MAISONNEUVE UN NOM FONDATEUR
Même s’il est associé à l’un des personnages les plus importants de notre histoire, le patronyme Maisonneuve arrive très loin en termes de fréquence au Québec. Ce qui rend d’autant plus fiers ceux qui le perpétuent, comme le journaliste émérite Pierre Mai
Monsieur Maisonneuve, quand on porte un nom comme le vôtre, est-ce qu’on a l’impression d’avoir un lien inné avec l’histoire du Québec?
Oui, c’est évident. Même si je n’ai pas de lien de parenté avec le Maisonneuve en question, puisqu’il était célibataire. Par contre, c’est agréable de porter un tel nom, de le voir comme nom de rue... C’est agréable aussi pour les enfants qui le découvrent, comme ma petite-fille. Ça les surprend, au départ.
À quel endroit avez-vous grandi?
À Terrebonne, là où le premier Maisonneuve a défriché une terre. C’est devenu le Vieux-Terrebonne. Et il s’appelait aussi Pierre Maisonneuve. Il est arrivé en 1699, avec son beau-frère, Pierre Limoges — et ma mère est aussi une Limoges! Moi, je suis de la 10e génération et je suis né là où se trouvaient les terres de Pierre Maisonneuve et de Pierre Limoges! Ce qui est fascinant quand on suit l’histoire, c’est de voir toutes les ramifications, tous les liens qu’on peut établir. Je suis parent avec des Limoges, des Chartrand, des Paquette, des Léveillée...
Dans votre famille, est-ce qu’on parlait beaucoup d’actualité autour de la table?
Oui. Mon père n’était pas sévère du tout, mais je me souviens qu’au début de la télévision il y avait trois moments où il fallait garder le silence dans la maison: pendant Point de mire, animé par René Lévesque, Le Téléjournal et... la lutte! Comme on était 10 enfants, ce n’était pas facile...
Dix enfants, c’est une grande maisonnée...
Vous savez, il y avait une liberté chez nous, on exerçait notre propre autorité. Je me souviens, plus vieux, on louait un aréna pour aller jouer au hockey et on emmenait ma mère, qui n’avait pas toujours la chance de sortir. Elle savait bien qu’après on irait tous au restaurant. Elle aimait ça. Aussi, on avait découvert que si ma mère faisait des crêpes le jour d’un match, on avait des chances de gagner. Alors mon frère, qui était gardien de but, invitait des joueurs à venir manger des crêpes à la maison! Même si on était 10 enfants, à la table, il y avait toujours de la place pour un 11e. Je me souviens aussi que, lorsqu’on rentrait tard, ma mère était encore debout. Non pas pour nous attendre avec une brique et un fanal, mais parce qu’elle était curieuse de savoir comment ça s’était passé.
Quel métier exerçait votre père?
Mon grand-père Joseph a eu neuf fils et il a décidé que tous ses enfants, y compris mon père, seraient menuisiers-charpentiers comme lui. Et ils l’ont tous été. Mon père aurait aimé être avocat, alors il n’a jamais voulu nous enseigner son métier, même s’il
«On a mis des années à se libérer des prédicateurs dans nos églises, et maintenant, on a des prédicateurs dans nos médias qui nous disent quoi penser.»
le pratiquait très bien. Il souhaitait qu’on fasse autre chose.
Qu’est-ce qui vous a attiré vers le journalisme?
En fait, je n’y avais jamais songé! Un jour, un de mes amis a vu que des annonceurs de radio donnaient des cours. Il m’a dit: «Toi, Maisonneuve, tu devrais faire ça.» Je n’avais jamais pensé à ça de ma vie! J’avais 20 ans. J’ai suivi le cours, puis je suis allé à Cornwall, en Ontario, et j’y ai commencé ma carrière. C’était le 17 août 1964. Et je ne l’ai jamais regretté! J’ai toujours su que je n’abandonnerais jamais ce métier-là.
Est-ce que votre père a vu vos débuts au Téléjournal?
