RINO MORIN ROSSIGNOL: C’EST L’ÉGALITÉ OU C’EST RIEN!
Un méchant crêpage de chignons médiatique a lieu au Québec, depuis plus d’une semaine, sur le féminisme. Et c’est nulle autre que la ministre québécoise responsable de la Condition féminine, Lise Thériault, qui a parti le bal!
Pire: cela se produit au moment où on célèbre la Journée internationale de la femme! En fait, ce qui s’est passé avec l’infortunée ministre vraisemblablement non féministe, c’est que, dans une entrevue à la Presse canadienne, elle est allée dire, et je cite: «Je suis beaucoup plus égalitaire que féministe».
Il n’a suffi que de cette précision sémantique pour que s’enclenche un autre de ces débats scolastiques qui alimentent les papotages médiatiques du Québec.
Donc, féministe ou égalitaire? Faites vos jeux!
Si je peux y aller d’un grain de sel, j’avancerais que de prime abord il ne s’agit pas là d’un blasphème, ni d’un crime de lèse-féminitude. Qu’on soit féministe ou non, on est tous capables de saisir intuitivement, si ce n’est intellectuellement, que la notion de féminisme porte sur l’égalité des rapports hommes-femmes. Que ce soit dans un rapport de couple, ou dans le cadre familial, ou au boulot, comme le clame si bien le slogan «à travail égal, salaire égal».
C’est pourquoi j’ai été si déconcerté par le procès d’intention qu’on a voulu instruire sur la place publique à l’encontre de la ministre Thériault.
Comme si le simple fait de ne pas claironner haut et fort qu’on est féministe était un rejet formel du féminisme!
Ai-je raison d’y voir un effet retors de cette rectitude politique qui tente insidieusement de museler la pensée individuelle sous prétexte de javellisation de l’opinion publique?
Faut-il le redire? Si l’on n’y prend garde, la rectitude politique, sous couvert de recadrer la parole publique afin que celle-ci reflète une «pensée» officielle – reflétant elle-même et tout aussi «officiellement» l’avancement supposé d’une attitude sociale plus ouverte –, ne fera que forcer vicieusement cette parole publique à entrer dans le moule d’une idéologie contraignante dont l’aboutissement logique est la mort de la pensée individuelle.
Et sans liberté de penser, il n’y a plus de liberté tout court.
Alors, quand nous affirmons, par exemple, vouloir laisser ce qu’il y a de mieux en héritage à nos enfants et à notre jeunesse, nous devrions nous assurer que nous ne les abandonnerons pas aux diktats d’une rectitude politique qui les réduira, après notre départ, à n’être que de vulgaires «objets humains» programmables à distance.
Alors que j’écris ces derniers paragraphes, les écouteurs plantés dans les oreilles, résonnent dans ma tête les sons, les mots, les rythmes d’une toune disco archiconnue de Sister Sledge: We Are Family.
C’est une chanson si polysémique qu’on dirait qu’elle est un hymne à la solidarité féminine, un hymne à la famille, et un hymne à l’humanité! Elle a aussi été très populaire dans les milieux gays, dans les années 1980, à l’époque où les gays sortaient du placard avec autant d’empressement que les curés et les bonne soeurs en avaient mis pour sortir des couvents 20 ans auparavant.
Je souris en passant que c’est une belle journée, le 8 mars, pour écouter cette chanson en écrivant une chronique zyeutant le féminisme qui a eu un impact déterminant dans notre vie à tous et à toutes, qu’on en soit conscient ou non, qu’on se dise féministe ou non, qu’on y croit ou non, et même, pour les plus contraireux: qu’on le veuille ou non!
Personnellement, je me réjouis du féminisme. Qu’il soit égalitariste, version ministre québécoise, ou qu’il soit plus vigoureux, version lesbienne radicale. Le féminisme est plus qu’un courant de pensée: c’est un pouvoir.
Un pouvoir que les femmes ont revendiqué en en réclamant tout d’abord les signes: droit de vote, droit au divorce, droit à la contraception, droit à l’avortement, droit au travail, égalité des rapports hommes-femmes, avec tout ce que ces avancements signifient.
Maintenant, les femmes n’en sont plus simplement à la reconnaissance des «signes», mais à l’appropriation du pouvoir comme tel. Et c’est tant mieux. Le pouvoir, le vrai pouvoir, n’est pas quelque chose qu’on réclame, mais quelque chose qu’on assume «de manière immanente», pour reprendre les mots de mes meilleurs profs de philo.
Bref: le féminisme ne se résume pas à des exigences syndicales, comme certains pourraient le croire. Le féminisme transcende l’action. Il est au-delà des signes. C’est un état d’esprit. Un pouvoir, dis-je.
Tout cela peut sembler abstrait, mais en réalité c’est bien simple. C’est un principe que nous vivons tous, déjà, sans même nous en apercevoir la plupart du temps.
Dans tous nos rapports, les rapports de couple, ou en famille, ou entre amis, entre voisins, entre collègues professionnels, avec tout le monde et à tous les échelons, un pouvoir est en jeu.
Et dans toutes les manifestations possibles et imaginables de quelque sorte de pouvoir que ce soit, un élément est central: l’égalité. L’égalité avec le vis-à-vis en question.
L’égalité est une manifestation de son pouvoir. L’égalité homme-femme, l’égalité gay-straight, l’égalité linguistique, ou ethnique, ou économique, ou sociale, ou culturelle.
L’égalité n’a d’égal que l’égalité. Sorte de palindrome de la vie!
L’égalité, on peut la revendiquer collectivement, certes.
Mais avant de franchir cette étape, on doit être capable d’en assumer la responsabilité individuellement, dans son quotidien, comme si cela allait de soi, au lieu d’attendre qu’un éventuel vis- à- vis nous concède une miette de pouvoir de plus.
Ainsi, au Nouveau-Brunswick, si on se contente de revendiquer collectivement une égalité linguistique sans au préalable assumer individuellement cette réalité, on va devoir revendiquer longtemps, comme en font foi les revendications des francophones qui durent depuis deux siècles.
Et cette égalité sera illusoire aussi longtemps qu’on cherchera des excuses publiques à l’assimilation plutôt que des solutions, et aussi longtemps qu’on n’assumera pas individuellement son propre pouvoir: parler français.
L’individuel n’exclut pas le collectif: il le précède et l’alimente.
Cela vaut pour le féminisme, l’orientation sexuelle, les origines ethniques ou tous les autres domaines de la vie. Y compris la langue. C’est l’égalité, ou c’est rien! Han, Madame?