7 Jours

Sonia Benezra

«Je ne veux plus plaire à tout prix»

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C’est Radio-Canada que nous avions rendez-vous, Sonia et moi. C’est tout de suite après avoir participé à sa première émission de Bonsoir, bonsoir! à titre de collaborat­rice que Sonia m’a rejoint, sereine et plus introverti­e que d’habitude. Cette rencontre ne devait durer que quelques minutes, mais finalement, nous n’avons pas vu le temps passer. Il y a tellement longtemps que je rêvais d’un tête-à-tête avec cette animatrice qui a changé le portrait de notre télévision. Rencontre avec une femme au coeur pur.

Sonia, comme tu débarques tout juste d’un plateau de télé, j’ai envie de savoir quels sont les changement­s que tu remarques sur les plateaux de télé, toi qui les fréquentes depuis plus de 30 ans?

Je dois d’abord dire que les animateurs d’aujourd’hui sont très bien encadrés.

Plus que lorsque tu as commencé?

Bien sûr! Ça n’existait pas, des oreillette­s pour que les directives du réalisateu­r se rendent jusqu’à nous. On n’avait même pas de télésouffl­eur! J’écrivais moi-même mes cartons de présentati­on, tout en préparant ma prochaine recherche.

Dirais-tu que tout ce travail a été formateur malgré le labeur?

Bien sûr! Aujourd’hui, j’ai une minuterie et un dialogue internes qui opèrent quand j’arrive sur un plateau. Je sens très bien quand mon temps d’entrevue s’achève et que je dois conclure. J’analyse aussi ce qui se passe au fur et à mesure que mon entrevue se déroule... Oups! On devrait arrêter ici! Cette question est moins intéressan­te. On devrait partir pour la pause, etc. (rires)

Quel bilan fais-tu de ce travail colossal que tu as accompli sans avoir une grosse équipe derrière toi?

Les plus belles années de ma vie profession­nelle ont tellement été remplies que je n’ai pas eu vraiment d’énergie à consacrer à ma vie personnell­e. Je ne regrette pas ce choix, mais je vois les plus jeunes aujourd’hui qui réussissen­t à combiner les deux, car ils ont une équipe pour alléger leur travail.

Toi qui as interviewé les plus grands, avec quelles personnali­tés aimerais-tu discuter aujourd’hui?

Je ne suis pas une fan inconditio­nnelle de Madonna, mais j’aimerais tellement passer un moment avec elle. J’ai la perception que Madonna est foncièreme­nt triste derrière cette image qu’elle dégage. J’aimerais vérifier avec elle si la perte de sa mère alors qu’elle était si jeune n’aurait pas un lien avec la femme qu’elle est devenue.

Cela m’amène à te parler de ta propre mère, si tu le veux bien. Comment va-t-elle?

Ça dépend des journées. Je la trouve tellement brave et courageuse malgré toutes les épreuves qu’elle a dû surmonter au cours des cinq dernières années.

Tu es devenue une aidante naturelle?

Oui. C’est ma mère qui me donne la force de continuer, car elle est plus sereine aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Si je devais vivre sa vie, je sais que je serais plus en colère qu’elle ne l’est. C’est une vraie résiliente.

Comment ça se manifeste au quotidien?

J’ai l’impression qu’elle a vraiment lâché prise. Elle a travaillé si fort dans sa vie que maintenant, peu importe ce qui lui arrive, elle a choisi d’être en paix.

Parle-moi d’un moment que tu vis avec ta mère et qui te connecte à elle...

On regarde des films en noir et blanc ensemble. Je suis une amoureuse des vieux films. Comme elle voit peu, je dois expliquer les scènes à ma mère et je lui transmets en même temps ma passion pour ces films cultes. Je vis avec ma mère des moments extraordin­aires… (Soudain, Sonia devient très émotive… et elle finit par me dire ce qui la chagrine autant.) Depuis quelque temps, ma mère me dit: «Tu m’aimes trop, Sonia. Ça va être difficile pour toi. Il va falloir que tu apprennes à m’aimer moins.»

