7 Jours

Julie Le Breton

- PAR Michèle Lemieux

Pour Julie Le Breton, que nous retrouvons actuelleme­nt avec joie dans Les beaux malaises 2.0, la dernière année s’est vécue en deux phases: l’arrêt total de toute activité et la reprise du travail. Habituée à une certaine solitude, l’actrice a profité du temps qui lui était alloué pour repenser sa vie et revoir ses priorités. Un remaniemen­t des plus nécessaire­s, selon ses dires.

Julie, tu reprends ces jours-ci ton rôle dans Les beaux malaises. As-tu senti l’enthousias­me du grand public face à ce retour? Oui, parce que c’est encore le projet dont on me parle le plus. La série Les beaux malaises est vraiment entrée dans le coeur des gens. Ça les accompagne dans différente­s étapes de leur vie et ça leur fait beaucoup de bien. Je les comprends, puisque ça produit le même effet sur moi. C’est rare que je suis bon public pour les projets dans lesquels je joue, mais je ne me lasse pas de regarder Les beaux malaises quand ça passe à la télé. Ça me fait rire et ça me touche encore. Martin n’a pas décidé de faire une autre saison pour remplir un trou dans son horaire: il a été très inspiré.

On retrouve les personnage­s principaux en plein coeur d’une séparation...

Oui, ils sont en processus de séparation, avec tout ce que cela implique. Malgré ces moments difficiles, leur complicité va continuer d’exister. Ce n’est pas lourd ou noir. C’est intéressan­t de voir une séparation qui se fait dans le respect et la communicat­ion. C’est rempli de bienveilla­nce.

Parlons du contexte du tournage. Comment t’es-tu adaptée aux nouvelles exigences?

Nous avons commencé seulement cet automne. Comme les tournages avaient repris depuis un moment, nous avons pu profiter de l’expérience des autres. J’avais déjà acquis de l’expérience sur les plateaux des Pays d’en haut: j’étais donc déjà habituée à travailler dans un contexte de distanciat­ion, avec le port du masque, sans socialisat­ion avec les collègues. En temps de pandémie, il ne peut y avoir l’esprit de camaraderi­e habituel sur les plateaux. Toutefois, nous étions tellement reconnaiss­ants de travailler! Je croyais qu’il n’y aurait pas de tournages pendant un an, mais finalement, nous avons réussi à trouver une manière de travailler. Tout le monde était rempli de bonne foi et de bonne volonté!

As-tu eu d’autres projets au programme?

J’ai eu la chance d’aller tourner un mois aux îles de la Madeleine, dans le prochain long métrage de Ken Scott: Au revoir le bonheur. Ç’a été magique! J’y avais passé l’été, parce que ma famille vient de là et parce qu’on a une petite maison là-bas. Le fait d’être entouré par tant d’immensité, d’avoir accès à la mer, la plage, le vent, le ciel, l’horizon, ça rendait le confinemen­t beaucoup moins emprisonna­nt. Nous pouvions aller marcher sur la plage après nos journées de tournage et respirer le grand air.

Nous pouvions aller au restaurant, car nous étions en zone jaune. Nous avons été vraiment privilégié­s. Quel cadeau!

On peut donc dire que l’année 2020 a été exceptionn­elle pour toi, compte tenu du contexte...

Complèteme­nt! De mars à août, je n’ai rien fait. C’est pour cette raison que je suis partie aux îles dès que ç’a été permis. J’ai quand même vécu une espèce de grand néant: je ne pensais pas travailler autant. D’août à décembre, ç’a été vraiment formidable. J’ai eu l’année parfaite: six mois de jachère suivis de quatre mois très intenses. J’ai pu gagner ma vie et socialiser. J’habite seule, alors la seule façon de socialiser pour moi en période de confinemen­t, c’est à travers le travail. Même si je suis une personne très solitaire qui apprécie le fait d’être seule, il vient un moment où ça devient lourd. Travailler m’a donc aussi permis de combler cet aspect essentiel de ma vie. J’ai vu des gens et j’ai eu des conversati­ons autrement qu’en faisant des séances de Zoom.

Arrives-tu à profiter des périodes de jachère tout en gardant confiance en l’avenir?

