Acadie Nouvelle

La perte d’un compagnon

- Réjean Paulin Francopres­se

L’Express d’Ottawa, hebdomadai­re membre de l’Associatio­n de la presse francophon­e, disparaît des kiosques et présentoir­s. Finie la version imprimée, emportée par le courant irréversib­le de la haute technologi­e. L’Express ne traînera plus, bien en vue sur la table de la cuisine, à côté de son fauteuil favori ou sur la banquette arrière de la voiture.

On peut toujours dire que c’est normal à notre époque où internet, réseaux sociaux et tous les nouveaux gadgets rendent le papier désuet. La preuve, les éditions du lundi au vendredi de la Presse de Montréal ont aussi cédé sous le poids. Mais toute ressemblan­ce entre les deux s’arrête là.

Il y a une question qui ne se pose pas pour «le plus grand quotidien francophon­e d’Amérique» et ses lecteurs, mais qui est vitale pour les communauté­s minoritair­es d’expression française.

Il faut se demander si le sort de l’Express n’est pas annonciate­ur d’une tendance délétère qui rendra le français moins manifeste dans notre entourage.

La pression de la haute technologi­e s’ajoute aux difficulté­s financière­s que plusieurs journaux éprouvent.

À cet égard, l’enquête que vient d’annoncer le Commissair­e au langues officielle­s sur les achats de publicité fédérale à la presse communauta­ire prend tout son sens. Depuis quelques années, Ottawa en achète moins, ce qui gruge les revenus d’autant.

Tout journal a besoin de publicité pour vivre. Mais la pitance est maigre quand on ne tire qu’à quelques milliers d’exemplaire­s et que les consommate­urs sont dispersés aux quatre vents. Les grands commerces n’achètent de la pub que si elle rejoint un grand bassin d’acheteurs assez proche pour faire du lèche-vitrine.

LA PUBLICITÉ FÉDÉRALE: UNE OBLIGATION

C’est pour cette raison que la presse communauta­ire dépend tellement de la publicité du gouverneme­nt fédéral. Elle constitue une bonne part de ses revenus. Plusieurs journaux ont supprimé des pages de leurs éditions. Le journal que vous tenez entre les mains vous semble peut-être plus mince qu’il l’était il y a quatre ou cinq ans. Faute de sous, on imprime moins de pages.

Le Commissair­e aux langues officielle­s veut voir si Ottawa ne manque pas à ses devoirs quant à l’épanouisse­ment et au développem­ent des communauté­s linguistiq­ues minoritair­es en réduisant ses achats de publicité.

Cela dit, il faut voir autre chose qu’une seule source de revenu dans cette «publicité». Dans les faits, l’État ne vend pas du savon à lessive, le SUV de l’année ou autres biens de consommati­on. Il informe le citoyen sur ses services. Or, dans notre pays officielle­ment bilingue, tous, francophon­es comme anglophone­s, ont droit de savoir ce que l’État donne et demande.

Ces encadrés payant que l’on nomme « publicité » , sont en fait des blocs d’informatio­n nécessaire­s dans une démocratie qui se veut égalitaire en permettant à tout un chacun de participer à la vie publique. Et bien sûr, cette informatio­n doit être disponible. Hélas, pour plusieurs francophon­es, elle l’est moins maintenant qu’elle l’était il y a une dizaine d’années.

Souhaitons que la conclusion de l’enquête du Commissair­e aux langues officielle­s conduira le fédéral à redonner aux hebdomadai­res cette source de revenus, et aux citoyens l’informatio­n à laquelle ils ont droit dans leur langue. Accessoire­ment, cela consolider­ait la place du journal imprimé.

Il est vrai que la populaire tablette peut reproduire le contenu des journaux, mais elle n’a pas de titre sur son écran. Éteinte, elle est anonyme. On doit l’allumer pour aller chercher son journal virtuel. C’est un peu comme si on invitait de la visite.

Le journal, on le prend sur soi, il nous accompagne, on le déploie devant ses amis, (même si ce n’est pas toujours très poli), puis on en discute. C’est une présence et un animateur. Il est là, à nos côtés, avec sa personnali­té, comme un compagnon.

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- Photo: capture d’écran La version papier de L’Express d’Ottawa a cédé sa place à une version du journal entièremen­t en ligne.

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