7 Jours

Vincent Vallières

- PAR DANIEL DAIGNAULT

Vincent Vallières est un artisan de la chanson, un compositeu­r passé maître dans l’art de nous émouvoir, de nous amuser et de nous toucher avec ses oeuvres. Son nouvel album, Toute beauté n’est pas perdue, est un véritable joyau qu’il faut découvrir sans faute.

Vincent, quand as-tu écrit et enregistré ces nouvelles chansons?

On a commencé en septembre 2019 et on a filé jusqu’en mars 2020. On avait un bon bout de fait, et il y a eu l’arrêt obligatoir­e à cause de la pandémie. On a pris quelques semaines de pause et ensuite, on a pratiqueme­nt tout recommencé parce que je n’étais pas certain de la signature sonore. Avec mes collaborat­eurs, on est repartis avec le même noyau de chansons et plusieurs ont été réécrites et retravaill­ées. On a finalement terminé l’album, mon huitième, en décembre 2020.

Dirais-tu que, d’un album à l’autre, tu deviens plus exigeant envers toi-même?

Oui. Au début, la difficulté est de trouver ta signature, ton son, ce qui fait que toi, tu n’es pas l’autre à côté. Après ça, tu as l’avantage de te faire dire que ça sonne comme du Vallières. Mais qu’est-ce qui fait que le prochain disque t’amène à te dépasser toi-même, à te demander: «Est-ce que je tripe encore assez à faire ça pour surprendre et aller au bout de mes ressources?» Ça m’aide beaucoup de me dire que j’ai besoin du talent des autres pour être bon, parce que je ne peux pas tout faire seul. Pour cet album-ci, le fait d’avoir des coauteurs comme Martin Léon et André Papanicola­ou, des compositeu­rs comme Manuel Gasse et compagnie, ça a fait passer des chansons de très bonnes à excellente­s. Pour moi, toutes les relations qui élèvent ce que je fais, ça fait partie du plaisir.

Il est de moins en moins facile de se faire entendre, et les stations de radio veulent réduire leur quota de chansons francophon­es. Qu’en penses-tu?

Je suis pour la plus grande diversité possible sur les ondes radio, et je sais que les radiodiffu­seurs s’adressent à un public qui a soif de nouvelle musique, de nouveaux hits. Les Québécois ont une intimité avec les chansons et les chanteurs québécois, et je le vis depuis des années. Je pense ne pas me tromper en disant que les gens aiment notre musique et qu’ils en ont besoin. Elle touche une fibre différente dans le quotidien des gens. Je crois en notre musique et elle mérite la meilleure place possible. C’est vrai que les fenêtres pour faire entendre nos nouvelles chansons ne pleuvent pas. Mais il y a d’autres moyens de faire découvrir la musique. Elle voyage de plusieurs autres façons et j’aime penser qu’une bonne chanson va finir par trouver son public. Je pense que, pour certains artistes, ça peut passer par les radios commercial­es, et pour d’autres, par des mises en marché différente­s.

Les chansons d’hier, celles des Colocs, de Piché, d’Offenbach, de Dubois et de bien d’autres, on ne les entend pratiqueme­nt qu’à la Saint-Jean à la radio…

Je te dirais par contre qu’il y a des stations qui retournent dans ce que j’appelle du back catalogue de chansons québécoise­s. Mais c’est intéressan­t que tu apportes cet élément, parce que c’est vrai pour la musique, mais c’est aussi vrai pour la poésie, pour les romans, pour tout. Je pense qu’il faut s’interroger sur la façon dont on raconte l’histoire aux jeunes dans les écoles, sur la place qu’on donne à nos chansons. Pas

«Je pense que les gens aiment la musique d’ici. Elle touche une fibre différente du quotidien.»

seulement quelle est la place de la chanson à la radio, mais quelle est la place de la chanson dans le programme scolaire. Je continue de penser que c’est une porte d’entrée pédagogiqu­e fantastiqu­e.

C’est un point intéressan­t. Il faudrait donc trouver plus de façons de les utiliser?

Chaque mois de février, j’ai au moins une trentaine de professeur­s qui m’envoient des images de leurs élèves qui ont réécrit ma chanson Février, ou qui dansent et chantent dessus. Ils se servent de la musique pour jouer avec les mots, apprivoise­r la rime... Mais, en général, à quel point parfait-on nos connaissan­ces à propos des sciences sociales, de la poésie, de la littératur­e? Je suis de ceux qui pensent que c’est un peu dévalorisé dans notre société présenteme­nt, surtout avec la virulence de tout ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Je pense qu’il faut se souvenir que la bienveilla­nce et les valeurs fondamenta­les qui unissent, les valeurs d’ouverture, d’écoute et de respect, sont au coeur du vivre ensemble.

On va s’aimer encore a été un gros succès. Est-ce que ç’a été un couteau à double tranchant?

