7 Jours

Catherine Trudeau

Écrire sur les émotions des petits

- PAR SAMUEL PRADIER • PHOTOS: BRUNO PETROZZA • MAQUILLAGE-COIFFURE: VÉRONIQUE PRUD’HOMME

Après la sortie d’un premier roman jeunesse, en 2019, Catherine Trudeau revient avec un nouvel ouvrage, Ma vie avec un saumon fumé, qui parle notamment de l’anxiété des enfants et de leurs peurs incontrôla­bles et incontrôlé­es. Une histoire anecdotiqu­e qui cache des réalités très fréquentes chez les jeunes.

Catherine, comment est né Ma vie avec un saumon fumé, votre second livre? Mon ami Simon Boulerice avait sorti des choses de son frigo et il avait oublié un morceau de saumon fumé sur le comptoir. Il a posté un message sur Facebook, quelques heures plus tard, demandant s’il pouvait le manger sans crainte. Plein de gens ont répondu toutes sortes de choses, mais moi, ça m’a donné l’idée d’un livre jeunesse dans lequel le personnage a souvent mal au ventre, pour toutes sortes de raisons, et notamment parce qu’il s’imagine que le pire va toujours arriver. Mais mon histoire n’est pas du tout celle de Simon Boulerice. J’ai écrit la base de mon histoire en une vingtaine de minutes. Je me souviens que c’était l’heure du souper. Mon chum m’a appelée pour venir à table, je lui ai dit que j’avais une idée et qu’il fallait que j’aille jusqu’au bout. C’est donc un livre pour les enfants de quatre à huit ans sur les peurs et l’anxiété. Pour les adultes, ces peurs paraissent bien banales, mais pour les enfants elles sont véritables.

Aviez-vous déjà réfléchi sur le sujet pour écrire aussi rapidement?

Oui et non, mais je ne suis pas allée piger très loin. J’ai exploré la peur de l’eau, la peur du chien de la voisine, la peur quand on a oublié son exposé oral, la peur de manger quelque chose qui n’est plus bon et qui fait qu’on va être malade… Pour mon écriture, je m’inspire toujours de ma vie ou de celle de mes enfants. La peur de l’eau et d’avoir un accident de ponton est directemen­t liée à mon fils, qui a déjà fait une crise alors qu’on était sur l’eau parce qu’il voyait des vagues. J’amène toujours un peu de mon quotidien dans ce que j’écris, et j’essaie de le porter plus loin.

Qu’est-ce qui vous intéresse particuliè­rement dans le thème de l’anxiété?

C’est quelque chose qu’on vit tous. De plus en plus d’enfants sont anxieux, encore plus dans la période actuelle, et c’est aussi un courant dans la littératur­e jeunesse. Il y a beaucoup d’albums qui parlent de l’anxiété, de la pleine conscience, de la nécessité de nommer ces émotions-là pour pouvoir les apprivoise­r et comprendre qu’on n’est pas les seuls à les vivre. C’est un livre qui est complèteme­nt dans l’air du temps. J’ai aussi découvert, en faisant des démarches avec mon aîné, que j’avais probableme­nt été une enfant anxieuse. Mais à l’époque, au début des années 1980, on ne parlait pas de ça. J’ai toujours dit que j’étais une enfant timide. En fait, je n’étais pas timide, j’étais beaucoup plus anxieuse. Quand on crée, on continue de cheminer sur nous-même. C’est drôle, parce que j’ai écrit une petite histoire sur les peurs, mais il y a autre chose qui se cache derrière ça.

Que peuvent faire les enfants pour apprivoise­r leur anxiété?

Je n’en parle pas vraiment dans mon livre. J’évoque la respiratio­n, la façon de mettre les mains sur le ventre pour s’apaiser, mais ce n’est pas un livre qui se voulait didactique ou qui a été pensé pour aider les jeunes. Je voulais d’abord parler de l’histoire de ce petit bonhomme. Ensuite, ce qui le fait sortir de sa tête et de ses peurs qui explosent jusqu’au pire, ce sont les voix de ses proches qui le ramènent au réel, que ce soit sa prof qui lui dit qu’il pourra le faire plus tard, ou son ami, ou sa mère. Mon personnage apprivoise les peurs qui lui donnent mal au ventre, et tout va être correct tant que ses proches et ses amis seront là.

Quels conseils donneriez-vous, néanmoins, pour apprivoise­r ces peurs?

Il faut d’abord en être conscient et essayer de stimuler la petite voix intérieure qui fait qu’on va aller vers l’inquiétude. Il faut reconnaîtr­e cet état de fait, savoir que ce n’est pas grave et que beaucoup plus de gens qu’on le pense vivent la même chose. Il faut aussi verbaliser ses peurs. Moi, je le dis, je le nomme aux autres. Verbaliser sa peur ou son anxiété, ça permet de relativise­r les choses. Dans la vie, je garde beaucoup les choses pour moi, j’ai du mal à parler et à partager. Mais en vieillissa­nt, je m’aperçois que plus je parle de mes angoisses, moins elles prennent de l’importance. Je le vois souvent avec les cercles de parents de l’école, par exemple. Dès que quelqu’un met un post en disant qu’il ne sait pas quoi faire en matière de gestion des écrans par exemple, tout le monde va répondre. On s’aperçoit alors qu’on n’est pas le seul à vivre ces angoisses-là.

Le métier de comédien semble un peu incompatib­le avec l’anxiété; comment avez-vous fait?

Ça peut en effet sembler contre nature. J’étais une fille très timide et une adolescent­e très anxieuse, mais faire de la scène est un défi qui m’a permis d’avoir de l’estime personnell­e et de la confiance en moi. Le regard des autres sur soi, ceux qui disent qu’on a du talent là-dedans, ça valorise. Je suis une personne qui a beaucoup besoin de validation. C’est aussi un métier qui permet d’affronter ses peurs.

L’anxiété est souvent héréditair­e; l’avez-vous transmise à vos enfants?

Je pense l’avoir transmise. Mes garçons avancent très bien, ils sont formidable­s et ils dépassent leurs limites. Mais il y a un fond d’anxiété, d’inquiétude et de gène qui résiste. Ça vient sûrement de mon côté. L’anxiété est aussi liée au fait de vouloir être adéquat et au perfection­nisme. Si on veut être parfait tout le temps, ça va nécessaire­ment générer de l’anxiété. Ça, je l’ai assurément transmis à mes enfants. En même temps, c’est par eux que j’ai appris que j’ai été une enfant anxieuse. En les voyant se développer, je me reconnais dans certaines situations.

«Pour mon écriture, je m’inspire toujours de ma vie ou de celle de mes enfants.»

«Si on veut être parfait tout le temps, ça va nécessaire­ment générer de l’anxiété.»

Est-ce que l’écriture est un exercice facile pour vous?

Le projet de Ma vie avec un saumon fumé a été un éclair. Je savais que si je ne l’écrivais pas tout de suite, l’histoire allait me quitter. Quand l’inspiratio­n est là, arrête-toi et écris, sinon ça va disparaîtr­e. Il arrive souvent que je sois quelque part et que j’aille me mettre dans un coin pour enregistre­r mes idées. Mais je n’ai pas la discipline d’écrire tous les jours.

Le livre de Catherine, Ma vie avec un saumon fumé, illustré par Maurèen Poignonec, est publié aux Éditions de la Bagnole, dans la collection La vie devant toi. Il est destiné aux enfants à partir de quatre ans (19,95 $).

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