7 Jours

Le dernier DES GRANDS!

- PAR STEVE MARTIN

Ce n’est pas qu’un chanteur qui s’est éteint cette semaine, mais toute une époque de la chanson française. Charles Aznavour a laissé sa trace dans le monde grâce à ses inoubliabl­es compositio­ns, particuliè­rement au Québec, dont il a autrefois fait sa terre d’adoption.

UNE (FUTURE) STAR EST NÉE!

C’est au printemps 1924, à Paris, que la future star de la chanson française voit le jour. Ses parents, le baryton Mischa Aznavouria­n et la comédienne Knar Baghdassar­ian, comptaient s’installer aux États-Unis après avoir fui le génocide perpétré par les autorités turques en Arménie, mais la naissance du petit Charles, alors qu’ils attendent toujours leurs visas, vient chambarder leurs plans. Ils décident alors de s’installer dans la Ville Lumière et d’ouvrir un modeste restaurant afin de subvenir à leurs besoins.

LA NAISSANCE D’UNE PASSION

Dans cet établissem­ent où les artistes de l’époque — poètes, chanteurs et acteurs — se retrouvent régulièrem­ent autour de la tablée, le père du garçon prend parfois le micro afin de divertir ses convives. C’est sans doute parce qu’il baigne dans cet univers fertile que, très tôt, Charles ressent le désir de devenir lui-même un artiste.

Il passe d’ailleurs ses premières auditions à l’âge d’à peine neuf ans. Il coupe alors une syllabe à son nom de famille pour devenir Charles Aznavour. Après avoir fait son entrée au Théâtre du Petit Monde, il décroche quelques petits contrats sur scène avant de faire, en 1941, une rencontre qui va changer sa vie...

DES DÉBUTS MODESTES

Avec l’auteur-compositeu­r Pierre Roche, Charles forme un tandem prolifique. Le duo se produit fréquemmen­t sur scène et compose des chansons pour d’autres artistes. Tombée sous le charme d’Aznavour et de son complice, la grande Édith Piaf donne, en 1946, un coup de pouce inespéré aux deux garçons en les invitant à la suivre en tournée en France et aux États-Unis avec la troupe des Compagnons de la chanson. Or, malgré ce prestigieu­x parrainage, le succès tarde à venir pour le duo Roche-Aznavour.

«MONTRÉAL, NOUS VOILÀ!»

En 1948, Charles et Pierre s’installent à Montréal, où ils se produisent durant un an et demi, dont 40 semaines au cabaret Le Faisan Doré. Pierre s’étant lié à la chanteuse Aglaé, il choisit de s’installer pour de bon au Canada. Envisagean­t de faire de même, Charles se laisse finalement convaincre par Piaf de retourner en Europe et de se lancer dans une carrière solo. Mais il n’oubliera jamais la Belle Province pour autant. Véritable amoureux du Québec, il nous a visités à de nombreuses reprises au fil des ans, notamment en 2008 dans le cadre du 400e anniversai­re de la Vieille Capitale. «Je suis arrivé ici comme “un maudit Français” mais, très vite, je suis devenu presque un Québécois», dira-t-il en recevant l’insigne d’officier de l’Ordre national du Québec, en 2009.

LA RECONNAISS­ANCE, ENFIN!

Boudé et parfois même chahuté sur scène, Charles Aznavour ne connaît pas le succès espéré quand il fait ses premiers pas en solitaire. En 1953, cependant, le vent tourne lorsque le public marocain lui réserve un accueil triomphal à Casablanca. Cet engouement inattendu lui permettra par la suite de se faire remarquer par les bonzes du showbiz parisien et de monter sur les scènes du Moulin Rouge et de l’Olympia de Paris où, en 1955, il fera la première partie du clarinetti­ste Sidney Bechet. C’est à cette époque qu’il grave sur disque ses premiers grands succès, dont Je m’voyais déjà.

Or, c’est véritablem­ent dans les années 1960 qu’il bâtit sa renommée. Il enchaîne alors la majorité des succès que nous fredonnons toujours aujourd’hui: Tu t’laisses aller, Les comédiens, Il faut savoir, Emmenez-moi, La Mamma, Et pourtant, For Me Formidable, Que c’est triste Venise et, bien sûr, La bohème, lancée en 1965. Son succès dépasse même les frontières de l’Hexagone. En 1963, il est invité à se produire au mythique Carnegie Hall, à New York.

L’HOMME AUX 1000 CHANSONS

Au cours de sa carrière, Aznavour a signé plus de 1000 chansons composées dans cinq langues, et vendu au-delà de 100 millions d’albums. En plus d’Édith Piaf, il a notamment collaboré avec Gilbert Bécaud, Johnny Hallyday, Sylvie Vartan et Eddy Mitchell. Il a également joué au cinéma dans des films de Chabrol, Lelouch et autres réalisateu­rs de prestige. Quelques-uns de ses airs ont par ailleurs été repris dans la langue de Shakespear­e par Frank Sinatra, Ray Charles et bien d’autres.

Il ne fait aucun doute que celui qui est décédé dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre à son domicile des Alpilles, à l’âge vénérable de 94 ans, a mené une vie bien remplie et nous laisse un héritage incommensu­rable. Jeunes et moins jeunes continuero­nt de fredonner ses plus grands classiques encore longtemps.

«L’Arménie est mon âme et le Québec est plutôt mon coeur.»

— CHARLES AZNAVOUR, ALORS QU’IL ÉTAIT INVESTI À TITRE HONORIFIQU­E AU SEIN DE L’ORDRE DU CANADA, EN 2008.

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Le chanteur, en 1972.
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À environ 12 ans, le jeune homme rêvait déjà d’une carrière sur les planches.

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