7 Jours

MARIANA MAZZA

À 27 ans, Mariana Mazza navigue dans le showbiz avec l’aisance d’une vieille routière. Elle se confie à notre collaborat­rice Pascale Wilhelmy sur sa relation avec le public, ses ambitions et ses rêves.

- PHOTOS: KARINE LÉVESQUE MAQUILLAGE-COIFFURE: ÉTIENNE BERGERON

Elle est là, assise à la table. La ponctualit­é est l’une de ses priorités. Elle arrive 10 minutes d’avance à chaque rendez-vous. Avec ses cheveux en queue de cheval, elle a l’air d’une gamine. Pourtant, à 27 ans, Mariana joue déjà dans la cour des grands. Elle connaît un succès, avec 200 000 billets vendus en une seule année pour Femme ta gueule. Cette entrevue a sans doute été l’une des plus faciles de ma carrière tellement cette humoriste n’a pas peur de s’exprimer. Et pas une seule fois j’ai eu envie de lui dire de se taire, tant ses propos étaient pertinents.

Mariana, tu souhaites que nous commencion­s notre rencontre avec la phrase suivante: «Je n’ai pas de phrases-chocs.»

Oui, parce que ça va bien. Je poursuis mon chemin et je suis heureuse. En fait, actuelleme­nt, je fais le récapitula­tif de ma vie. Ç’a été très vite, et je ne savais pas trop comment j’allais prendre tout ce qui m’est arrivé. J’avais peur du moment où j’allais prendre du recul, mais je me rends compte, aujourd’hui, que tout va bien; mes shows vont bien, ma santé va bien, ma vie privée, amicale et familiale va bien... C’est pour ça que je n’ai pas de phrases-chocs.

À seulement 27 ans, tu connais vraiment un énorme succès...

Oui, et ça m’a dépassée. Parfois, je manque de recul. J’arrive tout juste à accepter ce que je fais. On ne peut pas juste entrer dans le show-business, avoir rapidement du succès et ne pas penser que quelque chose va mal aller. J’ai été longtemps convaincue que ça allait mal aller. Au début, j’ai dû traverser quelques phases d’adaptation, dont celle d’être reconnue par les gens. Les gens m’arrêtaient, me parlaient, et je paniquais. Pour me protéger, je restais chez moi. Puis là, le contact du public me manquait; il fallait que je sorte. J’ai dû trouver le bon dosage. Maintenant, je me suis adaptée. J’aime ce contact.

Et quelles ont été tes autres difficulté­s d’adaptation?

J’ai aussi traversé la phase du «Je veux tout». C’est plus fort que moi, je suis comme ça. Je veux tout essayer. J’ai eu la chance d’avoir un bon timing dans mon parcours. J’ai pu essayer la télévision, le cinéma, les spectacles. Mais, au fond, est-ce que je veux tout? Non. C’est l’idée que j’avais: je voulais tout faire tout de suite pour savoir ce que j’aime et ce que je n’aime pas.

As-tu l’impression que ça s’est déroulé trop rapidement?

Pour ma carrière, non, mais pour mes émotions, oui. Ç’a été trop vite, parce que je n’ai pas eu le temps d’apprécier chaque étape. Encore aujourd’hui, j’aurais tellement envie de ralentir. Mais, en même temps, c’est ce que je voulais. Je suis intense, excessive. J’ai été prise à mon propre jeu. J’aurais aimé profiter de mes expérience­s en télévision et au cinéma.

« Au début, les gens m’arrêtaient, me parlaient, et je paniquais. Maintenant, je me suis adaptée. J'aime ce contact.»

D’ailleurs, nous t’avons vue dans les deux succès de l’été: Bon Cop Bad Cop 2 et De père en flic 2. Dans les deux cas, ta présence était remarquabl­e.

J’ai aimé ces expérience­s, mais c’était difficile. Le cinéma est très exigeant, et c’est long. On doit changer les textes, apprendre à jouer un personnage, côtoyer des gens qu’on aime — ou pas —, s’adapter à un horaire,

conjuguer avec les imprévus... Moi, dans la vie, je suis comme un soldat: je n’arrive jamais en retard, je respecte mes horaires, je suis très à l’ordre. J’ai réalisé qu’un plateau de tournage, ce n’était pas pour moi. Si on me dit qu’on va avoir deux heures de retard, je deviens folle!

Était-ce la même chose avec la télévision?

