l’ange gardien de Tévennec
Rencontre avec Marc Pointud, président de la Société nationale pour le patrimoine des phares et balises.
En 2016, Marc Pointud a habité pendant 69 jours dans le phare de Tévennec. Seul face aux éléments déchaînés, il a vécu comme les gardiens de phare du siècle dernier. Son journal de bord Lumières sur Tévennec (en vente sur www.pharesetbalises.org) recueille ses impressions.
Pourquoi avoir joué au gardien de phare ?
L’objectif était d’attirer des mécènes pour restaurer l’îlot de Tévennec. Plus largement, il s’agissait de défendre la cause des phares qui se détériorent. Depuis quelques années, les phares de France sont reconnus par l’état comme un ensemble du patrimoine maritime
à préserver. Des moyens sont mis en oeuvre, mais il reste encore beaucoup à faire pour sauver ce patrimoine, qui est en service tous les jours.
Quelles étaient vos conditions de vie à Tévennec ?
Imaginez une petite maison de trois pièces, posée sur un rocher tombant dans la mer, et collée à une tour de 11 mètres, le phare. Par gros temps, on est entouré de vagues gigantesques qui font un bruit grandiose. Je ne vous dirai pas que c’est très accueillant. Il pleuvait dans le phare, l’eau passait par la lanterne et cascadait dans l’escalier de la tour. L’eau suintait des murs avec un taux d’humidité de 90 à 100 %. J’ai eu des rafales à 140 km/h, et les vagues passaient par-dessus le toit. Le jour de Pâques : 165 km/h, des creux de 14 mètres, le vent qui hurle et la mer qui explose sur le caillou. C’était dantesque. Et la nuit, je voyais des crêtes de houle éclairées par la lune. Évidemment, sortir était très dangereux. Une « vague scélérate » pouvait à tout moment recouvrir l’île et vous emporter.
Qui étaient vos prédécesseurs ?
Le phare de Tévennec a été allumé en 1875. Et en 35 ans, 23 gardiens s’y sont succédé – dont un qui y a passé 15 ans. Mais normalement, on n’y restait pas très longtemps. Les derniers gardiens sont partis en 1910. Il faut dire que Tévennec a la réputation d’être un phare hanté. Ce secteur entre la pointe du Raz et l’île de Sein est parsemé d’écueils dangereux, qui ont fait des milliers de morts au cours des siècles. D’après la légende celte, c’est à Tévennec que l’ankou (la mort, dans la tradition bretonne) faisait passer les âmes des noyés vers l’au-delà. C’était donc un rocher maudit. Quand l’état a décidé d’y édifier un phare, les ouvriers ne se sont pas battus pour y aller. Les premiers gardiens ont raconté beaucoup d’évènements mystérieux : des choses disparaissaient, on leur tirait les pieds dans la nuit… C’étaient, disait-on, les âmes des morts qui se vengeaient. Certains gardiens sont morts sur l’îlot. L’un d’eux a été conservé dans un tonneau de mer par son épouse, qui voulait le faire enterrer sur le continent. Une autre fois, la femme du gardien a accouché une nuit de tempête, pendant que le toit de la maison s’envolait.
Pourquoi le sort des phares de France vous préoccupe-t-il ?
Le dernier gardien de phare en mer est parti en 2004. Les phares sont désormais automatisés. Sans gardien pour peindre et entretenir, les quelque 150 phares de France (dont 40 phares en mer) vont se dégrader. Or, ils constituent notre patrimoine maritime, mais aussi humain, avec son histoire, ses lignées de gardiens, d’ingénieurs… C’est une civilisation maritime qui remonte à Louis XIV. Les phares attirent chaque année 1,5 million de visiteurs. Le phare des Baleines, sur l’île de Ré, est visité en saison par plus de 200 000 visiteurs. Les phares attirent. Ils ont souvent été photographiés par des stars de la photo de mer qui, au passage, n’ont jamais donné un centime à leur préservation.
Avec les outils modernes de navigation, les phares sont-ils encore utiles ?
Bien sûr ! Sans phares, que fera un bateau le jour où le satellite qui commande son GPS tombe en panne ? La navigation de plaisance et de pêche est surtout côtière. Elle a besoin des phares. Vous savez, la meilleure façon de passer le raz de Sein est d’être dehors et de regarder le phare de Tévennec, pas de rester devant son GPS, surtout de nuit ! La grande navigation au large pourrait se faire sans phares, car les cargos et les porte-conteneurs passent par les couloirs maritimes loin des côtes. Mais une panne peut arriver et le bateau, dériver sans repère. Lorsqu’il verra le pinceau lumineux du Créac’h, il saura où il se trouve... On a toujours besoin d’un repère côtier.