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Moteur, ça tourne… action ! Tati en scène

Vor 40 Jahren verstarb Jacques Tati. Wir nehmen seinen Todestag zum Anlass für einen Rückblick auf das Leben des genialen Regisseurs und Schauspiel­ers.

- VON JEAN-PAUL DUMAS-GRILLET

En ces temps troubles dans lesquels nous sommes aujourd’hui plongés, les films de Jacques Tati nous apportent la fraîcheur et l’insoucianc­e d’un monde d’avant qui semble à tout jamais disparu. Pourtant, Tati, dans des films comme Playtime ou Trafic, mettait déjà en garde contre un futur plein de froideur et d’inhumanité que nous réservaien­t la modernité et l’industrial­isation. Chacun de ses films nous avertit des transforma­tions que va subir peu à peu la France, dont la culture et le mode de vie seront profondéme­nt et irrémédiab­lement bouleversé­s.

Du Lido à Venise

Jacques Tati est considéré comme l’un des plus grands cinéastes que le septième art ait compté. Mon oncle, l’un des quatre chefs-d’oeuvre de Tati, obtiendra, en 1959, l’oscar du meilleur film étranger. La reconnaiss­ance de son génie est internatio­nale. Cette stature n’est pas simplement due à l’originalit­é de son sens comique, mais également à son caractère visionnair­e, capable d’annoncer la métamorpho­se de la société française à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans ses films, il montre son immense sens artistique. Comme le reconnaît le cinéaste Wes Anderson, les films de Tati sont en effet « drôles et esthétique­ment superbes à la fois ».

Jacques Tatischeff est né en 1907 au Pecq, dans les Yvelines. Son grand-père a été général de l’armée russe. Puis, la famille s’est installée en France. Au début de sa carrière dans le spectacle, Jacques Tatischeff devient Jacques Tati. C’est essentiell­ement un mime dont le terrain préféré est le sport. Quand Tati se lance dans le music-hall, l’un de ses numéros les plus célèbres s’intitulera Le Football vu par un gardien de but. Dans deux courts métrages dont il n’est pas l’auteur – On demande une brute et Soigne ton gauche –, il joue un boxeur, et c’est avec Impression­s sportives, donné au Lido de Paris au début des années 1940, qu’il lance réellement sa carrière.

En 1947, Jacques Tati réalise son premier long métrage, Jour de fête, qui obtient le prix de la mise en scène à la Biennale de Venise et cumule six millions de spectateur­s depuis sa sortie. Les Vacances de monsieur Hulot (1953) et Mon oncle (1958) atteindron­t chacun les cinq millions d’entrées, mais les trois films suivants – Playtime, Trafic et Parade – seront des échecs commerciau­x. Sa société de production Specta Films fait faillite en 1974, et Tati est ruiné. En 1982, le Festival de Cannes l’inclut dans un hommage rendu aux dix meilleurs réalisateu­rs du monde. Jacques Tati meurt quelques mois plus tard.

Un humour singulier

Dans ses premiers courts métrages, mais aussi dans Jour de fête, Tati puise son inspiratio­n burlesque dans le répertoire de comiques américains illustres comme Buster Keaton ou Mack Sennett. Le héros de Jour de fête, le facteur François, est un benêt débrouilla­rd. Les circonstan­ces l’amènent à accomplir des exploits qui le dépassent. Mais il s’en tire malgré tout. Après Jour de fête, c’est avec Les Vacances de monsieur Hulot que Jacques Tati va inventer le personnage auquel il restera associé. Monsieur Hulot fume la pipe et porte un petit chapeau posé sur le haut de la tête dans Les Vacances.

Dans les trois films suivants, il ajoutera à sa panoplie un imperméabl­e défraîchi, un pantalon trop court laissant voir des socquettes à rayures et des chaussures en daim. Il est curieux, distrait, lunaire mais respire la gentilless­e et la bonne humeur. Sa démarche sur la pointe des pieds et sa grande stature (Tati mesurait près de 1,90 mètre) lui donnent une allure indécise. L’invention de monsieur Hulot apporte une nouvelle direction à l’humour de Tati. Et à l’humour en général. Tati crée un décalage où le monde tel que nous le connaisson­s semble vaciller.

