Acadie Nouvelle

La politique des juges

Le système de nomination des juges doit être modifié afin d’éliminer complèteme­nt toute apparence de favoritism­e politique.

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Le gouverneme­nt Gallant a nommé cinq nouvelles juges, en plus d’assigner Jolène Richard à la tête de la Cour provincial­e. Il atteint du même coup la parité. Un moment historique s’il en est un, mais qui rappelle une nouvelle fois à quel point la nomination des juges est politique au Nouveau-Brunswick.

Joanne Durette, Johanne-Marguerite Landry, Natalie LeBlanc, Lucie Mathurin et Kelly Ann Winchester ont toutes été nommées juges. Quant à Jolène Richard, elle devient la toute première femme à accéder à la tête de la Cour provincial­e. Elle entrera en poste le 2 juin.

Certaines de ces femmes sont bien connues dans le milieu judiciaire, d’autres un peu moins. Leur nomination a été bien accueillie. Personne n’a élevé la voix afin de critiquer leurs compétence­s.

De son côté, la juge Richard mène une brillante carrière judiciaire. Cette promotion n’est pas une grande surprise. N’empêche, dans le concert de félicitati­ons, on remarque toujours, pas très loin, l’éléphant dans la pièce.

Pas de doute, Jolène Richard est qualifiée. Mais elle est aussi l’épouse du ministre fédéral libéral Dominic LeBlanc. Elle ne craint d’ailleurs pas d’être vue avec la «famille» libérale. Un coup d’oeil sur la page web du député LeBlanc nous montre la juge enlacer avec affection Justin Trudeau.

Tout cela importerai­t peu si ce n’est du fait que Dominic LeBlanc a été le coprésiden­t de la campagne électorale de Brian Gallant, en 2014. Ils cultivent des liens d’amitié depuis longtemps.

Or, au Nouveau-Brunswick, c’est le premier ministre qui nomme les juges, tout comme c’est lui qui décide qui préside la Cour provincial­e. Malgré ses liens étroits avec le couple, Brian Gallant n’a pas jugé bon de se récuser des discussion­s du Cabinet au moment d’offrir cette importante promotion à la juge Richard.

«Juste parce que je connais quelqu’un, ça ne veut pas dire qu’il y a un conflit d’intérêts. Nous sommes une petite province. Les gens se connaissen­t», s’est défendu Brian Gallant, qui montre bien qu’à ses yeux, les conflits d’intérêts sont un concept élastique.

Il est impossible de déterminer si Jolène Richard était la meilleure personne pour le poste. Fredericto­n affirme qu’il y avait un deuxième candidat, mais refuse de dévoiler son identité, ni sur quels critères il a basé son choix.

Dans ce genre d’histoires, tout le monde marche sur des oeufs. Par exemple, le chef progressis­te-conservate­ur Blaine Higgs a préféré s’en remettre au tribunal de l’opinion publique. Sa retenue est exemplaire. Attaquer de front la nomination, c’est attaquer la crédibilit­é d’une juge qui n’a pas à voir sa carrière ralentie en fonction de l’identité de l’homme qu’elle a épousé.

Ce serait aussi attaquer la crédibilit­é du système de justice tout entier, lequel est basé sur la séparation des pouvoirs entre le politique et le judiciaire.

Même si les politicien­s ne se gênent pas pour nommer à la magistratu­re des amis ou simplement des avocats de la même couleur politique, le système judiciaire a toujours su conserver son indépendan­ce.

Jolène Richard, par exemple, a été nommée juge en 2008 par le libéral Shawn Graham et vient d’être promue par le libéral Brian Gallant. Mais nous vous mettons au défi de trouver un seul jugement qui serait teinté par une quelconque allégeance politique. Vous n’y arriverez pas. La loi et la jurisprude­nce priment.

Cela est véridique dans l’ensemble du système. Moins d’une année après sa défaite lors des élections de 2014, la ministre progressis­teconserva­trice Marie-Claude Blais a été nommée juge à la Cour du Banc de la Reine par le gouverneme­nt Harper. Difficile de ne pas y voir une faveur entre porteurs de la même couleur politique. Sauf que Mme Blais a certaineme­nt les compétence­s et le jugement pour occuper ce poste d’importance.

Elle n’est pas la seule dans cette situation. Des centaines de juges ont été nommés au cours des décennies grâce à des pressions politiques. Malgré tout, le fragile équilibre persiste. Le système judiciaire reste indépendan­t.

Néanmoins, ceci est un rappel que le système de nomination des juges doit être modifié afin d’éliminer complèteme­nt toute apparence de favoritism­e politique. Participer à des soupers de financemen­t du Parti libéral ou connaître un ministre conservate­ur ne devrait pas être une voie rapide vers la magistratu­re.

Afin de mieux protéger la séparation des pouvoirs législatif­s et judiciaire­s, le gouverneme­nt doit améliorer la façon dont il nomme les juges. Alors que Justin Trudeau a chamboulé le système de nomination des juges à la Cour suprême du Canada afin de le rendre moins partisan, nous en sommes encore, au Nouveau-Brunswick, avec un premier ministre qui nomme les personnes qu’il veut au poste qu’il désire, comme s’il s’agissait de vulgaires nomination­s politiques.

Ce n’est pas attaquer la crédibilit­é de la juge Jolène Richard ou de quiconque dans la magistratu­re que de dire qu’il est possible de rendre le système de nomination­s judiciaire­s moins partisan.

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