7 Jours

Anne-Marie Cadieux Elle est partie dans la dignité

ELLE A ACCOMPAGNÉ SA MÈRE DANS SES DERNIERS INSTANTS DE VIE

- PAR Michèle Lemieux PHOTOS ET MAQUILLAGE: SÉBASTIEN SAUVAGE • COIFFURE: ROMAIN LE MOËLLIC

Parce que sa mère a choisi l’aide médicale à mourir et pour l’avoir accompagné­e jusqu’à son dernier souffle, Anne-Marie Cadieux peut témoigner de l’humanité et de la compassion derrière cette loi qui permet de choisir le jour de son départ. Pour l’actrice, l’expérience demeure aussi marquante qu’inoubliabl­e.

Anne-Marie, on te voit dans La Maison-Bleue, mais aussi dans l’étonnante série Patrick Senécal présente. Ce sont deux univers très différents.

Oui. La Maison-Bleue est un projet loufoque qui ne ressemble à rien d’autre. On a tourné la deuxième saison durant la pandémie et on vient de confirmer qu’il y en aura une troisième. J’ai un beau personnage qui va évoluer. Ils sont tous fous, dans cette série! (rires) Guy (Nadon, qui campe son mari dans la série)

et moi avions déjà été partenaire­s sur scène. Il me faisait un peu peur… Il est imposant et il a toute une personnali­té! Entre nous, ça a cliqué. Nous avons aimé travailler ensemble. Nous avions beaucoup d’affection l’un pour l’autre, mais je ne pense pas que lui a eu peur de moi! (rires)

Es-tu consciente d’être devenue, à ton tour, une référence pour tellement d’actrices?

C’est gentil… Ça me surprend toujours… Tant mieux, car j’ai moi aussi des femmes qui m’inspirent, notamment Monique Miller. C’est touchant de savoir que des pairs nous apprécient. C’est vrai que ça fait longtemps que je fais ce métier, et je vais continuer encore longtemps. Par contre, la pandémie nous a ébranlés dans nos conviction­s. Je me suis demandé si j’allais faire autre chose…

Toi, Anne-Marie Cadieux, tu t’es vraiment posé la question?

Oui, mais je ne sais rien faire d’autre! (rires) Je n’ai pas la frustratio­n des gens qui débutent dans le métier. J’ai vécu certaines choses et je sais que ça va continuer, mais je pense surtout aux jeunes qui commencent leur carrière. Aux commerçant­s, aussi. Mais ç’a été un grand changement de rythme, car puisque je fais beaucoup de scène, plusieurs projets ont été annulés. J’ai une grosse année de théâtre l’an prochain, mais je suis dans l’incertitud­e. J’ai la chance de tourner, de faire des voix, de la radio, je collabore à La soirée est encore jeune, et avec Plus on est de fous, plus on lit. J’ai aussi tourné dans Patrick Senécal présente, une série vraiment bizarre, étrange… J’ai tourné avec Théodore Pellerin. Quel talent! C’est le genre de projet pour lequel on ne peut pas aller dans la direction pour

«Ça fait longtemps que je fais ce métier, et je vais continuer encore longtemps.»

laquelle on s’était préparé… Il faut faire confiance.

Comment as-tu profité du temps que tu avais à ta dispositio­n?

Comme plusieurs, je marche beaucoup. J’ai découvert ma ville à pied. Moi qui suis habituée d’aller au gym, je marche maintenant deux à trois heures par jour. Je vais sur la montagne. Je me force, car je détestais marcher, mais je me suis mise à apprécier cette activité. Je relève des défis, notamment 30 jours de yoga. Je fais du cardio, de la danse. Ça m’énergise. C’est plus pour mon moral que pour mon corps que je pratique ces activités. J’essaie de ne pas sombrer. Les jours où je ne travaille pas, j’essaie de m’imposer une certaine discipline. Puisque ma vie est toujours très déstructur­ée, je m’en suis donné une qui me permet de me cadrer. J’ai eu du temps pour lire, pour réfléchir. J’ai aussi accompagné ma mère, qui est décédée pendant la pandémie.

