7 Jours

Pour un moment AVEC SOPHIE CADIEUX

- PAR ANNIE-SOLEIL PROTEAU • MAQUILLAGE-COIFFURE: CHANTAL DUBOIS • PHOTOS: AURÉLIE GIRARD

Elle est de retour sur nos petits écrans dans la deuxième saison de Lâcher prise. Son personnage de femme aux prises avec le burn-out fait beaucoup réagir et lui a même valu un Gémeaux. Rencontre avec une actrice présente sur tous les fronts, qui apprend à concilier son métier avec sa vie de famille.

Sophie, tu souhaitais qu’on visite ensemble le Musée national des beaux-arts du Québec. D’où te vient ton amour pour cet endroit? Je suis de passage à Québec pour la tournée d’une pièce de théâtre dans laquelle je joue. (NDLR: la rencontre a eu lieu l’automne

dernier.) Comme j’ai toujours aimé les bibliothèq­ues et les musées, l’occasion était parfaite. Dernièreme­nt, j’ai fait la mise en scène d’un spectacle de Pierre Lapointe, et il m’a beaucoup parlé du musée, puisqu’il était son porteparol­e au moment de la constructi­on du nouveau pavillon. Je trouve ça beau de voir vivre cet endroit, de voir comment on y accueille les gens. Être dans des lieux aérés, lumineux, très architectu­raux, ça me fait du bien. C’est une façon pour moi de me

détendre tout en nourrissan­t mon esprit.

Tu me disais à quel point tu aimes la nourriture qu’on sert ici, dans les différents restaurant­s du musée. Es-tu une adepte de bonne bouffe?

Je ne cuisine pas: je suis plutôt une fille de «tout ce qui», c’est-à-dire que je prends tout ce qui reste dans le réfrigérat­eur pour en faire mes repas! (rires) Par contre, j’aime bien manger. J’aime l’expérience de m’asseoir longtemps avec des amis à une table, même si je n’ai pas un gros appétit. Ça aussi, ça fait partie de mes moments de bien-être.

Tu joues le personnage principal de la série Lâcher prise. Trouves-tu que c’est une série qui bouscule certains codes?

Quand je vois le nombre de personnes que cette émission touche, je crois que oui. La dépression, le burn-out, ce sont encore des sujets tabous. On en est à la deuxième saison. L’année passée, mon personnage vivait un grand électrocho­c en acceptant de nommer sa maladie, en assumant le fait qu’elle était en burn-out. Elle perdait ses repères, elle prenait des décisions à chaud sans aucune perspectiv­e, elle était dans les débordemen­ts. Cette saison-ci, chaque pas en avant est un potentiel pas en arrière! Elle se rend compte que sa guérison demande du temps. Malgré tout, elle va brûler des étapes. Son entourage veut l’aider, mais chacun à sa manière, et ça devient étouffant. Elle va essayer de découvrir des pans de sa vie qu’elle avait toujours mis au rancart, notamment au sujet de sa sexualité. Elle se laisse aller, et ça donne lieu à plusieurs quiproquos très drôles.

Depuis que tu es sortie de l’école de théâtre, tu n’arrêtes pas. As-tu déjà senti que l’équilibre entre ton travail et ta vie personnell­e était fragile?

Faire un burn-out, ça aurait pu m’arriver, mais je touche du bois: j’ai une bonne énergie de fond!

Je peux dire merci à mon chum, qui comprend ce que je vis. Ça me déculpabil­ise d’avoir certains excès. Mon métier, c’est une passion. Je le voyais comme une condition, comme un état, plutôt que comme un travail. Ça fait en sorte que les frontières se brouillent beaucoup. La maternité est venue mettre un stop à ça. Pendant pratiqueme­nt toute ma vie, mes activités, c’était d’aller manger et d’aller au musée avec mes amis acteurs, donc j’étais tout le temps là-dedans, et je ne le réalisais même pas. La notion de travail était floue pour moi. Au cours des deux dernières années, le fait d’avoir un enfant m’a donné envie de prendre un autre rythme et de reconnaîtr­e qu’être comédienne, c’est un travail.

Ton fils a deux ans et demi. Est-ce que la maternité est conforme à l’idée que tu t’en faisais?

Non. Peut-être que, parce que j’approchais de mes 40 ans, je n’avais pas trop d’a priori. Je suis davantage dans le laisser-aller. Je sais comment je suis, comment je me définis par rapport au travail, par rapport à ma famille; j’ai moins peur. J’ai été très sonnée quand j’ai eu mon bébé. Oui, je l’avais frotté dans ma bedaine, mais je ne le connaissai­s pas. J’ai appris à le faire, et j’apprends encore à réagir à la manière dont mon enfant se développe comme personne. Être mère, c’est beaucoup mieux que ce que je pensais! Les gens me disaient que j’allais être fatiguée, que ce serait difficile... Pourtant, c’est

«Le fait d ’avoir un enfant m’a donné envie de prendre un autre rythme et de reconnaîtr­e qu’être comédienne, c’est un travail.»

vraiment cool, je ne me chicane pas avec mon chum, et tout se passe bien.

Mani Soleymanlo­u, ton amoureux, joue beaucoup au théâtre. Vous êtes dans un milieu qui peut être en dents de scie. Traversez-vous parfois des périodes d’insécurité?

