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HISTOIRE DE L’ART

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Le Rêve von Douanier Rousseau

Sous un clair de lune, au milieu d’une jungle luxuriante, une femme se prélasse sur un sofa. Sa main désigne un mystérieux joueur de flûte. Au son de sa musique, la nature tombe sous le charme, les animaux semblent envoûtés… Le spectacle est poétique, mais quel sens donner à cette scène énigmatiqu­e ? Comme pour d’autres de ses tableaux, le sens de l’oeuvre Le Rêve nous échappe. Renommée, cette toile peinte en 1910 fait partie de la série des « jungles ».

Quand il débarque à Paris, en 1868, le jeune Henri Rousseau (1844-1910) est embauché aux douanes, d’où son surnom « Le Douanier Rousseau ». Mais c’est pour la peinture qu’il vibre. Ses premières exposition­s sont cependant moquées. Ses portraits et paysages urbains sont jugés grossiers, sans effets de perspectiv­e, et leurs couleurs criardes. Parce qu’il évoque l’univers enfantin, les critiques d’art qualifient alors son style de « naïf ».

En 1891, il peint le tableau Surpris !, le premier de la série des «jungles». Rousseau ne quittera pourtant jamais la France, pas même Paris. Ses compositio­ns s’inspirent de ses observatio­ns des serres du jardin des Plantes à Paris. Par souci de réalisme, l’artiste reproduit parfois plus de 20 tonalités de vert. Une prouesse pour un artiste qui n’a jamais pris un seul cours de peinture. Ses jungles n’en sont pas moins des paysages rêvés, imaginaire­s, fantaisist­es. Dans Le Rêve, les oranges poussent sur des acacias, les lotus sont géants et ont la couleur bleue des bleuets... Pas étonnant, dès lors, de voir au beau milieu de cette jungle une femme nue se prélassant sur un divan.

Qui est-elle? Une allégorie du désir, de la fertilité, de l’érotisme ? Une sorte de Vénus tropicale, inspirée de la Vénus d’urbin du Titien? Ou bien est-elle une Ève dans son jardin d’éden ? Le serpent rampant en bas à droite et les fruits interdits (des oranges plutôt que des pommes) pourraient en témoigner. Qu’elle soit Ève ou Vénus, elle a un nom : Yadwigha. Une Polonaise dont Rousseau s’était épris dans sa jeunesse. À son tableau, l’artiste a joint ce poème : « Yadwigha dans un beau rêve, s’étant endormie doucement, entendait les sons d’une musette, dont jouait un charmeur bien pensant...» Dissimulé dans les feuillages, ce mystérieux musicien « envoûte son public et anime les végétaux, endossant le rôle de Morphée.» Yadwigha est charmée, les animaux envoûtés. Un éléphant est tapi derrière les hautes herbes, les oiseaux se sont posés, deux lions se sont laissé hypnotiser et apprivoise­r. Qui est ce joueur capable de pacifier une jungle d’ordinaire si hostile ? Et si le peintre s’était lui-même représenté dans ce musicien ? Par la force de son art, il a repoussé le serpent hors du cadre, rendant sa pureté au jardin d’éden et à l’homme son innocence originelle.

Vision fabuleuse et intemporel­le, ce tableau est l’ultime hommage de Rousseau à ce paradis perdu qui hantait ses rêves. Cette quête évoque celle d’un autre peintre : Paul Gauguin. Ce dernier ne rêvait-il pas, en s’exilant vers les îles du Pacifique, d’y retrouver l’innocence de l’homme « primitif » vivant au milieu d’une nature intacte ?

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Cette oeuvre est à voir au Moma, à New-york.

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