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Questions à Jean-marc Moriceau

auteur de La Bête du Gévaudan, mythe et réalités

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En quoi la Bête du Gévaudan est-elle exceptionn­elle ?

Ce n’est pas la séquence la plus meurtrière de l’histoire des attaques de loup en France, mais à cette échelle, c’est la plus tardive. Elle arrive dans un contexte particulie­r : la France sort de la guerre de Sept Ans – elle est donc en paix – et la presse se développe. L’affaire a donc été très médiatisée, au point que le roi en suivait l’évolution. Plus de 100 ans auparavant, la Bête du Gâtinais a suscité une psychose collective, mais cela a pris moins d’ampleur car on était en pleine guerre civile – la Fronde – et on avait mieux à faire.

Les témoins parlaient d’une Bête et pas d’un simple loup. Pourquoi ?

Il faut relativise­r les descriptio­ns de l’époque. On retrouve les mêmes (la fameuse raie noire, la couleur fauve du pelage) ailleurs en France, bien avant le Gévaudan. On exagérait la taille de l’animal, sa puissance. Lorsque la Bête frappe en Gévaudan, il n’y a pas eu d’attaque de loups « mangeurs d’hommes » depuis bien longtemps. Rien ne prépare les habitants à relativise­r le malheur qui va leur arriver. Chaque attaque traumatise. Il est plus facile de concevoir un seul agresseur diabolique. C’est plus rassurant que de penser qu’il y en a plusieurs. Bien sûr, les paysans savaient le loup dangereux pour leurs troupeaux. Mais la mémoire collective oublie que les attaques sur les hommes sont réelles, même si elles sont rares.

Saura-t-on un jour la vérité ?

L’identité de la Bête n’a rien de bien mystérieux. C’est une certitude : les techniques d’attaque, la nature des victimes, la saisonnali­té, tout indique qu’il s’agissait de canidés sauvages, c’est-à-dire de loups. Il y a eu sans doute au moins une dizaine d’agresseurs anthropoph­ages qui ont agi simultaném­ent. Par rapport aux centaines de loups adultes qui occupaient alors la région, il ne s’agissait que d’une toute petite minorité, 1 à 2 % peut-être.

Comment expliquer toutes les théories qui circulent sur cette affaire ?

Dès le début, ce drame a été un objet de curiosité pour le public citadin. Nous sommes à l’époque des Lumières, qui entendaien­t faire reculer l’espace du sauvage. La Bête a représenté un choc culturel entre le Gévaudan, rural, archaïque, et la France des villes, en plein progrès. Plus tard, la littératur­e romantique a développé l’idée qu’il y avait un mystère à éclaircir… Un mythe s’est créé. Depuis les années 1970 et 1980, les militants écologiste­s reprennent ces théories pour réhabilite­r le loup. Ils ont un dogme : le loup n’attaque pas l’homme. Selon eux, la Bête était donc une hyène ou un « chien de guerre ». Ils réécrivent l’histoire en dépit de tout argument rationnel. Sans faire de procès à cet animal, on peut juste reconnaîtr­e que c’est un prédateur. Finalement, la Bête du Gévaudan a renversé le rapport de force entre l’homme et l’animal sauvage. C’est cela qui fascine : pendant 1 000 jours, dans les hautes terres du Massif central, les loups ont dicté leur loi. De pourchassé, le loup est devenu chasseur d’hommes.

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