7 Jours

Marie-Eve Janvier

Parce qu’elle a vécu auprès d’un petit frère malade, Marie-Eve Janvier sait ce qu’est la réalité des fratries touchées par la maladie. Dans cet entretien, elle revient sur son enfance, son lien avec son frère décédé du cancer et sa réalité de mère, qui lu

- PHOTOS: DANIEL AUCLAIR

SENSIBLE À LA CAUSE DES ENFANTS MALADES

Marie-Eve, depuis quand t’impliques-tu pour le Grand sapin?

Je m’implique depuis le début du Grand sapin en 2008, mais c’est ma première année à titre de porte-parole. J’ai toujours été près de la cause. Tout ce qui touche les enfants malades, ça m’atteint. Sainte-Justine a longtemps été notre deuxième maison, surtout pour mes parents et mon frère. Je comprends ce que vivent les familles: les parents, les enfants, mais aussi les frères et soeurs. J’ai d’ailleurs tourné une capsule avec une grande soeur, Keisha, pour parler de la fratrie, un sujet qu’on n’aborde pas souvent.

Parce que la maladie d’un enfant affecte toute la famille...

Effectivem­ent. Quand on dit que c’est toute la famille qui vit la maladie lorsqu’un enfant est malade, c’est vrai. Je ne l’ai pas vécu en tant que mère, mais je l’ai vécu en tant que grande soeur. Je me suis toujours donné un rôle de deuxième maman. Je n’étais pas la mère de mon frère, mais je me donnais une responsabi­lité auprès de lui. La maladie a été présente dans sa vie dès l’âge de neuf mois, et jusqu’à ses trois ans. Elle est revenue une vingtaine d’années plus tard. Mon frère est décédé à l’âge de 26 ans. J’ai donc vécu cette réalité deux fois. Au début, je ne comprenais pas trop, mais on me demandait d’être une grande fille. La priorité était mon frère.

Dirais-tu qu’un enfant malade au sein de la famille force les frères et soeurs à devenir responsabl­es et matures plus rapidement?

Tout à fait. On comprend vite que la vie est fragile. Je me souviens que lorsque j’étais enfant, mon frère était en chimiothér­apie. Il n’était pas hospitalis­é, il vivait à la maison. Un jour, mes parents ont vite sauté dans la voiture pour l’emmener à l’hôpital. Je suis restée avec mes tantes et mes grands-parents. On vit quotidienn­ement avec cette fragilité.

Ta rencontre avec Keisha a-t-elle mené à un bel échange?

Oui. Même si nous n’avons pas la même histoire, nous vivons les mêmes

«Cette année, j’ai expériment­é. J’ai plongé et me suis mise en danger. Ça fait peur, mais ça fait du bien.»

émotions. Ce que Keisha me racontait, je le vivais, je le comprenais. Quand je vois un enfant malade, je pose rapidement mes yeux sur la fratrie, car je sais qu’elle vit quelque chose de spécial et qu’on l’écoute rarement. Ce n’est pas négatif, c’est sans jugement, mais l’attention va à l’enfant malade, et c’est normal. Keisha, tout comme moi, est une aînée. Sa petite soeur de 12 ans est malade. La famille va vivre des fêtes particuliè­res. Notre échange m’a fait du bien.

Lui as-tu donné des conseils?

Non, mais je lui ai raconté mon histoire. Ça m’a fait du bien de lui parler de ma réalité. Je voyais qu’elle comprenait ce que j’avais vécu. Ça m’est rarement arrivé de connecter autant avec quelqu’un qui vit la même chose. Je le partage aujourd’hui avec ma soeur, qui a vécu la deuxième phase de la maladie de mon frère. Elle n’était pas née lorsqu’il est tombé malade la première fois. Aujourd’hui, nous vivons le deuil ensemble. Keisha et moi, nous ne nous connaissio­ns pas, mais, tout de suite, nous sommes allées au plus profond de nousmêmes pour partager nos sentiments, nos peurs et nos espoirs. Je lui ai suggéré de ne pas s’oublier. Nous ne sommes pas des superhéros… Moi, ma carapace a craqué un jour parce qu’il faut nécessaire­ment qu’elle craque à un moment donné.

