Acadie Nouvelle

CHRONIQUE DE CÉLESTE GODIN: LE BIP BIP BIP UNIVERSEL

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La machine qui est rattachée à un tube planté dans mon bras fait bip pour me montrer qu’elle est bien en vie. Y’a des gens qui viennent me piquer avec des aiguilles à des intervalle­s qui me semblent aléatoires. Parfois, ils me prennent du sang et parfois, ils m’injectent un anticoagul­ant, probableme­nt pour que l’autre bande puisse continuer à prendre encore du sang de mes veines. Si ces femmes n’étaient pas si gentilles, je pourrais m’imaginer que tout ceci est un véritablec­omplot.

Le docteur, suivi de son étudiant qui, lui aussi, bip de motivation, vient rapidement me dire qu’on devrait être bons pour notre rendez-vous de demain. Enfin, une date avec un docteur. Dommage que ce soit pour me

blaster des pierres dans un organe dont je ne connaissai­s pas l’existence avant d’atterrir ici. Il met une feuille de papier à côté de ma figure pour montrer à l’étudiant qu’effectivem­ent, je commence à jaunir. L’étudiant hoche de la tête avec l’enthousias­me d’un nerd qui tripe à voir un concept théorique devenir une réalité observable.

Le plus weird dans tout ça? Le monde me parle en français et ça leur semble normal. En plus, le personnel de cet hôpital est surtout bilingue, alors je n’ai même pas besoin de me gêner pour parler mon mélange de langues. J’ai même appris quelques mots de plus.

Vésicule biliaire, nom féminin. Définition: organe traître duquel je vais me séparer avec joie à la première occasion.

Ma coloc temporaire est anglophone/allophone. Les mêmes infirmière­s qui me piquent dans ma langue l’aident en anglais. Elle ne comprend pas les histoires d’une fin de semaine folle que me relatent mes amis et moi je ne comprends pas la langue des émissions de télé qu’elle regarde de son bord du rideau. Ça me semble être un équilibre linguistiq­ue parfaiteme­nt équitable.

Ce sont peut-être les médicament­s ou le fait d’être prise dans une jaquette aussi laide pour une éternité, mais je me sens philosophe et je me dis que c’est ça le vrai but de nos luttes linguistiq­ues: simplement cohabiter.

La machine ne semble pas s’en soucier, son son est universel: Bip.

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