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HISTOIRE DE L’ART

Le Singe peintre von Jean Siméon Chardin

- de Jean Siméon Chardin DE CHAKRI BELAÏD

Un singe qui peint. Vêtu d’un habit de bourgeois ! Quel drôle et troublant spectacle... Célébrée pour ses natures mortes, l’oeuvre de Chardin (1699-1779) ne s’est pourtant jamais distinguée par sa grande fantaisie, ni par son humour. Quel sens faut-il, dès lors, donner à cette scène un peu grotesque ? Ce tableau est-il une plaisanter­ie ou nous adresse-t-il un message ?

Le singe fascine l’homme, l’amuse, l’effraye, l’interroge. Sa représenta­tion dans les arts remonte à l’antiquité. Au Moyen Âge, son don d’imitation fait de lui une créature diabolique. Dans les manuscrits, il « singe » les évêques, les rois, les chevaliers. À l’aube de la Renaissanc­e, on le retrouve en animal de compagnie sur la tapisserie de la Dame à la Licorne (vers 1500).

Au XVIIE siècle, les peintres flamands lancent les « singeries » : un genre pictural nouveau qui met en scène des primates imitant les défauts des hommes pour mieux les moquer. Dans Singes jouant aux cartes, du peintre David Téniers le Jeune, quatre singes jouent aux cartes, fument la pipe et boivent du vin. En France, les singeries se propagent au XVIIIE siècle. Ainsi, sur les murs (rococo) du château de Chantilly, des singes incarnent des esclaves, des savants ou encore des guerriers. D’autres, plus espiègles, s’habillent en tenues féminines et soignent leur toilette, ridiculisa­nt les manières précieuses des cours princières.

Le singe est aussi considéré, à l’époque, comme un animal incapable d’inventer, de dépasser l’imitation. Aussi, quand il incarne un artiste, il symbolise l’artiste plagiaire et sans talent. Dans Le Singe peintre de Chardin, le primate tente de reproduire une statue sur sa toile. « Cette oeuvre est une critique directe de l’académie royale par Chardin, explique Grégoire Hallé, directeur du musée des Beaux-arts de Chartres. À l’époque, on y forme les élèves en leur faisant copier les tableaux des maîtres, au lieu de les encourager à s’inspirer directemen­t de la nature.»

À la différence du Singe sculpteur (1710) d’antoine Watteau, Le Singe peintre (17391740) de Chardin nous donne à voir une scène à la vraisembla­nce très troublante. Avec des nuances de couleurs chaudes, l’artiste rend avec minutie l’intérieur typique d’un atelier. On y retrouve le chevalet, le châssis, le carton à dessin, la palette, les pinceaux, la cruche d’eau pour diluer les couleurs, y compris la baguette dorée posée sur la toile pour que la main qui peint ne tremble pas. D’autre part, ce singe-là n’est ni bestial, ni burlesque. Voyez son regard doux et mélancoliq­ue. Bien qu’inoffensif, son sourire pourrait nous adresser ce message tendrement ironique: «Chers cousins, la supériorit­é de l’homme n’est qu’un leurre. En quoi sommes-nous si différents l’un de l’autre ? Le singe n’est qu’un homme parmi d’autres. Voyez, d’ailleurs, comme cet habit bourgeois me donne belle allure ! »

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Musée des Beaux-arts, Chartres

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