Le dessinateur qui n’a pas son feutre dans la poche
In Xavier Gorces Pressezeichnungen spielen Pinguine die Hauptrolle. Er skizziert das aktuelle Geschehen und nimmt dabei auf empfindsame Seelen keine Rücksicht. Sein Filzstift zittert auch dann nicht, wenn es um Polemiken geht. Porträt eines Mannes, der sich gegen die Zensur zur Wehr setzt.
Xavier Gorce n’est pas un enfant de son époque et il le revendique. Comme tout bon dessinateur de presse, il refuse de céder aux indignés. Dessin sur le voile intégral, critique de Greta Thunberg ou des syndicalistes… Aucun sujet ne semble tabou. Quitte à devoir déplaire à certains militants. Il faut dire que Gorce a commencé à bonne école : dans les pages de La Grosse Bertha, un journal satirique (par la suite, une partie de la rédaction partira pour fonder Charlie Hebdo) où l’on retrouvait les caricaturistes Charb, Riss, Siné, Cabu ou encore l’humoriste et auteur François Rollin.
Élevé dans une famille où « ça débattait souvent à table », il se tourne plus tard vers une fac d’arts plastiques après avoir raté les écoles d’art. Trop peu de pratique à son goût. Il suit alors les cours du soir proposés dans les écoles d’art qu’il n’avait pas pu intégrer. Ses compétences ne se limitent pas au dessin de presse. À 60 ans, il réalise des illustrations, des peintures à l’aquarelle, du graphisme. Proche du collectif de dessinateurs Cartooning for Peace cofondé par Plantu (le célèbre caricaturiste du journal Le Monde de 1972 à 2021), Xavier Gorce participe à plusieurs de leurs activités de sensibilisation dans des prisons ou des écoles. « C’est avec ce réseau international de dessinateurs que nous avons appelé, en 2019, l’unesco à reconnaître le dessin de presse comme un droit fondamental », précise le caricaturiste.
Des manchots pour caricaturer l’actualité
Pour trouver l’inspiration, Gorce suit l’actualité: « Tout au long de la journée, je consomme pas mal d’information». C’est en milieu d’après-midi qu’il commence à travailler pour une parution de son dessin
le lendemain matin. Pas de média préféré, il s’abreuve à toutes les sources : « Télévision, radio, presse écrite… Je laisse mijoter tout ça, j’essaye de faire germer les idées ! L’objectif est de trouver quelque chose d’original à raconter ». Un travail solitaire. Il peut aussi lui arriver de devoir illustrer un article en particulier. Dans ce cas, il y a un échange avec le journaliste.
Il observe ses confrères avec intérêt : « J’aime suivre le travail de Coco à Libération, Diego Aranega et Lefred-thouron au Canard enchaîné, Deligne également ». Mais avec modération : « J’essaye de ne pas trop passer de temps sur le travail des autres. Si je découvre que l’une de mes idées a déjà été mise en images, il me faut faire une croix dessus. Je préfère donc ne pas savoir ».
Dans les années 2000, il propose au journal Le Monde des bandes dessinées animalières. Au fil du temps, ses manchots s’imposent. Ce sont les personnages privilégiés du dessinateur lorsqu’il veut ironiser sur l’actualité. « Leur silhouette verticale est très humaine, tout comme leurs couleurs, le noir et le blanc, qui s’apparentent à un costume », souligne le père des manchots. Début 2005, il baptise ces animaux « les Indégivrables ». Chaque jour travaillé, Gorce propose une scène qui fait écho à l’actualité. Cela représente près de 220 dessins par an, depuis 18 ans. Et c’est au sein du journal Le Monde que les manchots s’épanouissent pendant des années.
Censuré
Le 19 janvier 2021, la polémique éclate sur les réseaux sociaux. Un dessin publié par Le Monde indigne certains lecteurs. On y voit un croquis intitulé Repères familiaux avec un manchot demandant à un congénère : « Si j’ai été abusée par le demi-frère adoptif de la compagne de mon père transgenre devenu ma mère, est-ce un inceste ? » Réactions scandalisées de nombreux internautes qui réclament des comptes à la direction du journal. « Pourtant, il n’y avait ni ironie sur l’inceste, ni confusion sur les transsexuels et l’inceste », insiste le dessinateur. Mais les chiens étaient déjà lâchés. Un dessin jugé transphobe pour certains, une blague « dégueulasse » sur la pédocriminalité pour d’autres… Autrement dit, on ne peut pas rire de tout.
La directrice de la rédaction du journal, Caroline Monnot, présente alors ses excuses pour avoir publié ce dessin. Elle explique que ce dessin «peut être lu comme une relativisation de la gravité des faits d’inceste, en des termes déplacés vis-à-vis des victimes et des personnes transgenres ». C’en est trop pour Gorce. D’après lui, Caroline Monnot donne raison aux offensés des réseaux sociaux. Deux jours après le scandale, il annonce qu’il quitte Le Monde. La fin d’une collaboration de 18 ans avec le journal. La décision s’imposait selon lui : « J’ai dit au directeur : “Tu attendais un dessin de ma part aujourd’hui, tu ne l’auras pas. Si vous vous couchez devant des militants sur les réseaux, si des journalistes au sein de la rédaction ne sont pas capables de comprendre et de défendre un dessin, je ne travaillerai plus pour vous.” La collaboration s’est donc terminée. » Pour Gorce, « la liberté ne se négocie pas ».
L’hebdomadaire Le Point ne tarde pas à le recruter et héberge sur son site les fameux Indégivrables. C’est maintenant dans la lettre quotidienne du magazine que son dessin est publié. Une carte blanche, dans laquelle les manchots peuvent se faire le relais de l’actualité en toute liberté.
PORTRAIT 37