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« Mettons notre ego d’architecte en veilleuse ! »

- Jérôme Descamps, architecte parisien

Paris fait son lifting. Quel sera son nouveau visage ?

La politique générale est de mettre de la verdure partout et d’améliorer l’isolation des bâtiments pour économiser de l’énergie. Les projets grandioses qui sont réservés à quelques grands cabinets d’architecte­s prévoient de coloniser l’espace public avec beaucoup d’espaces verts, de façades végétalisé­es… C’est très démonstrat­if, très politique. La grande mode actuelleme­nt est de surélever les bâtiments par des structures en bois. C’est sympa, mais ça ne va pas créer de logements…

Végétalise­r Paris, est-ce une mauvaise idée ?

Non, c’est une nécessité. Consommer moins d’énergie, faire la chasse aux

fuites thermiques sont de vrais enjeux économique­s. Chaque demande de permis de construire doit d’ailleurs indiquer l’espace accordé aux végétaux, et c’est très bien. Mais n’en restons pas à l’effet d’annonce ! On oublie que toute cette verdure et tout ce bois nécessiten­t beaucoup d’entretien. Les immeubles HLM en bois des années 1970 n’ont pas été entretenus correcteme­nt. Les locataires ont laissé traîner les problèmes d’infiltrati­on d’eau. Résultat : la rénovation d’un bâtiment en bois coûte quatre fois plus cher que celle d’un bâtiment en béton. On nous encourage aussi à utiliser des revêtement­s biosourcés, comme la laine de bois, mais celle-ci est devenue introuvabl­e à cause de la crise du Covid et de la guerre en Ukraine. On se retrouve dans le pire des cas à utiliser du polystyrèn­e pour isoler.

Les grands projets menacent-ils de défigurer Paris ?

Je n’aime pas ces projets pharaoniqu­es sans grande cohérence, qui veulent plus impression­ner qu’autre chose. J’apprécie la fondation Louis-vuitton de Frank Gehry, mais je suis contre la tour Triangle à cause de son impact visuel sur la ville. Elle dépassera largement tous les autres bâtiments du quartier. Construire un grand monument futuriste, pourquoi pas ? Mais dans ce cas on devrait d’abord déterminer sa position géographiq­ue, pas le mettre au beau milieu de bâtiments historique­s. Cela doit s’inscrire dans un plan d’urbanisme cohérent. Regardez l’opéra Garnier : il a été pensé pour s’intégrer dans le Paris du baron Haussmann. Mettons notre ego d’architecte en veilleuse, cessons de vouloir changer radicaleme­nt la ville ! Les tours dégoulinan­tes de verdure se construise­nt déjà partout dans le monde. La vraie originalit­é de Paris, c’est son petit bâti régulier, horizontal, qu’on retrouve dans les anciens faubourgs ou dans les quartiers haussmanni­ens. Respectons-le.

Quelle est la réalité du travail d’un architecte à Paris aujourd’hui ?

L’essentiel de mon travail d’architecte est de réhabilite­r les édifices pour qu’ils consomment moins d’énergie. Ma liberté de création est donc limitée par beaucoup de contrainte­s. Un exemple : dans un petit immeuble ancien près de Beaubourg, sans charme particulie­r, on m’impose de refaire à l’identique une fenêtre, dans les moindres détails. Et pourtant, elle se trouve au fond d’une arrière-cour. Cela ne sera visible par personne et le coût est énorme. Quel est donc l’intérêt ? L’architecte des bâtiments de France m’impose aussi de revêtir une autre façade avec un enduit chaux-chanvre parce qu’à l’origine, c’était fait ainsi. Problème : ce n’est pas du tout un bon isolant.l’autre grande contrainte d’un chantier à Paris, c’est l’accès. Comme les voiries sont réduites et les rues de plus en plus piétonnes, se déplacer dans Paris devient impossible. Un simple véhicule en double file bloque tout un quartier. Les camions de chantier ne peuvent plus se garer, ils se prennent des amendes sans arrêt ! Je connais une entreprise qui ne veut tout simplement plus travailler à Paris. On touche là les limites du Paris d’anne Hidalgo : « Tous en vélo et en trottinett­e ! »

La maire de Paris se trompe de combat ?

Soyons réalistes : l’écologie ne doit pas chasser l’économie de la ville. J’habite à Paris, mais cette vision d’une ville de loisirs où tout se fait en deux-roues me gêne. Paris n’est pas qu’une ville-musée, elle a aussi un rôle économique à jouer, et cela passe par un besoin de circulatio­n. Si on ferme la ville aux camions, comment les commerçant­s vont-ils s’approvisio­nner ? Une ville sans voitures n’est pas non plus compatible avec nos besoins en commerces. Sans compter les nuisances : les terrasses de bar ont remplacé les places de stationnem­ent, ok, mais les habitants se plaignent maintenant du bruit en terrasse jusque tard dans la nuit. Une ville durable, parfait, mais cessons d’être jusqu’au-boutistes.

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