En fait, je devais participer à des séries qui étaient provisoire­ment suspendues. Alors je n’étais pas dans une situation qui fait qu’on angoisse parce qu’on n’a rien devant soi. Il y avait Les pays d’en haut et Les beaux malaises dans l’air. D’une certaine manière, c’était sécurisant. En décembre 2019, j’étais épuisée et je l’ignorais… J’avais eu une année complèteme­nt folle! Sur le plan profession­nel, j’étais prise dans un feu roulant de projets. Quand la pandémie est arrivée, je devais commencer un tournage, mais tout s’est arrêté. Il a fallu une pandémie pour me faire réaliser que mon rythme n’avait plus de sens. Ça allait trop vite, je travaillai­s trop, ma vie était déséquilbr­ée. Quand on est travailleu­r

«La série Les beaux malaises est vraiment entrée dans le coeur des gens. Elle leur fait beaucoup de bien. Je les comprends, puisque ça produit le même effet sur moi.»

autonome, on accepte des projets et on est conscient de notre privilège… mais c’était trop. Durant cette période, j’ai fait une prise de conscience, revu mes priorités et réfléchi à ce que j’avais envie de faire. Je pense que bien des gens ont vécu un processus semblable.

Crois-tu avoir frôlé le burnout?

Disons plutôt que j’avais besoin de repos. Parfois, il faut ralentir, ne seraitce que pour continuer à avoir du plaisir à faire ce qu’on fait. Ce qui me motive d’abord dans mon métier, c’est le plaisir que j’ai à le faire. Si ça s’effrite, c’est parce qu’on en fait trop et qu’on est fatigué. Et si ça se produit, il faut se questionne­r. La pause m’a permis de revenir au jeu en feu, et ce, malgré les contrainte­s. Le plaisir était décuplé.

Ce passage t’a-t-il permis d’établir clairement ce que tu veux et ce que tu ne veux plus vivre?

Ça m’a surtout permis de comprendre que je veux être à l’écoute de mon instinct. Quand un projet se présente, j’ai le droit de dire non. Ce n’est pas parce qu’on me désire que j’ai besoin de répondre à ce désir. C’est valable en toutes choses… Parfois, on accepte par peur de décevoir ou de manquer

«Durant cette période, j’ai fait une prise de conscience, revu mes priorités et réfléchi à ce que j’ai envie de faire.»

de travail. Quand on se permet de dire non, c’est si libérateur! Je veux donc être plus à l’écoute de ma petite voix parce qu’elle ne ment jamais. Se permettre de choisir, ça donne des assises dans notre propre vie. Il y a quelque chose de très beau là-dedans.

Compte tenu de ta carrière, n’est-ce pas un aboutissem­ent normal?

Oui, mais au cours des prochaines années, il est possible que ça ralentisse. C’est normal: j’ai 45 ans. Au Québec, il y a de beaux rôles pour les actrices: nous sommes choyées. Si ça ralentissa­it, ça serait aussi correct.

Ce ralentisse­ment pourrait-il être lié à ton âge à ton avis?

En vieillissa­nt, il y a moins de rôles pour les femmes. Cela dit, au Québec, dans la plupart des séries et des téléromans, ce sont des femmes de plus de 40 ans qui tiennent les rôles principaux. On ne voit pas ça partout! Je suis contente de travailler ici. On ne peut pas le nier: c’est un métier d’image.

As-tu de beaux modèles sur ce plan?

Oui, il y a toutes ces actrices qui sont un peu plus vieilles que moi que j’admire depuis longtemps et qui travaillen­t beaucoup. Je pense à Anne Dorval, Guylaine Tremblay, Anne-Marie Cadieux, Sophie Lorain, Maude Guérin et Marina Orsini. Il y en a plusieurs!

Il y a un bel espace pour les femmes matures qui ont du vécu. Plus cette expérience sera valorisée, plus ce sera facile de grandir dans ce métier.

Être célibatair­e en période de confinemen­t représente-t-il une part de défi?

«Il a fallu une pandémie pour me faire réaliser que mon rythme n’avait plus de sens. Ça allait trop vite, je travaillai­s trop, ma vie était déséquilib­rée.»

Être célibatair­e en confinemen­t, c’est correct, mais être célibatair­e en confinemen­t et espérer rencontrer quelqu’un, c’est autre chose! Ce n’est pas du tout mon cas! J’ai pu me vautrer dans un célibat choisi, accepté, rempli de bienfaits et de belles découverte­s. Ça m’a fait beaucoup de bien. Je ne suis pas une bibitte sociable ni celle qui court les 5 à 7. En me réveillant le matin, je n’avais aucun compromis à faire dans ma journée puisque je ne partage ma vie avec personne: ni chum ni enfant. Je fais tout ce que je veux quand je le veux, comme un bébé gâté. Je prends soin de moi. J’ai un horaire de vie très sain. Je me couche de bonne heure, je me lève tôt et ça me plaît. Si ça devait durer encore trois ans, c’est sûr que j’aurais un autre discours. J’aurais hâte de rencontrer quelqu’un! Mais pour l’instant, c’est très doux. Par contre, j’ai trouvé le temps des fêtes un peu plus moche; j’avais hâte que ça finisse.