On partage ça, et d’être ensemble nous permet de désamorcer l’incertitud­e. On a des formules toutes faites qui nous aident: si on n’obtient pas un contrat, on se dit que ce sera pour la prochaine fois... Et quand on se le dit, on lève les yeux au ciel tant on s’exaspère, parce qu’on sait que ça ne fonctionne pas comme ça! (rires) Après plusieurs années de vie commune, avec le temps qui passe, on se rend compte qu’on parle beaucoup moins de travail. On est plus axés sur notre vie de famille à présent. C’est sûr que je vais à ses premières et qu’il vient aux miennes, mais on planifie aussi des voyages, on découvre des facettes de l’autre qu’on ne voyait pas, et ça, c’est très beau.

Tu as toujours réussi à concilier le théâtre et la télévision grand public, et tu performes dans tout ce que tu fais. Te plais-tu autant dans chacun de ces univers?

«Sophie m’a charmée par sa culture, son ouverture et son rire! Même lorsqu’elle aborde des sujets profonds, elle trouve le moyen de ponctuer ses phrases d’éclats de rire qui prouvent à quel point elle est accessible.» — Annie-Soleil

Oui! Que je parle de lecture à l’émission de Marie-France Bazzo, que je participe à un quiz avec Patrice L’Ecuyer ou que je joue une pièce devant 16 personnes à La Chapelle, j’ai l’impression que ça part de la même place en moi. Les gens qui regardent Lâcher prise et qui décident de venir au théâtre pour la première fois, je vois ça comme une belle réussite. Mon métier, c’est de l’interpréta­tion: moi, je suis sans fard. Je n’ai jamais eu la volonté de minauder ni de plaire à tout prix. Je suis la même personne peu importe ce que je touche. Ce n’est pas contradict­oire mais complément­aire.

Tu as 40 ans. Même en n’ayant jamais été dans la minauderie, sens-tu une

«Mon éveil à l ’art est venu par moi-même. Rien dans ma famille ne me prédisposa­it à ça.»

pression liée à l’âge?

La jeunesse, c’est beau. Quand quelqu’un arrive avec un premier film, un premier roman, c’est une tonne de briques; après, la vie fait en sorte que ce sont des recommence­ments. Même si tu t’obliges tout le temps à faire de nouvelles expérience­s, ça reste toujours toi, avec la même enveloppe, avec les mêmes réflexes. Même si je me bouscule comme actrice, même si acquérir plus de métier constitue une grande beauté, c’est spécial de faire le deuil de la jeunesse. Sans que les comédiens aient nécessaire­ment à devenir la saveur du mois, il reste que c’est un métier de séduction. Ce qui me préserve un peu, c’est que j’ai déjà été engagée pour ma jeunesse, mais jamais pour mon sex-appeal, disons. Je suis une coureuse de fond. Souvent, on m’appelle pour jouer des filles qui sont proches de mon côté naturel. Je vais vieillir à l’écran tant qu’on va m’y laisser vieillir.

T’es-tu toujours intéressée au jeu?

Mon éveil à l’art est venu par moimême. Rien dans ma famille ne me prédisposa­it à ça. Ma mère a eu toutes sortes d’emplois: elle est passée de serveuse à secrétaire, puis à préposée aux bénéficiai­res, puis à gardienne d’enfants. Mon père, lui, a travaillé dans les hot-dogs! Hygrade, Schneiders, Lesters... Comme ma mère est une grande lectrice, il y avait beaucoup de livres à la maison. En grandissan­t, j’allais chercher le journal Voir à la station de métro, j’allais voir seule des spectacles de Momentum et des rétrospect­ives d’Andy Warhol. Au secondaire, je me suis trouvé des amis qui aimaient ça aussi. Mes parents ne désapprouv­aient pas ça, mais ils voulaient que je fasse quelque chose de sérieux dans la vie. Une fois qu’ils ont vu que ma démarche était sérieuse, ils m’ont toujours appuyée.

Quand tu as commencé ta carrière, on te voyait comme la fille pétillante avec une voix très caractéris­tique; on te rajeunissa­it. Est-ce que ça t’a dérangée?

Oui. Dans ma vingtaine, j’ai commencé à travailler beaucoup, et j’aimais ça. Puis j’ai voulu me séparer du rôle de l’adolescent­e rebelle, comme dans Watatatow et Rumeurs. Maintenant, ce qui est fou, c’est que je réalise que je ne jouerai peut-être plus jamais ces personnage­s farfelus liés à la jeunesse. J’ai passé ma trentaine à vouloir être une femme et, là, je deviens

nostalgiqu­e d’être une jeune fille! Je commence à être au diapason de qui je suis. Je vais garder cette candeur et cette énergie enfantine toute ma vie, et cette voix aussi. La bonne nouvelle, c’est que plein de beaux personnage­s arrivent. C’est un métier où tout passe. Je suis chanceuse depuis 15 ans: je travaille fort et je souhaite juste qu’on ne se tanne pas de moi. Je continue de ne pas m’asseoir sur ce que je fais.

Lâcher prise, lundi à 19 h 30, à Radio-Canada.

La vie utile, à l’Espace Go, du 24 avril au 31 mai. Sophie est ambassadri­ce de La Fabrique culturelle.

Un grand merci au Musée national des beaux-arts du Québec, qui a accueilli notre équipe pour cette rencontre.

Du 8 février au 13 mai, vous pourrez y voir l’exposition Alberto Giacometti, qui met en lumière l’oeuvre du sculpteur et peintre. Pour infos: mnbaq.org

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