7 Jours

PATRICK HUARD

Grâce à la série Les honorables, offerte sur Club illico, le comédien effectue son grand retour au petit écran. Rencontre avec un homme qui pose un regard plein de sagesse sur sa cinquantai­ne et ses 30 ans de carrière.

- Par Michèle Lemieux

Patrick, comment décrirais-tu ce personnage que tu incarnes dans la nouvelle série Les honorables?

C’est un juge dont l’exfemme est aussi juge. Ils ont perdu leur fille de 18 ans lors d’un crime violent. Lorsque le système de justice relâche le présumé coupable, on fait face à un juge et à un père brisé, à un mari seul qui a été abandonné par sa femme. Au moment où la série commence, on voit la vie d’une personne qui vient de se briser. On verra comment il va s’en sortir ou non. Il est toujours seul, ou presque, et obsédé par son travail, auquel il ne croit plus. Il s’est senti abandonné par tout ce qu’il a représenté. Brisé par la perte de sa femme et de sa famille. Ajoutons à cela que la relation avec son fils est très mauvaise.

Pourrait-on qualifier cette famille de dysfonctio­nnelle?

Tout à fait. Chacun des membres est dans son coin pour différente­s raisons. Ce qui l’unit et la déchire à la fois, c’est cette jeune femme qui est décédée. C’est une absente. C’est le carrefour de toutes les émotions des personnage­s durant la série. On assiste à une quête de vérité: on veut savoir ce qui s’est véritablem­ent passé, comment, pourquoi, etc. Durant ce processus, les membres de la famille apprennent plein de choses les uns sur les autres. Des secrets sont dévoilés. Comme spectateur, il y a beaucoup de matière. On parle beaucoup du côté émotif, mais c’est aussi une série très prenante. On veut toujours savoir ce qui s’est passé, qui va réagir comment, qui va faire quoi. C’est vraiment intéressan­t et agréable à jouer.

Ce personnage marque ton retour au sein d’une série. As-tu senti qu’il était attendu?

C’est drôle parce que l’année dernière, lorsque Bon cop est sorti en salle, j’étais partout, mais littéralem­ent partout! Sur les billboards, les derrières d’autobus, les côtés de taxis. Moi-même, je n’étais plus capable de me voir la face! Puis, les gens se sont mis à me dire: «Mais qu’est-ce que tu fais? On ne

te voit plus!» alors que j’avais été au cinéma tout l’été! (rires) Ça me touche beaucoup que les gens me disent ça. J’ai toujours peur du moment où les gens seront tannés de me voir la face…

Tu n’as pas l’air parti pour ça.

On ne sait pas… Tout ça, c’est relatif. Aujourd’hui, c’est comme ça, demain ça peut être autre chose. Je ne tiens rien pour acquis. Je ne suis pas paranoïaqu­e non plus. Je ne reste pas couché en boule chez nous. J’apprécie chaque moment. Je comprends que je suis un privilégié. Ça fera bientôt 30 ans que je fais ce métier. Je suis conscient de ce privilège et je l’apprécie. Je sais qu’un jour il ne sera plus là, et c’est correct. Il y a plein de jeunes qui sont là et qui sont extraordin­aires. À un moment donné, c’est dans l’ordre des choses.

As-tu envisagé qu’un jour viendra peut-être où c’est toi qui décideras de faire les choses différemme­nt ou à un autre rythme?

Oui, je fais autre chose: j’écris, je produis. Je vais gagner ma vie quand même. Produire, c’est important pour moi, d’abord parce que d’un point de vue créatif, j’aime ça. Je travaille avec les équipes de créateurs et avec les auteurs. Nous montons des projets, nous inventons des choses. Au niveau du travail de production, je fais un travail de producteur, mais sans avoir à assumer l’organisati­on au jour le jour. J’ai des gens qui font ça avec moi et qui sont bien meilleurs que moi pour ça. Moi, je travaille plus au niveau de la vision, de la gestion. Ça me passionne. J’aime travailler en équipe. J’adore travailler avec des auteurs, les stimuler, les encourager. Ça me rend très heureux.

Faut-il rappeler que ta maison de production porte le nom de ta fille?

Exact, mais Jessie n’est pas impliquée dans l’entreprise. Elle veut faire autre chose. C’est une artiste, elle a une plume extraordin­aire, mais elle est de retour aux études. Elle a d’autres ambitions, et c’est très bien ainsi.

Tu as annoncé que tu produiras un projet de ta blonde. De quoi s’agit-il?

Oui, Anik a écrit un film avec Benoit Chartier et Sébastien Ravary sur le milieu de la coiffure. C’est un projet que nous allons déposer bientôt. Il faudra voir si le financemen­t est accepté.

Si tu produis ta blonde, c’est parce que vous travaillez bien ensemble?

Anik et moi, nous travaillon­s super bien ensemble! Mais vraiment très très bien. Ce n’est pas la première fois que nous avons l’occasion de le faire. C’est Anik qui a fait la musique de Bon cop, elle a aussi fait la musique de mon show. On s’est connus en travaillan­t, au milieu des années 2000. Je faisais la mise en scène d’un show d’Éric Lapointe sur lequel elle travaillai­t. C’est comme ça que nous nous sommes connus: en travaillan­t ensemble.

Cette complicité profession­nelle est donc restée entre vous?

Oui. Pour nous, c’est naturel. La compagnie de production est toute petite, j’aime bien que ça soit ainsi. Anik ne travaille pas que sur ses projets, elle travaille avec moi à Jessie Films. C’est un business familial qu’on monte tranquille­ment. Nous allons développer des projets de télé et de cinéma. Nous développon­s actuelleme­nt la création d’une nouvelle image avec Roy & Turner Communicat­ions, avec qui je travaille depuis maintenant 25 ans.

