Lara Fabian
Le temps s’est arrêté cet après-midi-là en compagnie de Lara. Une fine neige tombait doucement de l’autre côté de la fenêtre. Le ciel froid, le petit lac gelé et la forêt dégarnie dessinaient le plus doux des paysages, digne des plus belles cartes postales. On se serait cru à l’intérieur d’une énorme boule à neige. C’est probablement ce sentiment de communion qui a mené Lara à se confier en toute intimité. Peut-être un peu aussi parce qu’on se connaît depuis 30 ans et que l’amitié est comme une source qui mène directement au coeur. Rencontre avec une femme d’exception.
LA DIRECTRICE DE L’ACADÉMIE S’EST INSTALLÉE À LA CAMPAGNE AVEC SA FAMILLE
Il y a déjà quelques années, Lara m’avait confié qu’à l’instant où elle s’était assise dans le célèbre fauteuil rouge de La Voix, elle avait eu l’impression, pour une des premières fois de sa vie, d’être vraiment à sa place. Dans quelques jours, elle commence un nouveau chapitre, cette fois comme directrice de l’Académie la plus populaire au Québec.
Lara, tu t’apprêtes à changer la vie de jeunes artistes talentueux. Te sens-tu une responsabilité face à eux?
Justement, depuis quelques jours, je refuse de montrer cette insécurité qui m’habite face à cette immense responsabilité. J’ai donc décidé d’en mesurer tous les contours. Je me suis mise à la lecture des quelque 400 pages qui renferment tous les dossiers sur ces jeunes susceptibles de faire leur entrée à l’Académie. Ça m’a permis de connaître les êtres humains avant de rencontrer les artistes. Je vois donc ma responsabilité à leur égard comme beaucoup plus large, puisque je connais leurs aspirations profondes face à leur vie et, bien sûr, face à ce métier qu’ils chérissent. Je crois que c’est là que je vais déployer toute ma force, en aidant ces jeunes sur le chemin le plus difficile de la vie: celui de se connaître. Ce chemin qui finit un jour par nous faire dire: «Je sais qui je suis.» Mon rôle sera de les aider à déposer les premières semences sur ce territoire de l’être et à m’assurer qu’ils aient toujours la source qu’il faut pour bien les approvisionner en inspiration, en bienveillance, en lumière et en lucidité.
J’ai l’impression que cette mission qu’on t’a confiée constitue une nouvelle étape pour toi aussi, n’est-ce pas?
C’est vrai. Après toutes ces transitions dans ma vie qui m’ont permis de devenir femme, épouse et mère, après toute cette expérience acquise durant cette partie de mon voyage, j’ai plus que jamais envie de donner au suivant et de contribuer à l’autre. Star Académie me permettra d’être ce phare à l’horizon et d’offrir ainsi cet espace logé en moi, que je mettrai entièrement au service de l’autre. Je veux aussi inviter ces jeunes à utiliser les outils qui m’ont servi dans ma carrière et dans ma vie personnelle. La notion de joie, de liberté et de candeur sera au premier plan de ma transmission, car nous vivons une période où la légèreté est essentielle. Je ne veux pas être celle qui dirigera un élève, je veux être sa source et me positionner avec beaucoup d’humilité face aux Académiciens, car j’aurai la volonté qu’ils s’émancipent, qu’ils s’éveillent et qu’ils évoluent.
Qu’aurais-tu aimé qu’on t’enseigne lorsque tu as commencé dans ce métier?
À fermer ma gueule! (rires) La première chose que j’aurais aimé que quelqu’un me dise, c’est: «Tais-toi et écoute!»
J’avais ce besoin de prendre trop de place et, avec le recul, je me suis rendu compte que la place qu’on doit prendre nous apparaît plus clairement quand on parle peu et qu’on observe. Mais ce défaut m’a aussi permis de faire de belles rencontres. Cette maladresse cachait tout de même une curiosité et le désir de m’exprimer, ce qui a séduit des gens et leur a par la suite permis de devenir des acteurs importants dans ma vie. Ils m’ont appris que c’est dans l’écoute et le silence que se trouvent les clés qui servent à grandir.
Tu t’apprêtes à donner une chance à de nouveaux talents. Et toi, qui t’a donné ta chance?
C’est sans contredit Lise Richard. Lise est d’abord et avant tout une femme exceptionnelle. Je dirais même que j’ai beaucoup été en contact avec le côté maternel qu’elle inspirait. Elle était la mère de deux jeunes filles qu’elle laissait pendant de longues périodes pour venir avec moi dans le monde entier.
Alors, par ricochet, elle devenait ma grande soeur. Lise m’a vue un soir, alors que je chantais au Bijou, un cabaret du Vieux-Montréal très populaire dans les années 1980. C’est donc elle qui m’amènera chez Trans-Canada, qui était à l’époque le plus grand producteur et distributeur de disques au Québec. C’est elle qui fera en sorte que je signe le contrat de ce premier album. C’est donc grâce à cette femme merveilleuse que tout a commencé pour moi.