Je suis contente, car j’ai joué à la télévision. J’ai adoré ça aussi, mais je me rends compte que, profondéme­nt, la chose avec laquelle je suis le plus en amour et dont je ne me tanne pas, l’endroit où je peux toujours évoluer, apprendre et me sentir meilleure, c’est la scène. C’est l’unique place où j’aime être seule. J’ai le contrôle de tout: mes émotions, mon talent, mon corps, ma tête, mes énergies... Je n’ai pas d’angoisse. J’arrive dans ma loge, je me présente sur scène, je me donne. J’ai le contrôle. Après, je prends des photos, je parle avec les gens, et ils sont heureux. Je rentre à la maison et je suis fière. Je n’ai pas à m’inquiéter de quoi que ce soit; j’ai fait mon travail.

Tu aimes donc travailler seule...

Dès qu’il y a beaucoup d’interactio­ns avec plusieurs personnes, j’ai souvent ce mauvais don de me mettre les pieds dans les plats. Des fois, je peux dire quelque chose à quelqu’un sans réaliser, sur le coup, que c’est méchant. Et là, dès que j’ai des journées de promotion, j’angoisse. Je me demande si j’ai bien fait les choses...

As-tu dû apprendre à être gentille avec le public?

Non, non! J’ai toujours été gentille avec les gens et très disponible! Je n’ai jamais manqué une seule séance de photos, sauf une fois où j’avais un tournage très tôt le lendemain. Sinon, je passe une heure, une heure et demie après mon spectacle avec le public, et je suis de bonne humeur. Faire de l’humour, ce n’est pas juste de donner un spectacle de 90 minutes. Après le show, je prends 10 minutes pour me changer, me poudrer et prendre une gorgée d’eau, puis je vais prendre des photos. Tous les soirs, je reste pour les gens. Ils veulent me parler. C’est ça, la beauté du Québec: on est accessible­s, et j’aime ça.

Tant mieux...

Je me sentirais trop mal de ne pas le faire. Je n’ai aucune excuse. Et les journées où j’ai moins envie — parce qu’il y a aussi des journées où j’ai moins envie — parce que je suis malade, que j’ai fait plein d’entrevues dans la journée, mon directeur de tournée me dit: «Mazza, n’oublie pas que la petite fille de 16 ans, ça fait un

« Dans la vie, je suis comme un soldat. Je n’arrive jamais en retard, je suis très à l’ordre.»

an qu’elle attend pour te voir.» Et, tout de suite, je dis: «OK, je suis prête!» Elle est tout le temps là, la petite fille de 16 ans. Et elle est là, oui pour voir le show, mais aussi pour avoir sa photo. Elle veut me prendre dans ses bras. Ça, c’est énorme. Je suis un phénomène populaire. Ce n’est pas juste artistique. Il faut aller dire merci aux gens. C’est grâce à eux que les billets pour certains spectacles sont sold out depuis deux ans, alors c’est la moindre des choses de rester. Cette carrière-là, si elle va bien, c’est en partie à cause de mon talent, mais c’est aussi en partie parce que j’aime les gens.

Tu es aussi un modèle pour la prise de parole...

Je ne sais pas si je suis tant un modèle, mais je suis une source d’inspiratio­n pour certaines personnes. Pas par prétention ni pour provoquer, mais juste parce que j’ose brusquer. Je suis une inspiratio­n pour des gens qui ont voulu avoir une voix, afficher leurs couleurs. Je dis des choses que beaucoup de gens n’osent pas dire. C’est le fun pour les jeunes, mais aussi pour les plus vieux; il y en a beaucoup qui viennent me voir.

Tu as élargi ton public...

Oui, mais ça fait juste six ans que je fais ça! Les gens ont l’impression que ça fait 25 ans. En même temps, je suis là et je prends tellement de place! Tu le sais, quand j’arrive quelque part, il faut que je fasse du bruit, parce que je manque d’attention. Mais n’écris pas ça dans le titre de l’article!

On t’a vue nue, il y a quelques mois, à la une d’une publicatio­n. Tu inspires d’ailleurs par ta manière d’accepter ton image, ton corps...

C’est faux: je ne vais jamais accepter mon corps! Aucune femme sur la planète ne va accepter son corps! On est toutes des complexées! Après, c’est de déterminer à quel degré on est bonne pour faire semblant. Moi, je suis très bonne pour faire semblant! Je suis amie avec les plus belles filles du Québec, et elles ne sont jamais satisfaite­s. Moi, je m’accepte, surtout parce que j’ai grandi avec des garçons et que j’ai toujours été l’amie gentille, pas l’amie belle. Quand tu te fais dire que t’es cute, à la place de t’es belle, tu t’habitues. Et je me rends compte qu’il y a plus de gens qui ont mon corps. Je suis dans la moyenne: je ne suis pas la plus mince, pas la plus grosse. Mais est-ce que je gagne ma vie parce que je suis belle ou parce que je suis talentueus­e? C’est constammen­t ça que je me dis.

