La raison avant le coeur
Si le gouvernement croit qu’il est possible de protéger Moncton High sans que cela coûte les yeux de la tête, il doit agir en conséquence.
Plus nous possédons d’informations sur le projet de déménagement de la bibliothèque publique de Moncton dans l’ancienne école Moncton High, moins cela semble une bonne idée.
La ville de Moncton est dynamique et en forte croissance, mais elle ne se démarque pas par son côté architectural.
Moncton High est l’un des plus beaux édifices de la municipalité. Il est aussi en bien mauvais état, si bien que le gouvernement provincial a dû se résoudre le fermer. Une nouvelle école a depuis été construite dans un autre quartier.
Face à la menace de voir un édifice patrimonial et historique être démoli, le groupe MH Renaissance a vu le jour. Il propose de réaménager et de rénover l’ancien établissement scolaire au coût de 21,3 millions $ afin de notamment créer un centre des arts.
On devine que cela ne peut pas se faire sans un afflux de fonds publics. Le groupe réclame 9,3 millions $ des différents niveaux de gouvernement. Il entend aussi organiser une campagne de financement de 3,5 millions $ et contracter une hypothèque de 9 millions $ qu’il remboursera avec des revenus de location.
La clef du projet consiste à convaincre des organismes publics à louer des locaux dans l’établissement. Les promoteurs souhaitent accueillir des bureaux administratifs du gouvernement provincial et du District scolaire anglophone Est. La bibliothèque publique déménagerait au premier étage. C’est là où le bât blesse. Ce n’est pas comme si la Ville de Moncton cherchait depuis des années à déménager sa bibliothèque ou à en construire une nouvelle. Elle est bien située et convenablement aménagée. Son déplacement aurait lieu dans l’unique but de sauver l’édifice Moncton High.
Très rapidement, on a senti une résistance. La direction de la bibliothèque estime que le nouvel emplacement offrira un espace plus éloigné du centre-ville et surtout moins fonctionnel.
Le dévoilement d’une étude indépendante a donné au début du mois de nouvelles munitions aux défenseurs du statu quo.
On y apprend d’abord qu’il en coûterait environ 4,6 millions $ (plus la TVH) pour déménager la bibliothèque - plus du double des estimations du groupe MH Renaissance.
Le rapport confirme aussi les craintes à propos de l’aménagement de l’ancienne école secondaire. On y rappelle la présence de nombreuses colonnes, des cages d’escalier et des murs de pierre qui constituent un défi à l’aménagement de l’espace.
Bref, on souhaite investir des millions de dollars afin de déménager une collection de livres (et bien plus) sans que cela n’entraîne une amélioration pour la clientèle.
Nous ne pouvons que saluer les efforts des promoteurs de MH Renaissance, avec en tête l’ancien chef de l’opposition Dennis Cochrane. Les Acadiens qui se sont battus pour que Fredericton injecte des millions de dollars dans un édifice historique (l’Institut de Memramcook) dont il n’a somme toute pas besoin ne peuvent que comprendre cette volonté de sauver Moncton High pour des raisons qui sont surtout patrimoniales et qui n’ont rien à voir avec la raison.
L’ennui pour MH Renaissance, c’est qu’il n’est pas le seul à s’intéresser à la bâtisse. Dans les derniers mois, le secteur privé a exprimé un intérêt marqué.
U-Haul, par exemple, a proposé de transformer l’endroit en une sorte d’entrepôt. Une proposition sur laquelle a levé le nez le conseil municipal tant elle semblait indigne de ce lieu à l’apparence majestueuse.
Plus récemment, Terra Trust and Bird Construction ont soumis une proposition à la Ville de Moncton qui ne nécessiterait aucune injection de fonds publics. Le projet étant protégé par le sceau de la confidentialité, il nous est impossible de juger de sa pertinence. Il démontre toutefois qu’il existe d’autres options pour sauver Moncton High que de déménager une bibliothèque à grands coûts.
MH Renaissance a d’ailleurs senti le vent tourner et affirme désormais que son projet peut aller de l’avant avec ou sans la bibliothèque.
Ce changement de cap survient peut-être trop tard.
Une ville ne compte jamais suffisamment de lieux culturels, mais ce n’est pas non plus comme si la région était complètement dépourvue d’endroits de ce genre. On retrouve notamment le Théâtre Capitol, le Centre Aberdeen (situé à deux pas de Moncton High) et le Centre des arts et de la culture de Dieppe, sans oublier les salles de spectacle (le casino, le nouvel amphithéâtre, etc). Le projet de MH Renaissance serait un bel ajout à l’offre culturelle, mais ce n’est pas comme s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort.
La raison doit triompher du coeur. Si le gouvernement provincial croit qu’il est possible de protéger Moncton High sans que cela coûte les yeux de la tête aux contribuables, il a le devoir d’étudier toute proposition sérieuse en ce sens et de prendre la décision qui s’impose.
Même si cela a pour conséquence de donner le feu vert à un projet en apparence moins séduisant.