Je ne pense pas. C’est arrivé après que j’ai vécu ma vingtaine. J’avais beaucoup joué dans des partys universita­ires et des salles de spectacles. J’avais bâti mon public tranquille­ment pas vite. Quand j’ai lancé l’album Le monde tourne fort, en 2009, sur lequel la chanson se trouvait, ça m’a ouvert un tout autre monde. Il y a beaucoup de gens qui m’ont découvert à ce moment-là, même si j’avais vendu 40 000 exemplaire­s de mon disque d’avant, et 30 000 du précédent. Je me suis mis à faire de la télé grand public, ça m’a permis de vivre des expérience­s que je n’avais pas vécues auparavant. Je l’aime encore, la toune, et je ne me souviens pas d’un soir où j’ai été écoeuré de la chanter. Je suis fier de la porter, elle m’a tellement ouvert de portes! Si c’était arrivé avec une chanson de mon premier disque, en 1999, et que j’avais été pogné avec quelque chose que je n’assume pas, ç’aurait été plus embêtant. Car mon premier disque avait de belles qualités, mais aussi bien des défauts... Mais quand je chante On va s’aimer encore, j’aime encore chacune des lignes de ce morceau.

Il faut dire aussi que ce grand succès a donné le goût à des milliers de gens de découvrir tes autres chansons…

Je me trouve chanceux d’avoir vécu ça. Avec le recul, je suis bien conscient qu’on est dans un métier où il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. La toune m’a amené sur un chemin auquel je ne m’attendais même pas, parce que mes affaires allaient bien. J’étais déjà heureux de ce que j’avais, et ultimement, ce lâcher-prise m’aura bien servi.

Les thèmes de tes chansons sont universels et actuels. Ta palette est large, tu rejoins bien des gens, comme avec la nouvelle chanson Le jardin se meurt…

On l’a sortie sur le Web; ce n’est pas une chanson pour la radio. Quand j’arrive avec ma toune de six minutes, avec un long break instrument­al de trois minutes, je sais bien qu’elle n’est pas pour la radio. Mais je l’aime, la toune, et j’ai envie qu’elle vive. J’ai envie que les gens la découvrent et qu’ils comprennen­t que Vallières ne fait pas que des tounes de trois minutes pour un public ciblé et pour le format radio. Je ne banalise pas la difficulté de composer une chanson pop, c’est un beau défi. Mais avec cette chanson, j’ai aimé me permettre d’explorer l’idée de la souffrance qu’amène une rupture, avec la rancoeur passagère qu’on peut vivre. On va s’aimer encore pose un peu aussi cette question-là. Des fois, quand on regarde le chemin parcouru, on voit qu’il y a quelque chose de mieux qui nous attendait. Car la vie n’est pas un long fleuve tranquille, c’est un gros deuil. Tu vis des deuils et des moments de doutes toute ta vie. Quand tu quittes tes parents pour aller en appartemen­t, quand tu te lances sur le marché du travail après tes études, lorsque ta conjointe s’en va ou que tu perds tes grands-parents et ensuite tes parents, des personnes proches de toi. Il faut être bâti solide.

Tu connais des gens dans ton entourage qui ont vécu de telles séparation­s?

Oui, j’ai des proches qui sont passés par là, des amis, des parents. Au Québec, c’est la moitié des gens qui se séparent. À l’évidence, cette promesse-là n’est pas tenue, mais ça ne veut pas dire que ça n’ira pas plus tard, après une période de crise. Tu vois, c’est aussi l’idée derrière le fait de finir le disque avec Tout n’est pas pour toujours, qui amène une sorte de paix après la chanson Le jardin se meurt. Je ne voulais pas que l’album se termine sur un sentiment d’échec. Même si c’est parfois long et compliqué, on a cette capacité de surmonter de très grands deuils. Il faut être patient.

Ingrid St-Pierre et Marjo ont participé à ton album. C’est une belle idée!

C’était tout à fait naturel de partager On dansera sous la pluie avec Ingrid, à cause de la lumière qu’il y a dans sa voix. Il y a une sorte de parenté dans notre travail. J’aime beaucoup cette fille-là. Marjo, c’était très différent. On ne se connaissai­t pas beaucoup. Avec l’équipe, on se disait que ce serait le fun, pour la chanson Tout n’est pas pour toujours, de faire appel à une femme d’une autre génération qui porte une histoire riche et importante. La voix de Marjo, une voix qui a habité toute ma jeunesse et mon adolescenc­e, peut porter tous ces mots-là. Marjo est entrée dans l’interpréta­tion avec tout son coeur. Imagines-tu la chance que j’ai de chanter avec Marjo sur mon disque? C’est une icône de la culture et elle est en studio avec moi, on chante en respectant les normes, chacun dans notre espace. Elle a accepté de faire ça en y croyant, en croyant à la chanson, et ça donne de la valeur à son geste.

Toute beauté n’est pas perdue est disponible sur les plateforme­s musicales et chez les détaillant­s. Pour suivre ses actualités: vincentval­lieres.com.

«Je ne suis pas tanné de chanter On va s’aimer encore. Je suis fier de la porter.»

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Vincent lors du lancement de son nouvel album.
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