Débat et direction en Acadie
Michel Couthures Moncton
Sitôt après les déportations massives de la 2e moitié du 18e siècle, la population acadienne des maritimes s’est trouvée confrontée à des défis importants en matière d’organisation de la vie sociale, de défense de ses intérêts et de ses droits, de survie de sa langue et de sa culture.
Les réponses à ces défis ont varié au fil du temps et des époques. L’Église catholique a longtemps joué un rôle essentiel dans ce domaine. Plus tard avec l’évolution vers une société laïque, divers autres dispositifs ont été expérimentés, comme la Patente ou encore le Parti Acadien.
À notre époque, le relais devait être pris par les associations acadiennes, créées à cette fin.
Qu’en est-il aujourd’hui? Pour nous en tenir au Nouveau-Brunswick, la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, contestée et restructurée, cohabite désormais avec un ensemble d’associations chargées de représenter et défendre des intérêts sectoriels ou corporatistes, dont plusieurs revendiquent s’exprimer pour leur compte dans leur domaine. La Société Nationale de l’Acadie, qui avait à l’origine le double mandat de fédérer et défendre les intérêts de la communauté de l’Atlantique et d’assurer la représentation et la promotion de l’Acadie à l’international, a en fait délaissé la première partie de ce mandat pour se consacrer entièrement à l’international. Quant à la Fédération des communautés francophones et acadiennes à Ottawa, qui a la vocation de défendre les intérêts de l’ensemble des communautés francophones au niveau pancanadien, elle s’abstient d’intervenir à l’est du Québec afin de ne pas empiéter sur les prérogatives des associations acadiennes.
Une telle évolution était peut-être inévitable et justifiée par quantité de bonnes raisons. Elle laisse toutefois un vide béant.
Lorsque l’on aborde ces questions avec les responsables des associations, on entend souvent comme réponse: réduction des subventions, manque de moyens financiers et humains, désaffection à l’égard des associations, chute des adhésions. L’explication est certainement exacte, mais reste un peu courte.
Il semble en effet que l’intérêt pour le sujet qui nous occupe ici existe bien chez les Acadiennes et Acadiens, mais que ceuxci ne se tournent plus vers leurs associations pour y répondre. Par exemple, au cours des dernières années, plusieurs initiatives sont nées spontanément au sein de la communauté en dehors des associations qui les ont souvent rejoints par la suite, parfois avec une réticence perceptible. Sans remonter à la création des congrès mondiaux ou à la pétition pour obtenir des excuses de la Reine, on peut citer plus récemment le cas des pétitions lancées lors de la remise en cause de nos acquis dans les médias anglophones. Certes on peut contester l’opportunité de ces initiatives. Elles manifestent toutefois un désir d’exister.
En matière d’intérêt pour le débat, on peut citer aussi l’exemple à Moncton des «Déjeuners du 2e mardi» organisés depuis plusieurs années avec un beau succès. Ouverts à toutes et à tous, réunissant à chaque mois de 60 à 100 personnes, les rencontres ont pour objet d’écouter une présentation sur un sujet d’actualité, suivie d’un débat. Rien de ceci n’a nécessité subventions gouvernementales, recrutement de personnel et dispositifs lourds et coûteux, mais seulement la bonne volonté et l’implication bénévole d’un petit groupe de citoyen qui ont su prendre l’initiative.
Peut-être faudrait-il que les associations acadiennes revoient leur mandat et leur mode de fonctionnement. Les débats sur les structures, l’organisation de comités, de commissions, la convocation d’assemblées générales pour débattre entre membres, la diffusion de communiqués de presse (qui les diffuse et qui les lit?) sont peut-être nécessaires, mais à s’enfermer dans un mode de fonctionnement qui s’apparente à celui des administrations, on se coupe de plus en plus de la population. Ne faudrait-il pas revenir à l’esprit des fondateurs, reprendre le contact, organiser par exemple régulièrement des rencontres ouvertes à toutes et à tous pour débattre de sujets d’actualité, apporter l’information, expliquer les enjeux et recueillir le choix des priorités?
Il est utile de promouvoir l’Acadie à travers le monde. Mais à négliger de porter l’attention nécessaire à ce qui peut en constituer l’âme, on ne peut écarter le risque de se retrouver un jour peut-être «vendre» suivant des méthodes marketing un produit folklorique.
Si les associations ne sont pas en mesure de remplir ce rôle, alors le défi de l’Acadie pourrait être de s’inventer un nouveau moyen d’exister et de s’exprimer.
Qui aujourd’hui en Acadie anime la réflexion et le débat sur les enjeux collectifs? Qui réunit et fédère? Qui recueille le pouls de la société, informe et porte la parole sur la place publique?