Tu sais, par contre, que tu peux aider les gens...

La une du Voir, où j’étais nue, je l’ai faite pour me libérer. Je ne l’ai pas faite pour aider les autres, ça serait te mentir; je l’ai faite pour moi. On a chacun nos moments. On se trouve grosse, pas bien, puis après, on s’aime. En passant, ce ne sont pas seulement les filles qui vivent ça; les hommes aussi. Ce qui est bien, c’est qu’en tant qu’humoriste, ce n’est pas notre image que l’on vend. C’est notre caractère, l’écriture, les angles que l’on prend, la façon qu’on ose... Tout est dans les propos. Et c’est ce qui est génial, en humour: je suis connue pour mes propos, pas pour mon corps.

As-tu du temps pour ta vie personnell­e, ta famille et tes proches?

Là aussi, il m’a fallu une période d’adaptation. Ça n’a pas été facile d’accepter qui je suis, autant publiqueme­nt qu’en privé. Mon mode de vie est différent, mais je vois très souvent mes proches. Tous les dimanches, je soupe avec mes amis. Je fréquente souvent ma famille. Je passe aussi du temps seule à lire, à regarder des séries, et je vais au cinéma. Je marche, je joue au tennis, je m’entraîne... J’ai trouvé des idées pour m’occuper et être bien dans ma tête, pour éviter d’être constammen­t en train de me dire: «Je dois écrire, je dois écrire!» Il faut aussi vivre pour écrire.

Tu as reçu, cet automne, l’Olivier de l’humoriste de l’année. Tu es la première femme, depuis Lise Dion — mais aussi la plus jeune humoriste —, à recevoir cet honneur. Est-ce que ça t’a motivée encore plus?

Au début, ç’a été l’inverse. J’ai pleuré pendant une semaine. Je suis à l’âge où je veux tout. J’aurais eu les cinq trophées que ça n’aurait pas été assez! J’ai goûté au succès, et c’est une vraie drogue. Mais ça ne m’est pas monté à la tête. Au contraire, ce prix m’a «groundée». Je me suis dit: «Oh! mon Dieu! Les gens m’aiment pour vrai.» Je me suis rendu compte qu’avec le spectacle, j’avais bien fait de couper mes autres activités pour me donner pleinement sur la scène. J’ai mis un frein à plein de trucs pour exceller. Ce prix me l’a fait réaliser, mais ça m’a pris du temps à l’accepter.

Pourquoi?

J’ai gagné, oui; le prix du public, c’est énorme, et je suis reconnaiss­ante. Mais il a fallu que j’accepte de ne pas avoir reçu un seul prix de l’industrie. (Lors du dernier Gala Les Olivier, l’humoriste était en nomination dans cinq catégories.) J’ai dû essayer très fort de le comprendre. Je pense — non, je sais — que j’ai eu une très belle année, que j’ai un excellent spectacle, mais je n’ai rien reçu de l’industrie. J’ai vu tous les shows nommés, et ils sont excellents. J’étais contente pour eux mais, honnêtemen­t, pendant la soirée, j’étais démolie. Je me disais que la reconnaiss­ance du public, je l’ai tous les soirs. Mais la reconnaiss­ance de l’industrie, je n’ai jamais su si je l’avais. Et on la cherche, en début de carrière. On veut tous être reconnus par nos pairs, c’est humain. Ç’a été une grande leçon d’humilité et de reconnaiss­ance pour ce que j’ai reçu.

Et pour la suite, quels sont tes plans?

Je veux poursuivre le chemin que je me suis tracé. Je pars avec ma mère et mon frère dans le Sud, en mars. Cet été, j’aimerais repartir en voyage. À l’automne, ma tournée va se poursuivre. Je veux continuer l’écriture de mon prochain spectacle et continuer à prendre le temps de vivre. Tu vois, c’est complet comme programme!

Pour connaître les projets et les dates de spectacles de Mariana, rendez-vous sur son site: marianamaz­za.com.

« La chose avec laquelle je suis le plus en amour, l’endroit où je peux toujours évoluer et apprendre, c’est la scène.»

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 ??  ?? Par Pascale Wilhelmy
Par Pascale Wilhelmy
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 ??  ?? Sur la scène de son spectacle Femme ta gueule. Au dernier Gala, elle a remporté l’Olivier de l’humoriste de l’année. Dans le film
Bon Cop Bad Cop 2. Dans De père en flic 2.
Sur la scène de son spectacle Femme ta gueule. Au dernier Gala, elle a remporté l’Olivier de l’humoriste de l’année. Dans le film Bon Cop Bad Cop 2. Dans De père en flic 2.

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