Dans quel contexte a-t-elle craqué?

Ça s’est produit deux ans après la mort de mon frère. C’est comme si tout le monde autour de moi s’était déposé, que la douceur commençait à s’installer dans nos vies. C’est à ce moment-là que je me suis permis de vivre la frustratio­n, la colère et la tristesse que je ressentais. J’ai laissé tomber les gants, j’ai laissé tomber ma carapace de protection. J’ai accueilli la douleur. C’était comme un échec. C’est terrible de se dire: «Finalement, il est mort. Nous n’avons pas réussi…»

Arrive-t-on à transcende­r ce sentiment, un jour?

Oui. On nous avait dit qu’un jour, ça allait être doux, et c’est vrai. En tant que soeur, je ne ressens plus le besoin de pleurer mon frère tous les jours. Mais, parfois, je suis happée par l’émotion au moment où je m’y attends le moins. Nous avons eu un repas en famille l’autre jour. Ma soeur est enceinte, ma fille a fait une blague, et... j’ai vu mon frère. Une bulle de tristesse s’est emparée de moi. Il faut la laisser passer.

Es-tu restée cette jeune fille responsabl­e que tu as toujours été?

C’est plus fort que moi… Je crois que j’étais déjà une fille responsabl­e, mais avoir eu un frère malade a renforcé cette facette de ma personnali­té. Cela a contribué à faire la femme que je suis aujourd’hui, de même que la mère que je suis pour ma fille et la blonde que je suis pour mon amoureux. Je suis ce que je suis grâce à mon frère. Dans chaque moment difficile, il y a du bonheur. Il faut être reconnaiss­ant de la vie qu’on a. Je remercie la vie tous les jours d’avoir une petite fille en santé. Je sais que, demain, ça pourrait être différent.

Parle-nous de l’année qui vient de s’écouler.

Je suis reconnaiss­ante pour tout ce qui se passe dans ma vie. Je suis heureuse. J’ai eu une année folle avec la radio à Rythme FM. Ç’a été un beau défi! L’amour est dans le pré va bien... Cette année, j’ai expériment­é, j’ai poussé des projets en lesquels je croyais, comme si je m’étais connectée à nouveau à ma petite voix intérieure. J’avais le goût de m’écouter, de me faire confiance. J’ai plongé et me suis mise en danger. Ça fait peur, mais ça fait du bien. Nous avons aussi déménagé cette année, nous avons rebrassé les cartes, en quelque sorte.

Et ta petite Léa, comment va-t-elle?

Elle a deux ans et demi. C’est quelque chose! Sa personnali­té se forge. Elle s’assume. Elle est mignonne! Elle aime la musique. Elle aime danser. Elle me rappelle souvent qu’elle est une grande fille... (rires) Je l’adore! À un point tel que ça fait mal! Aujourd’hui, je suis plus en mesure de comprendre ce que mes parents ont vécu. Je me suis rendu compte que j’allais m’en faire pour Léa toute ma vie.

Marie-Eve invite la population à faire preuve de solidarité et à allumer des lumières d’espoir dans le Grand sapin afin de soutenir la Fondation du CHU Sainte-Justine. La campagne se déroule du 3 au 13 décembre. Info: legrandsap­in.org

L’incroyable retour, du lundi au jeudi dès 16 h, à Rythme FM.

L’amour est dans le pré, de retour à l’hiver 2019, à V.

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Marie-Eve Janvier
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 ??  ?? UNE RENCONTRE MÉMORABLE! Marie-Eve a vécu un échange riche en émotions avec Keisha, qui est elle aussi la grande soeur d’une enfant malade.
UNE RENCONTRE MÉMORABLE! Marie-Eve a vécu un échange riche en émotions avec Keisha, qui est elle aussi la grande soeur d’une enfant malade.

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