7 Jours

LA DIVERSITÉ CORPORELLE

- PAR SAMUEL PRADIER

Guylaine Guay est grosse et elle l’assume. Pour lutter contre la grossophob­ie ambiante sur les réseaux sociaux, l’humoriste, animatrice et autrice prône la diversité corporelle dans les médias et croit en la force des modèles. Elle a accepté de nous parler de sa réalité et de ses espoirs.

Guylaine, avez-vous toujours été à l’aise dans votre corps?

Lorsque je suis née, j’étais un gros bébé. J’ai été une grosse enfant, une grosse adolescent­e et je suis une grosse adulte. J’ai toujours eu un gros corps, je n’ai pas connu autre chose. Ma charpente naturelle est faite comme ça. Et j’ai toujours vu ce corps comme étant moi, je ne peux pas m’en dissocier. Je viens aussi d’une famille où mon arrière-grand-mère et ma grand-mère étaient de grosses femmes, comme ma mère d’ailleurs. Plus jeune, ça ne m’a jamais rendue malheureus­e, mais c’est très personnel. Il y a eu des périodes de ma vie où j’ai perdu du poids, parce qu’on tente toutes sortes d’expérience­s, mais aujourd’hui, à 51 ans, je peux vraiment dire que je suis à un moment de ma vie où ce corps-là est mon outil de travail, mon moyen d’expression, et je l’honore.

À l’adolescenc­e, une période parfois plus difficile, étiez-vous bien dans votre corps?

À cette période de ma vie, il y avait moins de modèles publics, mais je me suis dit que je pouvais représente­r ça. Quand j’étais en première secondaire, les concours de Miss Univers étaient très à la mode, et je me souviens de m’être demandé pourquoi ces filles étaient toutes pareilles, du même format. J’avais même écrit une lettre à l’organisati­on de Miss Univers pour leur poser la question; j’étais déjà un peu revendicat­rice. On ne parlait pas encore de la diversité corporelle à cette époque, c’est un terme très récent.

Comment faisiez-vous face aux réflexions ou aux commentair­es désobligea­nts?

Je n’ai pas eu tant de commentair­es négatifs que ça. Au secondaire, j’étais très populaire. Je faisais de l’improvisat­ion et du théâtre. Être drôle était ma force. Comme j’ai une assez grande vivacité d’esprit, si quelqu’un me disait quelque chose, je pouvais répliquer assez rapidement. Ça pouvait dissuader quelques petits intimidate­urs. Je n’ai jamais ri de quelqu’un à propos de son physique, mais j’étais vite sur mes patins. Les premières fois où j’ai réellement fait face à des commentair­es négatifs, c’est sur les réseaux sociaux. Je suis une fille intelligen­te et charmante, je ne pense pas que les gens qui me rencontren­t ont envie de rire de moi, ce n’est pas ce que je dégage. Comme je suis bien avec moi-même, que j’aime la personne que je suis dans le corps que j’ai, ça ouvre moins la porte au fait que les gens me rentrent dedans.

La solution passe-t-elle uniquement par l’acceptatio­n de soi?

J’ai accepté le fait que mon enveloppe est différente, et surtout, mon petit secret est de ne pas me comparer. Je travaille en télé et, sur les plateaux, je suis toujours avec des filles beaucoup plus minces que moi, mais ça ne me dérange pas. Je ne me compare jamais. Sur les réseaux sociaux, par exemple, on accorde beaucoup de mérite aux gens minces, mais quand on est né avec un corps svelte, on n’a aucun mérite. Il y a des physionomi­es différente­s et des métabolism­es différents; on l’oublie beaucoup, et ça ne fait malheureus­ement pas partie du dialogue.

Vous êtes devenue un modèle pour beaucoup. Que répondez-vous aux femmes qui vous demandent des conseils?