Non, pas à Radio-Canada, mais je l’ai emmené un jour dans l’autopatrouille de CJMS. Il m’a alors dit: «Regarde dans quelles conditions vous travaillez: en che- mise blanche, avec de bons équipements.» Mon père était très fier de nous. Il trouvait toujours une façon de parler en bien de chacun de ses enfants. Il avait un regard très positif sur ce qu’on faisait, peu importe ce que c’était.
En près de 50 ans de carrière, vous avez vu le Québec changer. Quels moments, quelles personnalités vous ont le plus marqué?
Je comprends donc, que le Québec a changé! De la procession de la Fête-Dieu à aujourd’hui, il y a tout un monde de différence! J’ai vu la première émission de télévision en 1952. C’était un match de baseball des Royaux de Montréal! Chez les personnalités, je pense à René Lévesque qui, avec son émission Point de mire, nous a fait découvrir des dossiers internationaux. Il y a aussi eu Expo 67. J’étais jeune reporter à CJMS à l’époque. C’était une ouverture fantastique sur le monde, un moment exceptionnel! J’ai aussi couvert toutes les grandes crises linguistiques, la crise d’Octobre, les référendums... Ç’a brassé pendant toute ma vie journalistique. Je trouve qu’on est bien tranquilles aujourd’hui. Quand j’ai vu les gens s’émouvoir du mouvement étudiant, je me suis dit: «Voyons donc! Ce n’est que le retour de choses qui se passaient à la fin des années 60.»
Aimez-vous la façon dont le journalisme a évolué depuis vos débuts?
Ce qui me préoccupe, c’est que le journalisme devienne trop du journalisme d’opinion, de «commentateur». Vous savez, je l’ai déjà dit et je le répète: on a mis des années à se libérer des prédicateurs dans nos églises et, maintenant, on a des prédicateurs dans nos médias qui nous disent quoi penser. Et ils se multiplient. Ça, ça me préoccupe.
Vous auriez pu devenir correspondant à l’étranger, mais vous souhaitiez privilégier la vie de famille...
Je n’ai jamais posé ma candidature, et dans la filière habituelle, j’aurais pu. À tout le moins, exprimer mon désir. Mais j’avais trois enfants, et on ne part pas à l’étranger avec trois enfants. Aussi, ma femme avait un travail ici et, moi, je suis très «famille». J’ai pu faire quelques reportages à l’étranger, mais je pense qu’il y avait assez à manger et à boire dans l’actualité canadienne pour vraiment répondre à mes intérêts. Je ne voulais pas sacrifier la famille pour un travail.
Elle n’a pas dû en souffrir, puisque votre fils Vincent suit désormais vos traces.
Et on n’en avait jamais discuté! Il étudiait en histoire à l’université et il ne m’avait jamais dit que ça le tentait d’être journaliste. Un jour, il est arrivé en me disant qu’il avait changé d’option, qu’il avait été accepté en journalisme. C’était une surprise pour moi. J’aime la façon dont il fait son travail, son sens de l’éthique. C’est sûr que je m’arrête d’une façon particulière lorsque je vois un de ses reportages.
Et que font vos autres enfants?
Mon fils Mathieu est répartiteur, il travaille comme civil, dans une régie de police, et ma fille, Marie-Pierre, est psychoéducatrice.
Vous n’avez plus de micro cet automne. Ça vous démange ou vous aimez cette nouvelle liberté?
J’ai trouvé ça dur, parce que le 1er août, quand Jean Charest a déclenché les élections, c’était le jour de ma retraite officielle à Radio-Canada. J’ai aussi trouvé difficile le début de saison. Comme j’ai fait beaucoup d’émissions quotidiennes, et que j’avais un défi à relever chaque jour, ça demande un certain sevrage. Maintenant, je poursuis ma carrière comme journaliste pigiste en quelque sorte; je peux choisir. Récemment, j’ai donné des conférences sur mon livre,
Vigneault: un pays intérieur, qui porte sur Gilles Vigneault. J’ai l’intention d’écrire, d’agir. Je continue! J’ai des projets. Je suis un journaliste en liberté.