Dans Playtime, monsieur Hulot attend un rendez-vous profession­nel important. L’entreprise se trouve dans un bâtiment gigantesqu­e. Le plan montre Tati assis dans un fauteuil et au fond un couloir qui semble ne pas avoir de fin. On entend d’abord le claquement de chaussures sur le sol du couloir, puis apparaît une silhouette minuscule qui paraît ne pas avancer tandis que le bruit des pas se rapproche. Il lui faut une bonne minute pour rejoindre monsieur Hulot. Ici, le gag naît du décalage entre l’espace et le bruit des pas. Tati utilise d’ailleurs le son comme l’un des ressorts principaux de son humour : le son bizarre d’un fauteuil quand on s’assied dessus, un bruit de fond électrique dans une usine, des hautparleu­rs défectueux, des grincement­s et cliquetis divers… Le dialogue est également traité comme un son. Peu importe ce que les gens disent. Qu’il s’agisse d’une

brève conversati­on ou d’une annonce à l’aéroport, tout semble participer à la création d’un monde flottant, comme en état d’apesanteur. Ce décalage, mis en valeur par le gag, ouvre une nouvelle perspectiv­e sur le monde.

À l’américaine

L’américanis­ation de la société française, la société de consommati­on, l’aliénation et le tourisme sont quatre des thèmes principaux abordés dans les films de Jacques Tati. Dès Jour de fête, Tati met en garde contre l’américanis­ation de la France. Le facteur François ne prend plus le temps de boire un coup à chaque remise de courrier, mais se lance le défi d’être rapide et efficace « à l’américaine ».

Dans l’après-guerre, l’avancée hégémoniqu­e et l’emprise des États-unis sur la culture française sont déjà établies. Ainsi, en 1946, un accord entre les deux pays prévoit un prêt important à la France qui s’accompagne d’une obligation de projeter les films américains dans les salles françaises sans restrictio­n de nombre. La langue anglaise fait son apparition dans les films de Tati, où l’on assiste à la naissance du franglais. L’american way of life triomphe peu à peu.

Malgré une France rurale et populaire qui subsiste, cette expansion semble impossible à contrer. Les produits américains s’imposent, le drugstore se retrouve dans Playtime. La malbouffe menace. Dans Mon oncle, madame Arpel sert à son fils des boules éjectées d’un four. On peine à les imaginer comestible­s.

Consommati­on, consommati­on

Cette américanis­ation débouche sur une société de consommati­on dans laquelle l’individu s’efface au profit de ce qu’il possède. Dans Mon oncle, monsieur et madame Arpel tirent une extrême fierté de la voiture qu’ils viennent d’acheter, des fauteuils et des canapés design qui meublent leur salon ou de leur cuisine truffée d’électromén­ager dernier cri. Mais eux-mêmes semblent ne plus avoir d’existence réelle, ne s’exprimant que par bribes ou adoptant des postures stéréotypé­es. Selon le philosophe Jean Baudrillar­d, Tati enregistre le moment où nous sommes passés dans « l’ère de la simulation ». Dans l’univers des Arpel, tout est artificiel. C’est le triomphe du paraître. On est ce que l’on a. En visionnair­e, Jacques Tati avait perçu le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.

Aliénation et isolement

La consommati­on et le paraître créent une aliénation aux objets que l’on a fièrement acquis. La voiture ne conduit pas à la liberté espérée, mais aux embouteill­ages et aux accidents vus dans Playtime et Trafic. Dans Playtime, les automobile­s sont bloquées sur un rond-point dont elles n’arrivent plus à s’extraire. Elles occupent des parkings immenses. La ville doit désormais se plier aux exigences de ce moyen de transport omniprésen­t. Les quartiers anciens sont détruits, et c’est toute une partie de la banlieue populaire parisienne qui va disparaîtr­e pour construire des ensembles immobilier­s neufs et des routes. Dans Mon oncle, le lieu de vie de Hulot est menacé, mais dans Playtime, il ne reste déjà que la ville froide et impersonne­lle.

Deuxième aliénation: la télévision. À l’époque, elle commence à faire son entrée dans les foyers. Tati pressent qu’elle isolera les gens plutôt que de les rassembler. Ils échangeron­t de moins en moins. Le temps consacré jadis à des occupation­s diverses sera désormais passé devant la télé. L’incommunic­abilité qui en résulte annonce le phénomène du portable, qui finira par enfermer chacun

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 ?? ?? 1 Affiche de Jour de fête, par David Merveille (éditions Nautilus Art Prints)
2 Le malheureux facteur (Jacques Tati) de Jour de fête et son vélo, photograph­iés par Robert Doisneau
3 Jacques Tati sur le tournage de Playtime
1 Affiche de Jour de fête, par David Merveille (éditions Nautilus Art Prints) 2 Le malheureux facteur (Jacques Tati) de Jour de fête et son vélo, photograph­iés par Robert Doisneau 3 Jacques Tati sur le tournage de Playtime
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