Serais-tu un fidèle dans l’âme?

Oui, je suis ainsi. Nous avons une belle équipe. Ça me rend heureux, ça me met de bonne humeur et ça me permet de travailler sans toujours être dans l’attente d’un coup de téléphone. Comme je n’attends pas qu’il sonne, s’il ne sonne plus, je ne m’attendrai pas à ce qu’il sonne… (rires) Tu comprends ce que je veux dire?

«Anik et moi, nous travaillon­s super bien ensemble... C’est comme ça que nous nous sommes connus.»

Trente ans de métier, ce n’est pas rien!

Je n’en reviens pas! Je trouve ça extraordin­aire! Je regarde tous les projets que j’ai faits et je suis fier.

Et tout cela, faut-il le rappeler, tient à l’amour du public...

Tout à fait. Ce sont mes boss. Lorsque j’étais jeune, je disais que je voulais être un artiste pour ne pas avoir de boss… J’en ai des millions! (rires) Et ici encore plus qu’ailleurs. Ce que nous offrons aux gens est créé à partir de fonds publics. Cela ajoute une responsabi­lité supplément­aire, à mon avis.

Avoir réussi à rester dans le métier si longtemps te rend-il fier aussi?

Oui, je suis fier de ça. Je suis surtout heureux de constater qu’avec le temps, il se passe quelque chose dans ma relation avec le public qui fait en sorte qu’on me juge sur ce que je fais. Si je suis au sein d’une série que les gens n’aiment pas, ils vont me le dire, l’écrire sur les réseaux sociaux: je vais le savoir! Mais ils ne vont pas juger l’ensemble de ma carrière à partir d’un seul projet. On est rendus ailleurs. S’ils n’aiment pas le projet, ils me le disent, mais ça ne les empêche pas de continuer à être intéressés par ce que je fais. Je suis conscient du fait que si j’enchaîne trois ou quatre projets qui ne les intéressen­t pas, leur opinion changera sûrement, mais je constate qu’ils ont une vision plus grande. Autant je ressens une grande responsabi­lité envers le public qui a fait en sorte que j’ai une vie extraordin­aire, autant le fait qu’il apprécie l’ensemble de ma carrière m’enlève un poids énorme pendant que je performe. Je me sens plus libre qu’avant au moment de la performanc­e.

As-tu l’impression d’avoir des acquis?

Non, ce ne sont pas des acquis. C’est étrange, mais j’ai le sentiment que les gens sont d’accord avec le fait que je puisse essayer des choses différente­s, risquées. Ils me suivent et prennent le risque avec moi. Ce rapport me plaît énormément, mais, dès que je termine mes projets, le stress m’envahit. Actuelleme­nt, concernant Les honorables, je ne sais pas encore si les gens vont aimer le projet. Ma responsabi­lité n’est pas juste quand je tourne. Je me sens une responsabi­lité face au diffuseur et au public.

N’est-ce pas lourd à porter?

Ça vient avec. Le service après-vente, c’est très important. (sourire) Je dois convaincre les gens de regarder cette série. Si nous sommes ici pour en parler, c’est aussi grâce à Victor Lessard et à Blue Moon, qui ont été de grands succès sur Club illico. La grosse machine américaine gronde sans arrêt à nos frontières. Ça ne donne rien de se battre contre la machine, mais il faut faire les plus belles choses possibles pour que les gens se reconnaiss­ent et qu’ils aient envie de regarder ce qu’on leur propose.

Patrick, arrives-tu facilement à décrocher et si oui, comment?

À 17 h 30, la plogue est tirée. Je me préoccupe du travail durant le weekend uniquement si je tourne. C’est pareil pour les gens avec lesquels je travaille. C’est très important. J’aime pêcher, être en Gaspésie, faire à manger et m’occuper de mon pool de hockey. Actuelleme­nt, ma priorité après ma femme et mes enfants, c’est mon pool de hockey… (rires)

Le 2 janvier, tu as eu 50 ans. Comment te sens-tu face à cette étape?

Super bien! Dans Les honorables, je pense que je n’ai jamais eu l’air aussi vieux à l’écran. La barbe blanche et les rides, je trouve ça vraiment beau. C’est caractéris­tique, ça marche avec le personnage. Moi, je vis bien avec ça. En vieillissa­nt, je constate que de nouveaux personnage­s s’offrent à moi. En contrepart­ie, d’autres portes se ferment, mais ces rôles, je les ai déjà tenus. Je ne comprends pas Sylvester Stallone qui tourne Rambo 8! À 74 ans, bourré de stéroïdes, tuer encore du monde à la mitraillet­te…

Ton souhait, c’est donc de te réinventer?

Moi, j’aime mieux avoir des rides dans le visage et faire autre chose.

En terminant, ton fils Nathan grandit-il en sagesse et en beauté?

En sagesse et en beauté… Hum… En beauté, ça, c’est certain! Mais en sagesse? (rires) Il est super, mon fils…

«Dans Les honorables, je pense que je n’ai jamais eu l’air aussi vieux à l’écran. La barbe blanche et les rides, je trouve ça vraiment beau.»

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 ??  ?? Le couple avec son fils, Nathan.
Le couple avec son fils, Nathan.
 ??  ?? La série Les honorables met aussi en vedette Macha Grenon.
La série Les honorables met aussi en vedette Macha Grenon.

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