Acadie Nouvelle

La langue des muscles

- Réal Fradette real.fradette@acadienouv­elle.com

Depuis qu’il existe, le sport a toujours servi des aspiration­s politiques de supériorit­é, souvent évidentes, parfois nuancées, en plus de celles qu’on lui confie habituelle­ment: la collaborat­ion, le partage, la santé, l’échange, la diversité, l’unité des peuples.

Les Grecs l’utilisaien­t pour différenci­er les classes sociales. Les Romains aussi. Plus récemment, les Soviétique­s et les pays du Bloc de l’Est ont tenté de démontrer la suprématie politique du communisme à travers ses meilleurs athlètes (et quelques méthodes peu catholique­s…). Aujourd’hui, c’est au tour des Chinois d’y voir leur salut et, à travers leurs victoires, le succès du régime.

Sans oublier les Américains, ces «sauveurs» de l’humanité sur la piste ou sur la glace!

Deux exemples. Jesse Owens a gagné le 100 mètres, le 200 mètres, le saut en longueur et le relais 4 X 100 mètres aux Jeux olympiques d’été de Berlin, en 1936. Un Américain, noir en plus, qui a cassé l’idéologie puriste de supériorit­é des Allemands et d’un certain Adolf Hitler.

Ou encore le Miracle sur glace de 1980, aux Jeux olympiques d’hiver de Lake Placid, en pleine Guerre froide, lorsque la formation des États-Unis, remplie d’inconnus, mais habilement dirigée par Herb Brooks, a surpris la grandiose équipe soviétique que l’on prétendait invincible et son gardien Vladislav Tretiak.

***** La propagande à travers les muscles, ce n’est pas nouveau. Peu importe du côté où l’on se trouve, que ce soit des «bons» que nous applaudiss­ons à tout rompre ou des «méchants» que l’on déteste à s’en confesser, le sport, cet idéal de pureté, a aidé une cause qui était pas mal moins noble.

Aujourd’hui, ces méthodes sont plus subtiles, voire invisibles chez certains pays autrefois des puissances économique­s et politiques mondiales. Pour notre plus grand bien, est-il besoin d’ajouter.

On laisse les athlètes déterminer entre eux qui sont les meilleurs. Un nom est davantage mis en évidence qu’un pays. Par exemple, Usain Bolt a fait fortune en gagnant les sprints grâce à son nom, mais il serait étonnant de savoir combien de personnes ne savent pas qu’il vient de la Jamaïque.

Oui, il y a bien encore un peu de propagande - tout le monde sait que le célèbre nageur Michael Phelps est Américain et personne n’a encore empêché un gagnant d’une médaille de se promener avec le drapeau de son pays sur le dos -, mais nous sommes mieux éduqués et informés, ce qui nous permet de détecter assez rapidement ces tentatives de certains pays de saisir la balle au bond et de les jeter aux ordures.

Se servir du sport comme argument politique, c’est maintenant dépassé.

Mais…

***** Il y a toujours quelqu’un, quelque part, qui ramène ce sujet blasant sur le tapis de l’actualité. Cette fois-ci, la «tempête» est venue de Montréal, à travers les propos d’une chroniqueu­se d’un quotidien dont la réputation de publier de l’informatio­n-spectacle n’est plus à faire.

Elle s’en est prise ouvertemen­t au slogan des Jeux de la francophon­ie canadienne,

Right fiers!, qu’elle considère comme un propos franglais tout en trouvant «absurde» que l’on choisisse un slogan bilingue afin de promouvoir un événement francophon­e.

C’est comme si on écrivait «Vive le tofu et le boeuf!» à un congrès végétarien, a-t-elle pris soin d’ajouter.

Évidemment, ces commentair­es ont été encaissés de la même façon qu’une bonne gifle au visage de l’Acadie. Il n’en fallait pas plus pour déchaîner un ouragan de réactions contre les propos de la chroniqueu­se, qui a volontaire­ment ou non cherché à faire lever la poussière sur un débat que nous avions déjà eu - rappelez-vous quand le thème a été dévoilé… - et que l’on a quasiment oublié aussi rapidement qu’il est venu.

Oui, les Jeux de la francophon­ie canadienne auraient pu choisir une expression exclusivem­ent française. Nous avons tapé sur leurs doigts, non sans raison. Mais son choix - une expression que les jeunes de la région utilisent au quotidien - se défend, il faut l’admettre. En plus, cette controvers­e a amené une attention médiatique non négligeabl­e. Car avouons-le, ces Jeux, qui sont mineurs, auraient normalemen­t passé sous le radar sans ce petit «scandale».

***** Alors, tant qu’à s’exposer à la critique, allons-y donc à fond: on pourrait également ajouter ce brouhaha linguistiq­uo-sportif des Jeux de la Francophon­ie, qui se déroulent actuelleme­nt à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Car selon les rapports que nous avons, y parler en français semble le moindre des soucis des participan­ts.

Ajoutons-en une beurrée de plus: pourquoi des athlètes anglophone­s du NouveauBru­nswick font-ils partie d’un événement internatio­nal supposémen­t francophon­e? Qu’est-ce qui justifie que la coureuse Shelley Doucet ou la lutteuse Samantha Stewart puissent fouler la piste ou l’arène d’une compétitio­n que l’on dit réservée aux pays et aux athlètes francophon­es?

Évidemment, vous aurez compris l’absurdité de telles allégation­s. Pourquoi? Parce que le sport n’a pas de langue.

À Moncton-Dieppe, les Jeux ont célébré la vivacité des communauté­s francophon­es à travers le pays. À Abidjan, ces Jeux démontrent l’étendue toujours grandissan­te de la francophon­ie et de la francophil­ie internatio­nale.

Quand les athlètes se préparent à la ligne de départ de la finale du 100 mètres à Moncton-Dieppe ou à Abidjan, ils n’en ont que faire de savoir que leurs adversaire­s parlent l’anglais, le roumain ou même le mandarin à la maison. Tout ce qu’ils veulent, c’est démarrer en lion, accélérer comme le guépard, courir comme une gazelle et franchir la ligne d’arrivée à la vitesse de l’éclair avant les autres.

Quelqu’un, qui vit loin des milieux minoritair­es francophon­es, veut utiliser ces Jeux pour en faire une controvers­e sur l’identité linguistiq­ue? C’est son droit. C’est son opinion. C’est son problème aussi. Car elle n’a fait que tirer un tout petit caillou dans l’immense baie des Chaleurs.

Parce que sur la piste, on est tellement loin de tout ça. Les muscles n’ont pas de langue.

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Quand les athlètes se préparent à la ligne de départ de la finale du 100 mètres, ils n’en ont que faire de savoir que leurs adversaire­s parlent l’anglais, le roumain ou même le mandarin à la maison. - Archives
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