Acadie Nouvelle

N’oubliez personne!

- RÉJEAN PAULIN Francopres­se

La parole française peut s’agiter dans le tumulte d’un centre-ville, planer dans le ciel immense des prairies, rebondir en écho dans les Rocheuses ou descendre un fleuve pour s’étouffer dans des embruns d’océan. La voix qui la porte est jeune ou âgée, celle d’un homme ou d’une femme qui retrouve les siens en fin de journée, ou qui rentre seul chez soi.

Voilà une façon d’écrire. Il est toujours plaisant d’évoquer la démesure de notre continent en parlant des Francophon­es qui l’habitent. En voici une autre, plus sérieuse. Le Canada compte environ sept millions de citoyens d’expression française, répartis en un certain nombre de tranches d’âge, qui vivent seuls, en groupe ou en famille entre trois océans, dans l’Ouest, dans les territoire­s, dans le Canada central et dans l’Est.

Les styles diffèrent, mais au fond, ils disent la même chose.

Vous me voyez peut-être venir, je me suis inspiré du recensemen­t de 2011 pour rédiger ces deux paragraphe­s avares en informatio­ns. Pourtant, j’ai pressé le citron. Le problème, c’est que le grand sondage national n’en disait pas beaucoup. On n’y comptait qu’une dizaine de questions sur l’âge, le sexe, le lieu de résidence et l’état civil. On y oubliait tout ce qui fait du citoyen ce qu’il est: son origine ethnique, son niveau d’étude, sa situation socioécono­mique et familiale etc.

C’est le maigre résultat de la simplifica­tion du questionna­ire imposée par gouverneme­nt précédent; une image qui brouille les détails. Il n’est guère possible alors de différenci­er les communauté­s les unes des autres pour concevoir programmes et politiques spécifique­s et adaptés à leurs besoins. C’était le style Harper.

Se contenter de si peu pour définir le citoyen n’est possible que dans une société où nous serions tous pareils, ce qui n’est absolument pas le cas ici.

On parle maintenant français dans ce pays avec toutes les nuances de la planète, emmenées sur ce continent par ceux et celles qui ont grandi là où la France a mis le pied. Cet éventail de cultures et d’origines orne un portrait sociocultu­rel trop complexe pour être saisi à travers une image aux contours mal définis.

À cela s’ajoutent les différence­s socioécono­miques. Les régions francophon­es au pays ne vibrent pas toutes au diapason de l’idéal d’égalité de notre démocratie. La Péninsule acadienne, par exemple, figure souvent en tête de liste au chapitre du chômage. En Ontario, on constatait dans les années 1990 que l’analphabét­isme était un problème chez les Franco-ontariens, les femmes en particulie­r. Toujours en Ontario, la communauté francophon­e devient de plus en plus pluraliste. Une discussion à ce sujet était d’ailleurs au programme d’un colloque sur le public francophon­e à l’Université d’Ottawa. Et que dire des minorités dispersées comme le sont les Fransaskoi­s?

Le questionna­ire détaillé, que les conservate­urs ont aboli, portait sur le travail, la formation et les diplômes, les revenus, le temps passé à s’occuper des enfants ou d’un proche malade, autant d’éléments ignorés, pourtant indispensa­bles pour tisser un filet social adéquat.

Il y a des régions au pays où les francophon­es ont des besoins particulie­rs liés à tous ces détails et éléments qu’un recensemen­t superficie­l ne peut révéler.

Cela va de soi que les initiative­s gouverneme­ntales destinées aux minorités doivent tenir compte de besoins précis. Pour ce faire, le portrait fidèle des communauté­s francophon­es est indispensa­ble.

Ne pas savoir s’il y a du chômage ou de l’emploi, de la richesse ou de la pauvreté empêche d’intervenir efficaceme­nt. Quant à la dimension linguistiq­ue, elle est incontourn­able.

C’est bel et bien d’épanouisse­ment et de développem­ent dont il est question ici. Or, ces deux mots sont écrits en toutes lettres dans la Loi sur les langues officielle­s.

Au style Harper succède le style Trudeau. Ils sont différents. Le défi des libéraux? Prouver avec le temps que les politiques le seront tout autant.

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- Gracieuset­é Réjean Paulin

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