Acadie Nouvelle

Notre meilleur ami et notre pire ennemi

- Real Fradette real.fradette@acadienouv­elle.com

Depuis quelques années, nous assistons à un phénomène assez particulie­r: la spécialisa­tion hâtive. Quand c’est dit comme ça, ça peut paraître «ben effrayab’», mais en résumé, ça signifie que nos jeunes se concentren­t sur un seul sport.

On le voit souvent au hockey, par exemple. En plus de la saison normale qui s’étend de septembre à avril, il y a souvent à des camps de perfection­nement au printemps et en été, en plus de l’entraîneme­nt régulier hors glace.

Cette méthode quelque peu extrême a certes ses bons côtés en développan­t au maximum les habiletés d’un jeune encore en pleine croissance dans un environnem­ent de plus en plus concurrent­iel.

Mais on se rend compte, études à l’appui, que c’est une mauvaise idée.

Cette pratique volontaire a des effets pervers, à commencer par une baisse de motivation qui peut aller jusqu’à l’abandon même du sport. Pas seulement du sport pratiqué, mais du sport en général, car il fera alors toujours référence à une mauvaise expérience.

C’est comme un gâteau au chocolat: si vous en mangez un petit morceau à la fois, ça va aller. Si vous le bouffez tout d’un coup, c’est l’indigestio­n assurée. Et plus jamais vous ne voudrez en voir un devant vous. Même en peinture.

Sans oublier qu’à travailler continuell­ement les mêmes muscles à haute intensité sur une si longue période sans leur accorder le repos qu’ils ont besoin pour se régénérer, on augmente de manière dramatique les risques de blessures. Et surtout des blessures sérieuses, qui demandent des mois de réparation et qui peuvent souvent mettre fin prématurém­ent à une carrière.

À preuve, aux États-Unis, les médecins ont récemment lancé un cri d’alarme en affirmant qu’ils pratiquaie­nt de plus en plus la fameuse opération Tommy John la reconstruc­tion complète du coude chez des lanceurs âgés seulement de 10 à 14 ans. Incroyable, n’est-ce pas?

*** Mais le balancier commence son mouvement de retour. Nous entendons des voix qui privilégie­nt la multiplici­té de la pratique sportive, spécialeme­nt chez ceux et celles qui sont inscrits dans les sports d’élite.

Récemment, quatre grandes organisati­ons sportives au pays - Baseball Canada, Hockey Canada, Soccer Canada et Basketball Canada - se sont donné la main afin de collaborer à un programme de promotion multisport chez les jeunes et chez les parents. Espérons que le message trouvera écho. Remarquez que ce n’est pas un concept nouveau en soi. Il y a de nombreuses années, les jeunes le faisaient sans le savoir. L’hiver, ils jouaient au hockey. L’été, ils se transforma­ient en joueurs de baseball ou de soccer.

Au printemps, ils avaient hâte de ranger les patins, les bâtons et les rondelles dans le garage pour l’été. À l’automne, c’était au tour du gant de baseball ou le ballon à être remisés pour l’hiver.

Les jeunes étaient heureux. Et ils étaient aussi bons que les jeunes d’aujourd’hui.

Premièreme­nt, ils avaient pu utiliser un autre sport pour «décrocher» de celui qu’ils venaient de délaisser.

Deuxièmeme­nt, ils avaient pu développer de nouvelles habiletés physiques et mentales en raison de la différence des sports pratiqués (on ne pense pas de la même façon au baseball qu’au hockey). Troisièmem­ent, ils avaient travaillé de nouveaux muscles, avec comme conséquenc­e que l’ensemble du corps se trouvait ainsi renforci et que les blessures

Le sport peut être notre meilleur ami. Mais il peut être aussi notre pire ennemi. Surtout quand on est jeune.

étaient moins fréquentes.

À la place du gâteau au chocolat, ils se permettaie­nt un morceau de tarte au sucre. C’est aussi bon et ça change le goût.

*** Nos meilleurs athlètes ne se sont pas concentrés à un seul sport dans leur carrière.

Wayne Gretzky jouait à la crosse et au baseball l’été avant de porter son équipement de hockey l’hiver. Et il a toujours été le premier à dire aux jeunes de pratiquer une multitude de sports.

À un parent qui lui demandait d’expliquer à son fils l’importance de s’entraîner au hockey toute l’année, le 99 a répondu qu’il fallait plutôt le laisser libre de pratiquer d’autres sports s’il le désirait.

Oui, le sport peut être notre meilleur ami, pourvu que nous ayons du plaisir à la pratiquer. Les jeunes vont y découvrir de grandes valeurs, tels l’amitié, l’entraide, le travail, le respect et la persévéran­ce. De belles valeurs qui le suivront toute sa vie, peu importe dans quel domaine sportif ou profession­nel il va se diriger.

Mais il peut aussi devenir notre pire ennemi s’il devient une obsession malsaine ou encore une corvée. Il peut alors engendrer le repli sur soi, la déception et la colère. Ou encore pire, le burn-out, voire la dépression.

Alors, quand on voit tous ces camps de hockey de printemps ou d’été se multiplier chez nous, on ne peut faire autrement que de se questionne­r. Ce n’est pas qu’ils ne sont pas utiles, loin de là. Ce qu’on y enseigne fait assurément de leurs participan­ts de meilleurs joueurs. D’ailleurs, plusieurs organisati­ons ont compris et, en plus des séances de hockey sur la patinoire, elles ajoutent d’autres activités tels le soccer ou la balle molle à leur programmat­ion.

N’ayons pas peur de proposer d’autres sports à nos jeunes. Ne soyons pas bornés. Ils seront plus heureux, ils garderont le sport en tant qu’élément important de leur vie et ils nous en remerciero­nt un jour.

C’est comme le gâteau au chocolat. Oui, c’est bon, mais de la tarte au sucre aussi. Ou de la tarte aux pommes. Ou de la crème glacée...

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N’ayons pas peur de proposer d’autres sports à nos jeunes. Ne soyons pas bornés. Ils nous en remerciero­nt un jour. - Archives
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