Acadie Nouvelle

COUPABLE D’INCESTE, LIBRE COMME L’AIR

Un Néo-Brunswicko­is reconnu coupable d’agression sexuelle et d’inceste est aujourd’hui libre comme l’air, bien plus tôt que prévu. Tout ça parce qu’il n’a pas été jugé dans un délai raisonnabl­e.

- pascal.raiche-nogue@acadienouv­elle.com @raichenogu­e

En novembre, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a rendu sa liberté à un délinquant sexuel parce qu’il a dû poireauter plus de cinq ans devant les tribunaux avant d’être envoyé derrière les barreaux.

L’affaire remonte à 2010, lorsque John Doe (un nom fictif afin de protéger l’identité de sa victime, qui de surcroît était d’âge mineur lorsqu’elle a été agressée) a été traîné en cour pour faire face à plusieurs chefs d’accusation.

Au cours des mois qui ont suivi le dépôt des accusation­s, le dossier de John Doe s’est enlisé à grands coups de retards. Refus de l’aide juridique, démarches infructueu­ses à gauche et à droite, divulgatio­n incomplète de la part de la Couronne, ajournemen­ts à la tonne, il en a vu de toutes les couleurs.

En 2012, exaspéré d’attendre que son cas débloque et estimant qu’il n’avait pas été jugé dans un délai raisonnabl­e, John Doe a demandé l’arrêt des procédures. Deux ans s’étaient écoulés depuis le dépôt des accusation­s. Sa demande a été rejetée.

Son procès devait avoir lieu en 2013, mais a été repoussé à 2014. Ce n’est finalement qu’en février 2015 qu’il a été reconnu coupable des six chefs d’accusation qui pesaient contre lui.

En mai 2015, il a été condamné à quatre ans d’incarcérat­ion (moins les 83 jours qu’il avait passés en détention) en Cour provincial­e.

John Doe est revenu à la charge après avoir essuyé ce revers, cette fois à la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, afin d’être libéré. Il croyait toujours que son procès avait duré trop longtemps.

Le plus haut tribunal de la province a accepté de se pencher sur son dossier et John Doe a été libéré sous caution en novembre 2015 en attendant d’être fixé sur son sort.

La Cour d’appel a tranché un an plus tard, en novembre 2016, en ordonnant l’arrêt des procédures contre John Doe, à qui elle a donné raison sur toute la ligne. La Cour d’appel a publié les motifs de sa décision la semaine dernière.

On lui reprochait d’avoir fait vivre un calvaire à sa fille dans les années 1990, alors qu’elle était âgée de quelques années à peine. C’était du lourd: agression sexuelle, agression armée, voies de fait, inceste et contacts sexuels. Il a plaidé non coupable.

PLUS DE CINQ ANS, UN DÉLAI «DÉRAISONNA­BLE»

Dans sa décision de 16 pages, le plus haut tribunal du Nouveau-Brunswick explique ce qui l’a poussé à se ranger du côté d’un délinquant sexuel qui a, rappelons-le, été reconnu coupable et envoyé ronger son frein en prison.

En gros, John Doe est aujourd’hui libre parce que son procès a duré trop longtemps. Beaucoup plus longtemps que le plafond établi par la Cour suprême du Canada pas plus tard que l’été dernier.

Dans une décision connue sous le nom d’«arrêt Jordan» et rendue en juillet 2016, le plus haut tribunal du pays redéfinit les règles encadrant les délais dans les tribunaux canadiens.

Avant, c’était à la défense que revenait la responsabi­lité de convaincre les tribunaux que le droit de son client d’être jugé dans des délais raisonnabl­es était brimé.

Depuis l’arrêt Jordan, lorsqu’un procès dure plus de 18 mois (devant une cour provincial­e) ou 30 mois (devant une cour supérieure ou une cour provincial­e au terme d’une enquête préliminai­re) c’est à la Couronne que revient la tâche de démontrer que le délai n’est pas déraisonna­ble.

Cette décision a eu l’effet d’une bombe partout au pays, puisqu’elle met de la pression sur les procureurs de la Couronne et sur les autres intervenan­ts du système de justice. Ils doivent désormais boucler les procès plus rapidement qu’avant.

En Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, John Doe a argumenté que les délais qui ne lui étaient pas imputables totalisaie­nt 45 mois.

La procureure de la Couronne a pour sa part avancé que les délais desquels John Doe ne pouvait être tenu responsabl­e se chiffraien­t plutôt à 32 mois.

Dans les deux cas, cela dépassait le seuil de 30 mois établi par l’arrêt Jordan. Les juges de la Cour d’appel du N.-B. ont déterminé que l’avocate qui représenta­it la province n’avait «pas établi l’existence de circonstan­ces exceptionn­elles qui excuseraie­nt le long délai qui s’est écoulé avant que l’affaire ne soit portée à son terme.»

Précisons que la Cour d’appel du N.-B. aurait donné raison à John Doe, et ce, même si elle avait tranché avant que ne soit rendu l’arrêt Jordan.

En toute fin de décision, elle indique que le temps qu’a duré son procès n’était pas plus raisonnabl­e selon le cadre d’analyse qui était utilisé avant l’arrêt Jordan.

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 ??  ?? La criminolog­ue Marie-Andrée Pelland croit que d’autres arrêts de procédure sont à prévoir au Nouveau-Brunswick, dans la foulée de l’arrêt Jordan. Reste maintenant à savoir combien. - Acadie Nouvelle: Pascal Raiche-Nogue
La criminolog­ue Marie-Andrée Pelland croit que d’autres arrêts de procédure sont à prévoir au Nouveau-Brunswick, dans la foulée de l’arrêt Jordan. Reste maintenant à savoir combien. - Acadie Nouvelle: Pascal Raiche-Nogue
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