Aujourd’hui, l’impossible bilan
À Rouen, en face de la mairie, la statue équestre d’un Napoléon conquérant va être restaurée. Elle sera vraisemblablement remontée ailleurs, dans un endroit plus discret. Il est question de la remplacer par la statue d’une femme.
À Fort-de-france, en Martinique, c’est la statue de Joséphine de Beauharnais, épouse de Napoléon, qui a été déboulonnée. Elle paie pour son mari qui rétablit l’esclavage en 1802. Napoléon aurait d’ailleurs agi uniquement pour l’intérêt de l’économie nationale (son but était de rétablir un empire colonial, car un Français sur dix vivait du commerce colonial sous l’ancien Régime et l’abolition ne satisfaisait pas les colons) et non pour ceux de sa belle-famille, originaire des Antilles.
Esprit de conquête, patriarcat et esclavage sont les aspects du bilan napoléonien qui ne passent pas au XXIE siècle. Mais il serait injuste de résumer ainsi l’oeuvre du premier empereur des français. « J’ai dessouillé la révolution, ennobli les peuples et raffermi les rois », dira l’exilé de Sainte-hélène. Ce n’est pas faux. Seul un dictateur pouvait mettre fin au chaos révolutionnaire. Et seul un conquérant pouvait imposer les valeurs de cette même révolution dans l’europe entière.
Sous Napoléon, la valeur individuelle a plus d’importance que la naissance – on le verra avec les maréchaux, issus du peuple. Le Code civil impose dès 1804 une même loi pour tous. Ce recueil juridique – auquel on reproche aujourd’hui d’avoir mis la femme sous la tutelle de l’homme – va inspirer les systèmes judiciaires de plusieurs pays européens.
L’europe moderne, celle des nations, naîtra dans le sillage de l’empereur des Français. Dans sa sanglante cavalcade européenne – dont on estime le bilan à 900 000 morts –, ses soldats ont semé en effet deux idées qui vont bouleverser l’europe monarchique : l’aspiration démocratique et la ferveur nationale. Enfin, la France doit à Napoléon Bonaparte ce que lui-même a appelé les « masses de granit », ces institutions qu’il a créées et qui marquent, pour la plupart, aujourd’hui encore la France : les préfets, la Banque de France, les lycées, l’ordre national de la Légion d’honneur, le franc germinal et le fameux Code civil.
Impossible, d’après les termes employés à l’époque, de trancher. Le corps est mis en terre non loin de Longwood House, dans un petit vallon où le captif aimait se promener. Il y restera 19 ans.
La nouvelle de la mort de Napoléon arrive en France le 11 juillet. Les Français l’accueillent sans grande émotion. Le ministre des Affaires étrangères, Talleyrand, a cette phrase célèbre : « Ce n’est plus un évènement, c’est une nouvelle. »
La situation sera tout à fait différente en 1840. Emmanuel de Las Cases a mis en forme les notes qu’il avait prises à Sainte-hélène et en a fait le best-seller du XIXE siècle: Le Mémorial de SainteHélène. Un monument littéraire à la gloire de l’empereur. La révolution de juillet 1830 a porté au pouvoir Louis-philippe, « roi des Français ». Pour légitimer son pouvoir, celui-ci veut raviver la gloire napoléonienne. Le 12 mai 1840, le roi donne le départ d’une aventure digne d’un péplum hollywoodien : le retour des cendres. Le 7 juillet, deux bateaux sont envoyés à Sainte-hélène pour rapatrier la dépouille de l’empereur. Ils reviennent le 30 novembre.
À Paris, le 15 décembre 1840, le cercueil est placé sur un char au décor pompeux, de 10 mètres de haut, pesant 13 tonnes. Devant une foule estimée à un million de personnes, il traverse une ville décorée à la hâte, avec des statues en plâtre. Victor Hugo, qui assiste au spectacle, juge le décor de mauvais goût. Pourtant, pris par la magie de l’instant il s’exclame : « Jour beau comme la gloire, froid comme le tombeau. »
Le tombeau de Napoléon Ier sera posé aux Invalides, le complexe architectural créé par Louis XIV pour accueillir les invalides de guerre. L’actuel sarcophage en quartzite rouge, planté dans une crypte ouverte au milieu du dôme, date de 1861. Il attire chaque année un million de visiteurs. L’année 2021 aurait dû battre tous les records.
L’hôtel des Invalides, le mausolée de l’aigle