7 Jours

Marie-Ève Perron

«L’écriture est un doux refuge»

- PAR MICHÈLE LEMIEUX • PHOTOS: BRUNO PETROZZA MAQUILLAGE-COIFFURE: VÉRONIQUE PRUD’HOMME

La pandémie a forcé Marie-Ève Perron à remettre à plus tard son spectacle inspiré de son deuil. Au moment de perdre son père, il y a quatre ans, l’actrice et autrice s’est sentie désemparée. Consulter des spécialist­es et acquérir des outils a donné naissance à De ta force de vivre, une pièce qui rend hommage à son père. Réflexion inspirante sur la vie et la mort.

Marie-Ève, tu as rejoint l’équipe de L’Échappée. Que peut-on dire de ton personnage?

Elle s’appelle Sandrine Quessy, et c’est quelqu’un d’hyper lumineux. Elle est pleine de vie, de vitalité, elle est sans malice. C’est un beau coeur. C’est agréable à jouer. Elle avait quitté le village depuis un moment, mais elle a retrouvé Robin (Jean-François Nadeau) sur Facebook et est revenue à ses origines. Danseuse profession­nelle, sa carrière est mise sur pause à cause d’une blessure. Elle en profite pour se trouver de nouveaux défis.

As-tu d’autres projets au programme?

J’ai tourné Survivre à ses enfants,

j’accompagne désormais Richard Turcotte et Meeker Guerrier à l’animation d’On est tous debout, à Rouge FM, et je fais des voix. J’ai aussi écrit un spectacle solo, De ta force de vivre,

que j’ai mis en scène et dans lequel je joue. Il devait être présenté en octobre dernier, mais une semaine avant la première, j’ai appris que ça n’aurait pas lieu. Je devais aussi le présenter en France, mais c’est reporté à l’hiver prochain. Normalemen­t, je devrais être à La Licorne dans quelques semaines. (NDLR: Le spectacle affiche déjà complet.)

C’est une autofictio­n avec une portion documentai­re que j’ai écrite à la suite du décès de mon père. Il était atteint d’une maladie dégénérati­ve, le parkinson. Ç’a été rapide et lent à la fois, car c’est très difficile d’accompagne­r quelqu’un dans ces circonstan­ces. Quand il est décédé, j’ai été déboussolé­e. Je n’avais pas de clés et je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. J’étais perdue dans mon deuil.

Ç’a été ton moteur pour ce projet?

Oui, je voulais offrir ce que j’aurais moi-même voulu avoir, c’est-à-dire une espèce de boîte à outils pour les endeuillés. Lorsque j’en parlais avec les gens, ils me disaient avoir eux aussi vécu ces mêmes remises en question. Ça m’a beaucoup ébranlée dans mes conviction­s. Je parle donc de mon expérience, mais en autofictio­n. Je suis allée rencontrer des spécialist­es qui étudient le phénomène du deuil et je partage leurs paroles. J’ai écrit ce projet dans l’espoir que les gens repartent avec des clés.

Pourquoi ton deuil a-t-il été si laborieux, à ton avis?

J’ai été prise par surprise. Quand on accompagne quelqu’un qui est atteint d’une maladie dégénérati­ve, il faut faire son deuil de son vivant. On appelle ça un deuil blanc. Mon père n’était plus mon père. Je m’imaginais que le perdre n’allait pas être aussi éprouvant. Mais ça m’a ramassée! Mon père était placé en CHSLD. Je me souviens qu’à l’époque, je me disais que les gens ne se rendaient pas compte de ce qui se passait dans ce genre d’endroit… Tout le monde se donne à 150 %, mais il y a un manque incroyable de ressources.

Je présume que tu étais particuliè­rement proche de ton père?