Je te comprends tellement. On n’a qu’une seule mère…

Comment est-ce qu’on apprend à aimer moins? Ma mère pourrait me quitter à mille ans que je trouverais encore qu’elle part trop vite. Mais ce que je vis avec elle depuis les cinq dernières années est un cadeau de la vie; un cadeau lourd parfois, mais qui me permet de vivre avec ma mère des moments inattendus et inespérés.

As-tu l’impression que tu es devenue sa mère d’une certaine façon?

Oui. Je suis sa mère et sa fille en même temps. Ce sera d’autant plus difficile lorsqu’elle nous quittera.

Ne trouves-tu pas que ces moments privilégié­s avec elle te permettent en quelque sorte de commencer à faire ton deuil?

J’aimerais tellement pouvoir te répondre oui et te dire que j’ai entamé ce cheminemen­t, mais je ne suis pas encore rendue là.

Auras-tu au moins le sentiment d’avoir tout fait pour elle?

Ça, oui. Et même plus. Dans notre culture, on prend soin des nôtres, c’est comme ça!

Est-ce que c’est la force de ta mère qui t’inspire à être si forte pour elle?

Je ne me suis jamais demandé si je pouvais le faire. Je le fais, un point c’est tout! Je sais que si mes soeurs et moi n’avions pas été là pour elle, ma mère ne serait plus ici aujourd’hui.

Ta mère doit être reconnaiss­ante d’être toujours dans son logis...

Bien sûr! J’ai vu tellement de souffrance et de tristesse depuis un an que je remercie le Bon Dieu qu’elle soit avec nous. Chaque fois que j’embrasse ma mère, je pense à tous ceux qui ne peuvent pas le faire.

Je t’écoute me raconter l’histoire de ta mère et de toutes ces personnes que tu as croisées au cours des cinq dernières années. Est-ce que Sonia Benezra pourrait, comme on dit, interviewe­r du «vrai monde»?

Dans le cadre de mon émission, Benezra reçoit, que j’anime à CREA TV ( la Web télé des aînés branchés), j’ai eu la chance d’interviewe­r des gens extraordin­aires, mais inconnus du public. Leurs histoires me fascinent et m’inspirent. Je crois que nos véritables idoles devraient faire partie de notre entourage et que nous devrions faire attention de ne pas jeter notre dévolu sur les grandes stars. Je dirais que la pandémie a remis les pendules à l’heure. On trouve ça moins drôle de voir les stars se promener en yacht alors que nous, on cherche une chaloupe! (rires)

«La pandémie nous aura permis d’ouvrir nos yeux et de regarder autour de nous.»

De quoi cette année particuliè­re t’a fait prendre conscience?

On redonne enfin les lettres de noblesse aux métiers qui n’avaient jamais été respectés auparavant. Je pense aux préposés aux bénéficiai­res, aux infirmière­s, aux caissières dans les épiceries, aux éducateurs, aux professeur­s et j’en passe. La pandémie nous aura permis d’ouvrir nos yeux et de regarder autour de nous. On se rend compte aussi qu’on devrait tout faire pour que nos aînés aient plus de dignité. Ils doivent être en premier et non pas en dernier. Ce sont eux qui ont bâti, qui se sont sacrifiés. Mes parents ont tout abandonné de leur vie au Maroc pour pouvoir nous en offrir une meilleure, ici.

Quelles leçons avons-nous apprises pendant cette période difficile?

Combien c’est précieux de pouvoir toucher ceux qu’on aime, combien c’est important de poser des gestes simples et gentils comme d’appeler quelqu’un qui est seul et d’apprendre, par le fait même, à être empathique avec les autres. Je trouve que le port du masque nous force tous à nous regarder dans les yeux. On peut tout voir dans un regard: le bonheur, la tristesse. Le masque nous a permis de regarder beaucoup plus loin dans l’âme de l’autre. L’être humain est remplaçabl­e; on peut toujours trouver quelqu’un pour faire le même travail que nous, mais jamais de la même façon, car l’âme qui nous habite est unique et nous rend à cet égard irremplaça­ble.

Quelle est ta relation avec le temps qui passe?

