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La privatisation de la langue
Àqui appartient la planète? À tout le monde. Sauf pour Canal+, qui a tenté de s’approprier ce mot. Le groupe TV possède une chaîne documentaire baptisée Planète+. En 1999, Canal+ a déposé les mots « planète » et « planet » à l’institut national de la Propriété intellectuelle (INPI). Cet organisme public défend les droits des marques et des entreprises. Depuis, Canal+ menaçait de procès chaque structure française utilisant dans son nom le mot « planète » ou « planet ». Des revues, des associations et des ONG écologiques (Planète Amazone, Run for Planet, Planète Tigre…) ont ainsi reçu un courrier leur ordonnant de changer de nom, sinon elles seraient attaquées en justice. D’après Canal+, l’utilisation du mot « planète » ou « planet » entraîne « un risque de confusion avec Planète+ ». Une chaîne pourtant peu connue du grand public. La menace fonctionnait parfois : en 2013, l’auteur du blog Planète polars, consacré aux romans policiers, a renommé son site internet Chroniques polars. Il n’avait ni les moyens financiers ni l’énergie suffisante pour s’opposer à une puissante chaîne TV. Récemment, douze associations et ONG ont uni leurs forces pour se rebeller. Plusieurs articles dans la presse ont dénoncé la tentative de Canal+ de privatiser le mot « planète ». En janvier 2021, L’INPI a donné raison aux associations et ONG : elles peuvent garder leur nom et elles n’ont pas de compte à rendre à Canal+.
Mais le « capitalisme linguistique », selon l’expression du chercheur Frédéric Kaplan, ne baisse pas les bras. En 2016, le club de foot Paris-saint-germain a tenté de mettre la main sur le slogan « Ici, c’est Paris ! » pour en faire une marque. Un slogan pourtant créé par les supporteurs, et jusque-là détenu par une association qui n’en faisait pas commerce. En février dernier, la ville de Vendôme a vendu, pour seulement 10 000 euros, son nom à LVMH. Le grand groupe spécialisé dans le luxe pourra désormais utiliser « Vendôme » comme il le souhaite pour ses produits. Si un artisan qui habite la ville veut utiliser le nom pour vendre ses bijoux, ses montres ou ses sacs à main, il devra demander l’autorisation à LVMH.
Dans sa nouvelle Les Hauts® Parleurs®, l’écrivain de science-fiction Alain Damasio imagine une France où les multinationales ont privatisé les noms communs. Il faut maintenant payer pour pouvoir dire « amour », « émotion », ou « rêve ». En espérant que cela reste de la science-fiction.