Plusieurs années plus tard, tu es toujours là! Je sais que ta plus grande fierté est d’avoir perduré dans ce métier. Que suggérerais-tu aux Académiciens pour durer dans ce monde si souvent éphémère?
Peut-on préparer quelqu’un à une chose qui n’est pas garantie? Sommes-nous tous destinés à durer dans ce métier? Je ne sais pas! Mais est-ce qu’on a tous l’habileté et la capacité d’évoluer dans notre vie? La réponse est oui, sans aucun doute! Pour cela, il faut faire de l’adversité une opportunité. Je pourrai leur enseigner à voir une blessure, un choc ou un ennemi comme une grande possibilité. Au moment où la flèche leur transpercera le coeur, qu’ils l’enlèveront et la jetteront par terre, je pourrai leur enseigner à ne pas la reprendre au sol pour se la replanter dans le coeur. Ils seront 15 au départ, et il n’en restera qu’un seul à la fin. Je peux donc leur apprendre à faire d’un impact une opportunité.
Pour cette grande aventure qu’est Star Académie, tu seras bien entourée, entre autres d’Ariane Moffatt et de Gregory Charles.
Je les adore! Je trouve que nous formons une belle palette au travers de laquelle on peut aisément s’exprimer, car on est très complémentaires et aussi complètement différents. On est parfois en désaccord, mais toujours d’accord de l’être. On examine le talent, pas toujours à partir de la même fenêtre, mais au final, il y a une convergence réelle.
Qu’aurais-tu voulu faire autrement dans ta carrière?
Je ne suis pas vraiment une femme de regret, mais un jour, un homme d’une grande bienveillance à mon endroit m’a dit: «Ne te trompe pas d’ennemi.» En parlant de moi, bien sûr, car nous
«Mes racines sont ici. Le Québec, c’est le pivot de ma vie, l’endroit qui a toujours cimenté mes phases d’évolution.»
sommes nos pires ennemis. «Ne te lâche pas la main et ne tombe pas nécessairement amoureuse d’un homme parce que tu as une affinité artistique avec lui.» Il y a donc un moment précis dans ma carrière aux États-Unis où je n’aurais pas dû mélanger l’amour d’un homme avec celui que j’avais pour son talent de compositeur et de producteur. Mais arriver à discerner dans nos coeurs les variables de l’amour ne se fait qu’en se trompant. Donc, je ne regrette pas mon erreur, mais si aujourd’hui je pouvais revenir à San Francisco, dans ce restaurant, en novembre 1997, je dirais à la jeune Lara: «Ne fais pas ça, tu te trompes de candidat. Sa musique est merveilleuse, mais ce n’est pas lui, ton compagnon de vie.» Je ne regrette pas le prix que j’ai payé, car chaque erreur a fait de moi la fille que je suis devenue. Aujourd’hui, je peux affirmer haut et fort qu’il n’y a rien autour de moi que je voudrais voir disparaître, pas même mes erreurs!
Dans le documentaire sur ta vie, intitulé Lara, tu parles de cette petite voix qui a souvent cherché à te saboter. Comment arrive-t-on à la maîtriser? Et comment enseigner aux Académiciens à ne pas l’écouter?
Tout d’abord, j’ai compris qu’elle ne me sert à rien et qu’elle a toujours joué contre moi. Cette petite voix n’est jamais gage d’évolution. Je ne te dirais pas que j’arrive tout le temps à la maîtriser, mais j’essaie de me rappeler que la dernière fois où je l’ai écoutée, elle ne m’a pas rendu service. J’enseignerai à mes élèves que c’est en faisant appel au devoir de mémoire qu’on réussit à arrêter cette petite voix.
Le 30 août 2021 marquera le 30e anniversaire de ton arrivée au Québec. Aurais-tu pensé qu’après toutes ces années tu servirais de mentore à une nouvelle génération?
C’est la première fois qu’on me parle de ma participation à Star Académie sous cet angle. Ce qui ne m’étonne pas, c’est que ce soit ici que j’aie ce privilège de redonner aux autres, car le Québec, ce sont mes racines et c’est aussi le pivot de ma vie, l’endroit qui a toujours cimenté mes phases d’évolution. C’est ici que je me guéris et que j’évolue. C’est au Québec que j’ai eu ma chance, alors c’est un immense privilège pour moi de redonner cette chance aux autres sur ma terre d’adoption.
«Je me suis installée à la campagne, car j’ai ressenti ce besoin de silence qu’on retrouve à cet endroit.»
Je t’imagine être cette jeune fille qui aurait assurément tenté sa chance à Star Académie si ça avait existé à l’époque...
Tout à fait, et j’aurais tout donné! Je prends d’autant plus mon rôle au sérieux, car en tant que narratrice de ma vie, je pourrai dire aux Académiciens: «Regardez d’où je viens. Je suis la fille de Pierre et Louisa, et je suis née dans un bled perdu. Tout est possible!»
Qu’as-tu trouvé au Québec que tu n’as pas trouvé ailleurs dans le monde?