Est-elle décédée de la covid?

Elle a eu la covid, mais elle n’en est pas morte. Pendant le premier confinemen­t, nous ne l’avons pas vue. Elle a été isolée pendant 50 jours au CHUM. Je me suis dit qu’elle allait mourir sans revoir ses enfants… Le personnel a été fantastiqu­e, je tiens à le souligner. Ma mère avait 88 ans. Elle a appris qu’elle avait un cancer et elle a demandé l’aide médicale à mourir. Je l’ai accompagné­e dans la mort, en octobre dernier.

Comment as-tu composé avec son choix?

J’ai trouvé ça extraordin­aire. J’étais contente qu’elle ait droit à l’aide médicale à mourir. Elle dépérissai­t et savait ce qui l’attendait. Elle est entrée directemen­t aux soins palliatifs et elle a fait la demande. Si elle ne l’avait pas fait, elle n’aurait retardé sa mort que d’un an… Elle avait eu la covid, elle était très affaiblie. Il lui fallait franchir toutes les étapes, elle a été acceptée. Nous sommes trois filles, chez nous. Nous avons eu la chance de l’accompagne­r, chacune à notre tour, puis ensemble à la fin. Ma mère a choisi le jour de sa mort.

C’était un moment particuliè­rement touchant pour vous?

Oui, et ça s’est fait rapidement. Si j’en parle, c’est parce que je suis en faveur de l’assoupliss­ement de la loi sur l’aide médicale à mourir. Parce qu’elle avait une maladie qui allait la mener vers la mort, ma mère y a eu droit. Elle n’avait plus de projets. Ma mère était très lucide. Ce choix lui a permis de mourir dans la dignité, avec ses enfants. À cause du confinemen­t, elle n’a pas pu être entourée de toute sa famille, mais nous avons pu lui parler, faire des vidéos et lui montrer des photos afin que ce soit joyeux, serein et digne. Je me suis dit que ceux qui le veulent devraient avoir le droit de partir ainsi. À cette même période, j’ai un ami proche qui a aussi fait ce choix.

Il a lui aussi reçu l’aide médicale à mourir?

Oui, il s’agit d’Yves Laferrière, un compositeu­r qui a travaillé notamment pour Denys Arcand. C’est connu et c’est pour cette raison que je me permets d’en parler. Il a pu partir dans la dignité, avec ses proches. C’est très intense comme expérience, mais c’est un privilège. Nous avons préparé notre mère, mangé avec elle, écouté de la musique. Je le répète, c’est un grand privilège. Ça se fait avec beaucoup d’humanité, de chaleur humaine. Deux jours après son départ, j’étais de retour sur les plateaux de La Maison-Bleue.

Sans même avoir pris du recul?

Non, et je n’en ai parlé à personne. J’ai demandé une journée tampon, car je n’aurais pas été capable de reprendre le travail dès le lendemain. C’était intense, comme toutes les morts. Reprendre le boulot m’a fait du bien. J’étais sereine, j’avais fait mon deuil, même si j’étais plus ébranlée que je le croyais. Je m’en suis rendu compte plus tard. Cela étant dit, je savais que son départ était dans l’ordre des choses… Au final, ç’a été une année singulière. J’ai un filleul qui a un an et que j’ai vu lorsque c’était possible, et ça, ça m’a fait du bien. La vie continue… La vie, c’est riche et si beau!

La dernière année nous a appris qu’on ne sait jamais à quoi s’attendre…

Oui, et nous avons changé nos modes de vie. Je suis impression­née de voir comme nous nous sommes adaptés. J’ai de bons amis. Je leur parle tous les jours et souvent, je marche avec eux. J’ai quelqu’un dans ma vie, nous marchons aussi ensemble. Pour moi, le lien aux autres est vraiment important.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada