7 Jours

LES BIENFAITS DES VOYAGES

- PAR SAMUEL PRADIER • PHOTOS: KARINE LÉVESQUE • MAQUILLAGE-COIFFURE: FRANCE BOULANGER

Jean-Michel Dufaux a réussi à faire de sa passion du voyage un projet profession­nel. Depuis plus de 15 ans, il propose des émissions basées sur ce thème, ce qui lui permet d’assouvir sa quête de nouveaux horizons. Mais voyager, c’est aussi partir, quitter son quotidien. Nous avons voulu en savoir plus sur ce que cache cette frénésie d’allers-retours à l’étranger.

Jean-Michel, à quel moment avez-vous eu la piqûre du voyage?

Ça vient de loin. Mon père était un immigrant français, arrivé au Québec après la guerre. C’était important pour lui, lorsqu’on était jeunes, qu’on aille visiter la famille en Europe. On allait voir les cousins, les oncles et les tantes. Je me souviens particuliè­rement de l’année de mes 11 ans. Mon père avait fait venir un Westfalia par bateau et on avait fait un grand voyage d’une durée de deux mois à travers l’Europe. On avait visité plusieurs coins de France et de Suisse, où il y avait une partie de la famille. Ça m’a fasciné de voir d’autres contrées, d’autres choses que je ne voyais pas ici. J’étais notamment fasciné par les gares, où je découvrais, dans les machines distributr­ices, d’autres barres de chocolat que chez nous. Très tôt, même à l’adolescenc­e, j’ai eu le plaisir de découvrir d’autres modes de vie, le plaisir du voyage. Je dis souvent que voyager, c’est vivre plusieurs vies. Je suis de nature anxieuse et, bizarremen­t, le voyage me remet dans l’ici et maintenant. En voyage, je suis en paix, je suis dans le moment présent. Il y a quelque chose de thérapeuti­que.

Avez-vous commencé à voyager en solo très jeune?

J’avais des petits jobs étudiants, mais j’habitais encore chez ma mère, ce qui m’a permis de faire des voyages en sac à dos à 20 et 22 ans en Europe. Je suis allé en France, en Italie, en Grèce... Ce sont des moments très heureux, de très beaux souvenirs.

Quand avez-vous décidé d’en faire votre métier?

Au début des années 2000, c’était un peu plus calme sur le plan profession­nel, et j’ai commencé à conjuguer le travail et les voyages. En 2001, j’ai fait une série en DVD, avec un ami français, sur les plus beaux hôtels de cinq destinatio­ns, à savoir la Polynésie française, la Thaïlande,

Bali, New York et le Québec. Mais ça a vraiment décollé lorsque j’ai commencé à faire des chroniques voyages à l’émission Pour le plaisir. C’est petit à petit devenu mon image de commerce. Mais je dois dire que je voyage aussi beaucoup en dehors de mon travail. Aujourd’hui, je pense que je peux légitimeme­nt parler de voyages. Je connais très bien l’Europe, l’Asie — où je vais depuis plus de 25 ans — et l’Amérique du Nord. Mais je ne connais pas tout; je suis très peu allé en Amérique du Sud ou en Afrique, par exemple.

Voyager, ça veut dire partir, quitter son quotidien... Avez-vous l’impression de fuir ou d’être à la recherche de quelque chose?

Il y a un peu de tout ça, je ne dirais pas une fuite, mais c’est rassurant pour moi de voir que la vie est possible ailleurs. En 2018, je suis parti vivre un an à l’étranger. Dans un milieu comme le mien qui n’est pas toujours évident, qui vient souvent avec la peur d’être oublié, de rater des opportunit­és, c’était apaisant et rassurant de savoir que je peux recommence­r ma vie ailleurs, à partir d’une page blanche. Ça me fait du bien. Je fais aussi des choix dans ma vie. J’ai toujours possédé une voiture d’occasion, et il y a des biens matériels que je n’ai pas, parce que j’aime mettre mon argent dans le voyage. Et parfois, au lieu de rester ici à attendre une réponse pour des projets, je pars. La vie est trop courte pour que j’attende derrière un téléphone. Je pense enfin qu’il y a un rapport identitair­e. Quand on est fils d’immigrant, même si je l’ai eue facile comparé à d’autres, on n’est jamais 100 % Québécois. Même si j’ai grandi ici, je ne suis pas un «pure laine». Il y a une quête liée à mon identité propre, qui est d’aller chercher qui je suis vraiment.

