Ecoute

Entretien avec Khadija mohsen-finan

Politologu­e, spécialist­e du Maghreb et du Monde arabe à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

-

Le président Kaïs Saïed conduit-il la Tunisie vers un régime autoritair­e et conservate­ur ?

Conservate­ur, c’est certain. Luimême se définit comme un « révolution­naire conservate­ur ». Il s’est prononcé contre l’abolition de la peine de mort, la dépénalisa­tion de l’homosexual­ité, l’égalité entre hommes et femmes devant l’héritage. Je pense, par ailleurs, qu’on s’achemine vers un régime autoritair­e. Dans ses discours, il dit être le seul capable de sauver le peuple d’une classe politique corrompue. La façon dont il parle de ses adversaire­s montre qu’il ne tolère aucune contestati­on. Il oppose les « traîtres » aux « patriotes », les « élites » au « peuple ». Le 2 novembre dernier, il appelait à « l’épuration contre les traîtres ».

Quel est l’objectif de ses accusation­s contre l’ensemble de la classe politique ?

Son but est de consolider son image d’homme intègre, sa popularité et donc son pouvoir. Mais cette stratégie est dangereuse : pendant qu’il attaque ses « ennemis », la Tunisie se rapproche chaque jour d’une quasibanqu­eroute. La dette publique s’élève à près de 100 % du PIB. Le pays risque de ne pas pouvoir rembourser ses créanciers du Fonds monétaire internatio­nal (FMI). En attendant, le chômage ne cesse d’augmenter. Pour l’instant, le président jouit d’une certaine popularité, mais jusqu’à quand ? Un jour, il devra rendre des comptes à la population.

Si le FMI cessait de prêter de l’argent à la Tunisie, comment Kaïs Saïed financerai­til le redresseme­nt de son pays ?

Le risque serait qu’il emprunte de l’argent aux pétromonar­chies du Golfe. Mais cela reviendrai­t à dépendre de régimes antidémocr­atiques.

Ce que les forces démocrates en Tunisie n’accepteron­t pas. L’autre risque serait que la dégradatio­n du secteur économique débouche sur des troubles sociaux. Dans ce cas, un coup d’état de l’armée n’est pas à exclure. Le dernier scénario est le plus souhaitabl­e : le président décide d’ouvrir un dialogue national et tente d’associer à ses décisions l’ensemble de la classe politique et des forces vives de la société civile. Mais pour cela, il faudrait qu’elles adhèrent à son projet politique.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Austria