Ce sont souvent des femmes de mon âge qui m’écrivent, peut-être parce qu’elles ont eu moins de modèles. Quand j’étais jeune, il y avait Ginette

«Parfois, on m’accuse même de faire la promotion de l’obésité quand je mets de belles photos de moi sur mes réseaux.»

«Ça m’attriste qu’on associe encore minceur et bonheur.»

«J’aime la personne que je suis dans le corps que j’ai.»

Reno et Juliette Huot. Elles étaient nos seuls modèles de grosses femmes à cette époque, et je me souviens que tout le monde voulait les faire maigrir. Mais ça me fait toujours plaisir quand les gens m’écrivent, même si je constate qu’il y a encore beaucoup de tristesse chez certaines femmes envers leur apparence. Une d’entre elles m’a récemment écrit que si elle ne trouvait pas l’amour, c’est parce qu’elle était grosse. J’étais vraiment triste, parce qu’en vieillissa­nt, on se rend compte que ça n’a pas rapport au poids. Je ne peux pas vivre les émotions des autres par procuratio­n, mais ça m’attriste qu’on associe encore minceur et bonheur.

Est-ce que les jeunes filles sont plus protégées aujourd’hui contre la grossophob­ie?

Elles ont accès à plus de modèles et à plus de soutien, notamment sur Instagram. Les jeunes filles plus rondes ont des plateforme­s et des réseaux. Quand j’étais au secondaire, on était deux grosses, je n’en connaissai­s pas d’autres. Aujourd’hui, il y a des réseaux de filles qui s’entraident, et la force du nombre fait qu’on n’est pas toutes seules. Et quand on peut s’identifier à quelqu’un qui nous ressemble, ça donne confiance. J’ai plein de jeunes amies sur les réseaux sociaux, comme Julie Artacho, Vanessa Duchel, Renee Wilkin, Christine Morency… On est une fratrie de grosses, je les aime d’amour. D’ailleurs, quand j’ai été invitée à En direct de l’univers, je voulais qu’elles soient présentes. C’était important pour moi qu’on voie ces filles.

Pourquoi l’utilisatio­n du mot «grosse» est-elle importante pour vous?

C’est un qualificat­if comme les autres, mais on l’a associé à quelque chose de laid et de démoniaque. Personne n’est offensé si on lui dit qu’il ou elle est maigre. Ça devrait être pareil avec gros et grosse. Mais on a aussi associé le mot au sentiment de ne pas se

sentir bien; c’est devenu un synonyme de mal-être et ça reste une mauvaise utilisatio­n du mot. Être gros n’est pas uniquement lié à l’apport calorique et à l’intensité de l’exercice. Il y a des gens pour qui l’entraîneme­nt est une drogue, et je trouve ça correct si ça les rend heureux. Mais si on est gros, on doit prouver qu’on s’entraîne et qu’on mange bien. Parfois, on m’accuse même de faire la promotion de l’obésité quand je mets de belles photos de moi sur mes réseaux. Je ne comprends pas ces accusation­s, les gens mêlent tout. Ils voient quelqu’un de gros et pensent automatiqu­ement que c’est une personne paresseuse qui passe ses journées à se bourrer la face. Mais on peut être gros, en santé et en forme.

Selon vous, quelles sont les solutions pour promouvoir la diversité corporelle?

Je pense que ça va passer par plus de modèles positifs. Il faut que, dans les séries télé, par exemple, la grosse ait des intérêts amoureux extraordin­aires, que ce ne soit pas toujours la grosse qui veut maigrir pour avoir un gars. Il faut qu’elle ait une vie comme les autres, pas une vie de grosse. J’aimerais voir une sitcom dans laquelle le personnage principal est gros et qu’on n’essaie pas de le faire maigrir. Je suis tannée des personnage­s de grosses qui sont tristes. Pourquoi pas une grosse heureuse qui n’a pas besoin de maigrir pour avoir un chum ou la job de ses rêves?

«Mon petit secret est de ne pas me comparer.»

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