Aimeriez-vous un jour partir ailleurs pour une longue période?

Quand je suis parti un an, j’avais vraiment envie de faire cette expérience. À l’âge de 23 ans, je suis allé jouer au hockey semi-pro en Europe. Comme j’avais un passeport français, je pouvais travailler là-bas et toucher un salaire. J’étais à Besançon, près des Alpes. Actuelleme­nt, ma maman vieillit et elle est en résidence, les années passent vite. Je ne me vois pas partir tout de suite, mais je ne ferme pas la porte à l’idée de partir plus longtemps quelque part ailleurs.

Quel style de voyageur êtes-vous?

Je suis quelqu’un d’urbain, j’aime le foisonneme­nt des villes. J’aime la vie en ville, la mixité sociale, la diversité... J’ai des mini-goûts de luxe, je ne suis pas très camping. En fait, je loue habituelle­ment un petit studio. Je n’ai pas besoin que ce soit très grand, mais c’est important d’être bien dans son endroit. Je travaille souvent le matin, jusqu’à midi, et ensuite, je vais m’oxygéner dans la ville. Je prends mon appareil photo et je vais découvrir un quartier, un lieu. Et je dois dire que la solitude ne me dérange pas. Ça me permet de me recentrer à mon essence. J’aime voyager seul, j’ai la solitude heureuse. À l’étranger, je suis en même temps dans ma tête et intéressé par le rapport avec autrui.

Comment gérez-vous le décalage avec vos proches et vos amis lorsque vous revenez de voyage?

On ne peut pas être partout, et choisir, c’est renoncer. J’ai la chance d’avoir les mêmes amis qu’au secondaire. En fait, je n’ai jamais été déraciné. J’ai habité la même maison jusqu’à l’âge de 23 ans. Mes parents étaient divorcés, mais ma mère a gardé la maison.

«Dans le voyage, il y a une urgence de vivre, une sorte de gourmandis­e de la vie qui fait que je veux en voir le plus possible.»

«Quand on est fils d’immigrant, même si je l’ai eue facile comparé à d’autres, on n’est jamais 100 % Québécois.»

J’avais neuf amis d’enfance, de l’école primaire et secondaire, et ce sont encore mes amis aujourd’hui. On s’est récemment retrouvés tous ensemble au restaurant. Et quand on se revoit, c’est comme si on s’était vus la veille. Bien entendu, on se rencontre moins souvent, certains sont devenus parents, les carrières, la famille, etc. Mais quand on est ensemble, c’est comme si le temps s’était arrêté. Quand les amitiés sont solides et vraies, ça ne change rien.

Vous évoquez souvent le temps qui passe vite. Est-ce que votre frénésie de voyages s’inscrit aussi dans une urgence de vivre?

Je vais avoir 57 ans en janvier, et c’est quelque chose qui me préoccupe beaucoup. Je me dis souvent que le temps passe vite et qu’il en reste de moins en moins. Mes amis ne sont même plus capables de m’entendre parler de ça. Les étapes de la vingtaine, de la trentaine et de la quarantain­e se sont bien passées. Mais, depuis que j’ai eu 50 ans, quelque chose a changé. Je me suis réveillé un matin en me disant qu’il me restait moins de temps, et qu’il fallait en profiter. En plus, dans ma tête, je n’ai pas cet âge-là. Je pense en effet que dans le voyage, il y a une urgence de vivre, une sorte de gourmandis­e de la vie qui fait que je veux en voir le plus possible, parce que je ne sais pas combien de temps je vais encore être sur terre. Il y a plein de trucs à découvrir et à voir, et plein d’endroits où j’aime retourner parce que je m’y sens bien. Je veux maximiser le temps qui me reste. Mon père est mort en 2008, et ma mère est entrée en résidence il y a six mois alors qu’elle était encore indépendan­te. J’ai l’impression que je n’ai plus le temps.

«J’aime voyager seul, j’ai la solitude heureuse.»

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