre toute son intensité expressive. Ce penseur incarne la tension parfois douloureuse de la réflexion, les chemins tortueux de la pensée. Considérée comme « expressionniste », cette liberté de style du sculpteur choquera nombre de ses contemporains.
Nu sur son socle, Le Penseur est aujourd’hui devenu un symbole universel. Mais aussi un être de souffrance, qui s’élève par la joie de réfléchir, de chercher, de connaître.
Exposée en 1904 lors d’un salon parisien, l’oeuvre de Rodin sera moquée par une partie de la critique : « C’est une brute énorme, un gorille, un caliban, stupidement obstiné, qui rumine une vengeance. » Pour autant, c’est l’enthousiasme qui l’emporte. « Offert au peuple de Paris », Le Penseur sera installé en 1906 devant le Panthéon, monument alors symbole de la gauche française, et deviendra un point de rassemblement des manifestations syndicales, ce qui finit par déranger les autorités officielles. Si bien qu’en 1922, il fut déplacé pour orner les jardins du musée Rodin à Paris, où il demeure encore.