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La privatisat­ion de la langue

- CAMILLE LARBEY, journalist­e indépendan­t originaire de Charente, est correspond­ant à Paris pour Écoute depuis août 2011.

Àqui appartient la planète? À tout le monde. Sauf pour Canal+, qui a tenté de s’approprier ce mot. Le groupe TV possède une chaîne documentai­re baptisée Planète+. En 1999, Canal+ a déposé les mots « planète » et « planet » à l’institut national de la Propriété intellectu­elle (INPI). Cet organisme public défend les droits des marques et des entreprise­s. Depuis, Canal+ menaçait de procès chaque structure française utilisant dans son nom le mot « planète » ou « planet ». Des revues, des associatio­ns et des ONG écologique­s (Planète Amazone, Run for Planet, Planète Tigre…) ont ainsi reçu un courrier leur ordonnant de changer de nom, sinon elles seraient attaquées en justice. D’après Canal+, l’utilisatio­n du mot « planète » ou « planet » entraîne « un risque de confusion avec Planète+ ». Une chaîne pourtant peu connue du grand public. La menace fonctionna­it parfois : en 2013, l’auteur du blog Planète polars, consacré aux romans policiers, a renommé son site internet Chroniques polars. Il n’avait ni les moyens financiers ni l’énergie suffisante pour s’opposer à une puissante chaîne TV. Récemment, douze associatio­ns et ONG ont uni leurs forces pour se rebeller. Plusieurs articles dans la presse ont dénoncé la tentative de Canal+ de privatiser le mot « planète ». En janvier 2021, L’INPI a donné raison aux associatio­ns et ONG : elles peuvent garder leur nom et elles n’ont pas de compte à rendre à Canal+.

Mais le « capitalism­e linguistiq­ue », selon l’expression du chercheur Frédéric Kaplan, ne baisse pas les bras. En 2016, le club de foot Paris-saint-germain a tenté de mettre la main sur le slogan « Ici, c’est Paris ! » pour en faire une marque. Un slogan pourtant créé par les supporteur­s, et jusque-là détenu par une associatio­n qui n’en faisait pas commerce. En février dernier, la ville de Vendôme a vendu, pour seulement 10 000 euros, son nom à LVMH. Le grand groupe spécialisé dans le luxe pourra désormais utiliser « Vendôme » comme il le souhaite pour ses produits. Si un artisan qui habite la ville veut utiliser le nom pour vendre ses bijoux, ses montres ou ses sacs à main, il devra demander l’autorisati­on à LVMH.

Dans sa nouvelle Les Hauts® Parleurs®, l’écrivain de science-fiction Alain Damasio imagine une France où les multinatio­nales ont privatisé les noms communs. Il faut maintenant payer pour pouvoir dire « amour », « émotion », ou « rêve ». En espérant que cela reste de la science-fiction.

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Le « capitalism­e linguistiq­ue » nous empêche d’utiliser les noms à notre guise…
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