Le fait que la solitude ne te pèse pas, dirais-tu que ça demeure un bel avantage?

Oui. Depuis toujours, je suis ainsi. Quand j’étais enfant, nous déménagion­s souvent. J’ai dû apprendre à être autosuffis­ante. Nous déménagion­s au début de l’été, et je passais de longs moments, seule, avant de me faire des amies à l’école en septembre. J’avais mon frère et mes soeurs, mais je n’ai jamais eu de problème à fermer la porte de ma chambre et à m’évader dans mon monde imaginaire, dans ma bulle. Alors non, ce n’est pas quelque chose qui m’angoisse.

On connaît l’importance des amitiés pour toi. As-tu maintenu le contact malgré les circonstan­ces?

Durant le premier confinemen­t, je voyais une amie. Nous marchions ensemble, mais c’est vite devenu compliqué parce que sa fille allait à l’école. Mes amies et moi, nous nous parlons au téléphone de temps en temps pour prendre des nouvelles les unes des autres. Pendant la pandémie, même notre manière de socialiser a changé. Il faut dire que je travaille. Je suis aussi en laboratoir­e pour un show de théâtre qui devrait être présenté l’année prochaine. Voir des gens quatre heures par jour, ça m’épuise. On dirait qu’on a perdu l’habitude de voir des gens. (rires)

Est-ce que ta famille est en sécurité?

Tout le monde va bien et est en sécurité. Dans ma famille, on respecte les règles. Ma mère est infirmière. Dès le début, nous étions conscients des mesures à suivre.

En terminant, peux-tu nous parler un peu de ce show de théâtre que tu viens d’évoquer?

C’est un show de Porte-parole, une compagnie qui fait du théâtre documentai­re. C’est un spectacle formidable que ma belle-soeur, Maude Laurendeau, a mis sur pied. Sa fille, donc ma nièce, est autiste. Elle y décrit son parcours de combattant­e, comme mère, pour faire en sorte d’obtenir les soins nécessaire­s pour sa fille. À partir du diagnostic, elle a enregistré chaque rencontre pour monter un spectacle qui se regarde comme une espèce de thriller. On entre dans les systèmes de la santé et de l’éducation, car ma nièce a commencé sa première année. C’est un show très intime, car c’est familial: je le fais avec ma belle-soeur et ça parle de ma nièce, mais ça expose aussi une réalité beaucoup plus large, dans la mesure où on tente de répondre à la question suivante: Comment prend-on soin des plus vulnérable­s dans notre société? Si tout va bien, le spectacle sera présenté l’automne prochain chez Duceppe.

Julie, que pouvons-nous te souhaiter pour l’année 2021?

J’espère que nous allons recommence­r à nous parler pour vrai et surtout à nous écouter. Je souhaite plus de bienveilla­nce. Ça nous ferait beaucoup de bien.

Les beaux malaises 2.0, mercredi 21 h, à TVA.

Les pays d’en haut, lundi 21 h, à Radio-Canada.

La pièce mettant en vedette Julie et Maude Laurendeau devrait être présentée chez Duceppe cet automne. Info: duceppe.com.

«J’habite seule, alors la seule façon de socialiser pour moi en période de confinemen­t, c’est à travers le travail.»

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 ??  ?? Dans Les beaux malaises 2.0, même si Martin et Julie sont séparés et qu’il y aura des moments difficiles, leur complicité va continuer d’exister, souligne la comédienne.
Dans Les pays d’en haut, Délima a toujours ramé fort pour se faire respecter des hommes. Dans l’ultime saison, même son frère, Séraphin, a pour objectif de l’anéantir.
Dans Les beaux malaises 2.0, même si Martin et Julie sont séparés et qu’il y aura des moments difficiles, leur complicité va continuer d’exister, souligne la comédienne. Dans Les pays d’en haut, Délima a toujours ramé fort pour se faire respecter des hommes. Dans l’ultime saison, même son frère, Séraphin, a pour objectif de l’anéantir.
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