Mon père était mon idole. Je pensais que ça allait être plus facile que ça de vivre sans lui, mais ce n’est pas le cas. Mon père avait très peur de mourir, il voulait vivre! C’est pour cette raison que mon show s’appelle De ta force de vivre. Mon père avait une pulsion de vie incroyable. Il aimait la vie! Je me disais qu’il avait manqué d’outils, qu’on ne l’avait pas préparé à mourir. Dans notre société, on ne veut pas parler de la mort. Je pense que le fait d’avoir vu mon père inquiet face à sa mort m’a beaucoup chicotée. Ce n’est pas normal: nous savons tous que nous allons mourir un jour. Pourquoi s’y préparer si peu? C’est vertigineu­x de penser à sa propre mort… Ça aussi, c’est une chose sur laquelle je me suis questionné­e: comment aborder la mort de façon sereine?

Dans l’époque de chaos que nous traversons, c’est un grand lâcher-prise. J’ai des amis qui ont des parents malades ou qui perdent des proches. J’essaie de leur proposer, de leur transmettr­e les outils que j’ai acquis avec les précieux chercheurs que j’ai rencontrés. Car oui, il existe de vrais outils pour s’en sortir.

On dit que le deuil dure un an. Est-ce ainsi que tu l’as vécu?

Oui, la première année, c’est quelque chose! On traverse plein d’émotions contradict­oires. Trois jours après son décès, j’étais sur un plateau de tournage. Je ne l’ai dit à personne, de peur de mettre les autres mal à l’aise… Avec le temps, je pense qu’on s’habitue au départ, mais ça reste présent. On est face à des choses qu’on ne connaît pas et qu’on ne nomme pas. Personnell­ement, j’ai vécu de la colère et je ne m’en cache pas.

Quatre ans plus tard, le deuil est-il moins douloureux?

Oui, et si le spectacle m’a aidée, le deuil reste un deuil. J’ai perdu mon père, il ne reviendra pas. Je crois qu’on ne s’habitue pas à la perte de quelqu’un,

«Je crois qu’on ne s’habitue pas à la perte de quelqu’un, mais je pense que ça devient moins douloureux avec le temps.»

«Quand mon père est décédé, j’ai été déboussolé­e. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait.»

mais je pense que ça devient moins douloureux avec le temps. Mon père me manque encore… J’accepte et je négocie mieux son départ, quelque chose s’est apaisé, mais il reste une part de chagrin de l’avoir perdu. Le deuil est unique, mais il y a des clés pour que ce soit non pas plus facile, mais pour donner du sens à cette expérience.

Quel outil t’a le plus aidée?

C’est un ensemble de choses. Toutes les rencontres que j’ai faites m’ont nourrie. J’ai compris que cette expérience peut aussi nous faire grandir. C’est une grande aventure à traverser. J’aborde aussi la question des rituels: est-ce important ou non? J’ai pris conscience de leur importance. On peut créer les nôtres. Mon père, qui adorait monter l’arbre de Noël, est décédé le 1er décembre. À cette date, je fais toujours mon sapin de Noël en pensant à lui. C’est une façon d’honorer sa mémoire. Ce sont ces rituels qui permettent de garder un lien d’amour et de faire la paix avec le disparu. Je ressemble à mon père, on me l’a souvent dit. Je sens qu’il m’accompagne et qu’il est avec moi. La musique a été un lien entre lui et moi, jusqu’à la fin. Nous avons communiqué grâce à elle. Même s’il ne parlait plus, je voyais ses yeux s’allumer lorsqu’il entendait certaines pièces.

L’écriture a-t-elle été thérapeuti­que pour toi?

Ç’a été un doux refuge. J’aime écrire. J’avais écrit deux autres pièces, avant: Marion fait maison et Gars. De ta force de vivre sera présentée en France en 2022. Je trouve ça intéressan­t, car j’y ai vécu presque 10 ans. Je suis partie avec Wajdi Mouawad. J’ai été de l’adaptation française des Invincible­s, où j’incarnais la version française de Lyne-la-pas-fine, qui s’appelait Cathy-casse-couilles. Mon retour coïncide avec l’annonce de la maladie de mon père…

L’Échappée, lundi 20 h, à TVA. On est tous debout, en semaine dès 5 h 30, à Rouge FM.

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«Dans L’Échappée, Sandrine est quelqu’un d’hyper lumineux. Elle est pleine de vie, de vitalité, elle est sans malice.»
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