C’est un endroit qui permet d’être soimême, et j’ai la sensation de ne pas être enchaînée à des enseignements qui cristallisent des émotions susceptibles de ne pas me faire du bien. Ici, tu as le droit de ne pas être d’accord avec quelqu’un, mais ça ne finira pas en chicane. Ici, on ne s’attarde pas vraiment aux différences — surtout si je compare avec la «vieille Europe» —, on peut être d’accord de ne pas être d’accord et continuer son chemin sans aucun jugement. La société québécoise propose une immense liberté, alors c’est beaucoup plus relaxe d’y vivre.
La chanson Je me souviens, que tu as écrite, demeure pour moi l’un des plus beaux hymnes adressés à notre Québec. Dans quelles circonstances l’as-tu composée?
J’étais à Bruxelles et je venais de quitter le Québec à contrecoeur. C’était une journée d’avril, et alors qu’il ne neige jamais à Bruxelles, des flocons tout blancs sont soudainement apparus. La tristesse de constater que cette neige ne venait pas du Québec m’a aussitôt envahie. J’ai senti ce courant en moi et j’ai écrit le texte en à peine trois minutes. En tant qu’artiste, à ce moment-là, j’ai compris qu’on m’avait fait la grâce de cette chanson. C’est la neige qui m’a inspiré cette ode au Québec.
Ta vie est pleine de synchronicités. D’ailleurs, tout juste avant d’obtenir le mandat de directrice à l’Académie, tu as fait un choix de vie, celui de déménager en famille à la campagne, à quelques minutes de l’Académie. As-tu toujours été consciente de cette intuition qui te guide dans tes décisions?
Je te dirais que je commence enfin à être en phase avec mon intuition. Depuis les 10 dernières années, j’en suis plus consciente en tant que femme et maman. L’écoute de mon intuition vient beaucoup plus de la femme en moi que de l’artiste. Et maintenant, c’est la femme que je suis qui tente d’amener l’intuition à l’artiste en moi. Je m’aperçois que c’est dans la paix d’esprit que je me connecte à mon intuition.
Est-ce un peu pour cette raison que le désir de t’installer à la campagne est arrivé?
Sans aucun doute. Une part de moi a envie de te dire que c’était le bon moment dans ma vie, une autre part te dirait que c’est pour protéger mon enfant et une dernière te confierait que l’époque que nous traversons m’a donné envie de revenir au fondamental et à l’essentiel. Je ne voulais plus avoir cette sensation d’être au coeur d’une ruche qui résonne autour de moi, mais plutôt d’habiter un espace où le silence prend toute sa dimension. Vivre dans un environnement où le regard des autres ne me regarde plus du tout me permet de reprendre contact avec moi-même. Mais cette étape historique que traverse en ce moment l’humanité requiert chez moi un ancrage majeur. J’ai ressenti ce besoin de silence qu’on retrouve à la campagne pour me permettre une réflexion bienveillante.
Au quotidien, qu’est-ce que ta nouvelle vie loin des grands centres t’apporte?
Ma fille, Lou, participe beaucoup plus à la vie de famille, et ça me réjouit énormément. Lorsqu’on était à Montréal, j’avais de plus en plus de difficulté à avoir Lou à la maison, lorsqu’elle revenait de l’école, par exemple. Maintenant, elle est toujours à la maison. On va chercher du bois ensemble, on allume un feu de cheminée, on vide le lave-vaisselle, on coupe les oignons, on fait la popote, on mange, on débarrasse la table et surtout, on parle beaucoup. On passe beaucoup plus de temps ensemble.
Après toutes ces années de carrière, as-tu parfois l’impression d’avoir fait le tour du jardin comme chanteuse?
Il y a quelque chose qui s’est passé à mon insu dans ce qu’on vit présentement et qui est très difficile à exprimer. Une part de moi a d’abord ressenti de la gratitude face à cet arrêt, car j’étais en pleine tournée mondiale et j’étais fatiguée. Mais l’autre part de moi, qui se cache maintenant depuis neuf mois, a l’impression d’avoir été accidentée. J’ai très hâte de dire à la chanteuse en moi que j’ai encore besoin d’elle. Mais pour l’instant, étant donné que je ne peux pas exister de ce point de vue là, je l’ai endormie, parce que c’est la seule façon pour moi de vivre avec tout ce bouleversement.
C’est une Lara très émue que j’ai quittée. Elle m’a promis de reparler à la chanteuse qui s’est assoupie en elle au cours des derniers mois. Je lui ai suggéré de ne pas la laisser de côté trop longtemps, car posséder un don aussi grand vient aussi avec une grande responsabilité. Je me suis également permis de lui rappeler que c’est nous qui avons été les premiers à reconnaître que cette chanteuse à la voix
exceptionnelle qui sommeille en elle guérissait aussi les âmes. On s’est dit au revoir et la neige, cette fois-ci, n’était pas signe de tristesse, mais bien de réconfort. Je me sens choyé, Lara, que tu aies croisé mon chemin il y a 30 ans déjà. Je me souviens de nous deux, comme se souviennent de toi tous ceux qui t’aiment, à travers le monde et ici, chez toi.
«C’est au Québec que j’ai eu ma chance, alors c’est un immense privilège pour moi de redonner cette chance aux autres sur ma terre d’adoption.»