7 Jours

Gregory Charles

«Mon père serait fier de cette solidarité qu’on voit actuelleme­nt à travers le monde»

- Par Michèle Lemieux

En publiant un long texte en réaction au décès de George Floyd, Gregory Charles a rendu un vibrant hommage à son père, Lennox Charles, qui avait jadis marché aux côtés de Martin Luther King. Aujourd’hui, c’est à Gregory de prendre la parole pour que sa fille grandisse dans un monde plus équitable. Alors que nous nous apprêtons à célébrer notre fête nationale, il nous amène à réfléchir sur la route qu’il nous reste à parcourir pour y parvenir.

Gregory, donne-nous un avant-goût de ce qu’on pourra voir à la télé lors de la fête nationale du Québec le 23 juin.

Il y aura beaucoup d’artistes. Ce sera un feu roulant! Je n’ai jamais vu autant de monde réuni pour la fête nationale! Ce sera un grand show de collaborat­ions... À ceux qui ont l’impression de ne pas avoir pu s’amuser depuis des mois, je dis: «Attachez votre tuque!» Il y a aura plein de couleurs, d’époques et de genres. Pour ma part, je participer­ai à une douzaine de numéros. Plusieurs de mes idoles font partie de cet événement: Paul Piché, Michel Rivard, Richard Séguin, que j’aime depuis que je suis tout petit. Il y aura aussi plein de jeunes, entre autres Les soeurs Boulay et Patrice Michaud. Il n’y aura pas de rassemblem­ent physique, mais c’est la première fois que tous les réseaux s’entendent pour présenter la même chose. La fête nationale devient la cristallis­ation de tout ce qui s’est passé durant l’année. Nous travaillon­s à faire passer un beau moment aux gens.

As-tu d’autres projets en parallèle?

Nous n’avons pas arrêté. L’Académie Gregory a gagné des milliers d’élèves qui étudient le piano, la guitare ou le chant. Avant, je présentais 120 spectacles par année, mais cet aspect de ma carrière est arrêté pour le moment.

Récemment, tu as partagé un message qui a suscité énormément de réactions. As-tu senti à quel point tu avais touché beaucoup de gens?

Oui, mais je ne l’ai pas fait en pensant qu’autant de gens allaient le lire et réagir. La première fois que j’ai vu les images [de George Floyd], j’étais avec ma fille de huit ans. Il fallait lui expliquer ces événements alors que, dans notre monde, on ne voit ce genre de violence qu’en regardant des batailles de superhéros... Comment expliquer cette indifféren­ce? Que quelqu’un, les mains dans les poches, garde son genou sur le cou d’un individu et le laisse mourir... À l’âge de ma fille, j’avais une vague compréhens­ion de la différence de couleur. Je venais de rentrer à l’école. J’avais eu des échanges houleux au début de l’année parce que les enfants peuvent être cruels face à la différence, mais pas tant… Je viens d’un village où il n’était pas si exceptionn­el que je sois le seul Noir. En essayant d’expliquer tout cela à ma fille, je me suis souvenu de tout ce que mon père a vécu et m’a raconté.

Parce que ton père a vécu bien des événements déterminan­ts sur ce plan?

Oui, il a d’abord participé au

«Pas une semaine ne passe sans que quelqu’un me dise: “Je suis raciste, mais toi, je t’aime bien!”»

mouvement d’indépendan­ce de son propre pays, Trinidad; il a marché avec Martin Luther King. Mon père était rempli de compassion. Il trouvait que la meilleure manière de répondre à la violence et à l’insulte était de montrer humanité, respect et amour. Mon père aurait d’abord pensé au drame que cela représente pour la fille de ce monsieur et pour sa famille. Ensuite, il aurait probableme­nt pensé que c’était une occasion de trouver un consensus. Pour un monsieur de 6 pieds 2 pouces, mon père essayait toujours de réagir avec douceur, mais la tête haute. Quelle qu’ait été la couleur de peau de la victime, nous aurions tous été bouleversé­s, mais l’élément supplément­aire est l’abus de la population noire par la population blanche. Mon père serait fier de cette solidarité qu’on voit actuelleme­nt à travers le monde. C’était un homme simple, mais il a réussi, à différents moments de sa vie, à aimer quelque chose ou quelqu’un plus qu’il s’aimait lui-même. Il aimait répéter que c’était le secret de la liberté.

J’ai été scandalisé­e d’apprendre que ton grand-père est né dans une plantation...

C’est l’un des griefs des Noirs d’Amérique: on a aboli l’esclavage dans les années 1820, mais il a fallu une centaine d’années avant de l’abolir vraiment. Même chose pour le droit de vote. Il a été reconnu aux Noirs en 1865, mais ils ne l’avaient toujours pas en 1965. C’est l’une des raisons qui font en sorte que les gens en ont ras le bol. Mon père se servait de ces informatio­ns pour évoquer les progrès qui ont été faits. Je n’oublierai jamais le jour où j’ai acheté ma première maison. J’ai invité mon père à la visiter et il m’a dit: «Tu sais, ton grand-père n’avait pas droit à la propriété... Regarde: tu as une maison.» Il me rappelait que lorsqu’il s’est marié avec ma mère, en 1967, un mariage entre un Noir et une Blanche était interdit dans 38 États américains. Il n’était pas bonasse, mais il préférait s’attarder au progrès.

Pour préserver leurs enfants, les parents noirs ont, semble-t-il, un jour ou l’autre, une discussion avec eux au sujet du rapport qu’ont les Noirs avec les policiers...

Oui, et ce que le public ignore, c’est que tous les gens de couleur ont été profilés par la police. Ça m’est arrivé régulièrem­ent de devoir sortir de mon véhicule parce qu’on était à la recherche d’une personne noire. Les gens de couleur me disent que, si moi je n’ai pas de passe-droit, qu’on imagine comment ça se passe pour eux! Récemment, j’ai accompagné un jeune Noir qui avait posé sa candidatur­e dans une entreprise et qui n’a pas eu l’emploi. J’ai demandé au propriétai­re quelle en était la raison et il m’a répondu: «Il n’y a pas de Noirs, ici. Pourquoi ça changerait?» En 2020...

Gardes-tu espoir que les choses s’améliorent?

Il faut poser des gestes. Le défi, c’est de ne pas se fâcher, mais il ne faut pas accepter le statu quo. Pas une semaine ne passe sans que quelqu’un me dise: «Je suis raciste, mais toi, je t’aime bien!» Aux États-Unis, il m’est arrivé des choses épouvantab­les...

Notamment parce qu’un couple mixte ne bénéficie pas de la même ouverture partout, semble-t-il...

Effectivem­ent, on se fait regarder différemme­nt. C’est particulie­r. Comme le disait mon père: «Un peu de discrimina­tion, c’est trop de discrimina­tion.» Il faut reconnaîtr­e que c’est naturel pour l’être humain de discrimine­r et qu’il faut se battre contre cette tendance.

Tu as dit être le père d’une petite fille de couleur caramel et que cela fait de toi un papa inquiet. Pourquoi?

Je pensais qu’on avait fait des progrès... L’inquiétude vient du fait que l’on progresse, mais je trouve qu’on n’est jamais loin du chaos.

Gardes-tu espoir de voir ta fille grandir dans un monde plus juste?

Lorsque nous regardons tous ces gens à travers le monde qui souhaitent que ça change, je me dis que c’est possible.

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