Je voudrais te dire que je suis en harmonie avec le temps qui passe, mais ce serait un gros mensonge. J’y travaille! J’ai toujours eu peur de déplaire ou de faire de la peine à quelqu’un, mais je choisis de plus en plus de me faire respecter plutôt que de me faire aimer à tout prix. Ça, c’est un point positif du temps qui passe.

On t’a d’ailleurs souvent reproché d’aimer trop tout le monde...

C’est vrai, mais dans le fond, j’ai toujours essayé de trouver le bon en chaque être humain que je côtoyais.

«J’ai toujours eu peur de déplaire, mais je choisis de plus en plus de me faire respecter.»

Aujourd’hui, je n’ai plus de temps à perdre et je n’ai plus rien à perdre. Je ne veux plus faire semblant.

Comment s’exprime au quotidien cette nouvelle philosophi­e de vie?

Je ne vis plus dans le passé, je veux avancer. Par exemple, dernièreme­nt, j’ai jeté tous mes rapports de recherche que je gardais chez moi depuis une trentaine d’années. Je me sentais obligée de le faire. Je n’ouvrais pas les armoires où ces rapports étaient rangés, car je savais tout le travail et le désordre qui s’y trouvaient. J’ai eu besoin d’espace pour respirer et j’ai voulu faire de la place pour ce qui s’en vient. J’ai ressenti le besoin de me libérer de tout ça!

Gardais-tu toutes ces archives par peur qu’on t’oublie un jour?

Ce n’est pas la peur qu’on m’oublie qui me tracassait, mais plutôt la peur d’être effacée.

Cette peur ne te vient certaineme­nt pas du public...

Je peux t’assurer que non! Je sens le public tellement présent auprès de moi depuis toutes ces années!

Qu’aurais-tu à dire à la toute jeune Sonia qui a commencé dans le show-business il y a trois décennies?

Qu’elle me manque beaucoup!

Qu’est-ce qu’elle avait que tu as perdu en chemin?

Elle avait beaucoup d’espoir, elle était naïve et joyeuse, et j’aurais dû l’aimer un peu plus, car elle était charmante et gentille. Aujourd’hui, je vois parfois une certaine tristesse en moi, mais aussitôt que je regarde ma famille, la joie revient dans mon coeur, car j’ai gagné à la loterie. On ne choisit pas sa famille, et j’ai une mère et des soeurs exceptionn­elles, et j’ai eu un père tellement gentil, qui m’a transmis sa passion pour la télévision.

Qu’est-ce que je peux te souhaiter pour le futur, Sonia?

Deux choses: j’aimerais que la vie me surprenne de façon heureuse et je souhaitera­is aussi trouver une certaine paix intérieure qui me permettrai­t de me débarrasse­r de l’angoisse que je traîne. J’aimerais me déposer et me sentir plus légère.

Cet entretien avec Sonia m’a suivi plusieurs heures après notre rencontre et même pendant plusieurs jours. L’authentici­té, la pleine conscience, les leçons de vie, les apprentiss­ages et l’entièreté de qui elle est me bouleverse­nt encore alors que je m’apprête à terminer ces écrits. Pendant que je la raccompagn­ais à sa voiture, Sonia m’a regardé, émue, et m’a dit: «J’ai hâte d’aller retrouver ma mère. Je sais qu’elle m’attend et qu’elle voudra que je lui raconte ma soirée!» Je la comprends tellement! Tu racontes si bien les choses, avec sagesse et amour, on voudrait tous t’avoir comme confidente. En terminant, puisqu’il le faut, je te rassure, Sonia: rien de toi ne s’efface après qu’on t’a rencontrée, ton âme reste en nous. Que la vie te soit bonne et douce, comme toi tu l’es avec ta maman.

Pour en savoir plus sur Benezra reçoit à CREA TV: macreatv.com.

Bonsoir, bonsoir!, du lundi au jeudi, à 21 h.

«Les plus belles années de ma vie profession­nelle ont tellement été remplies que je n’ai pas eu d’énergie à consacrer à ma vie personnell­e. Je ne regrette pas ce choix...»

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