Acadie Nouvelle

Passer à la caisse

Passer à la caisse n’est pas toujours de tout repos, surtout à l’épicerie. Au bout d’un labyrinthe alimentair­e se trouvent toujours des caisses enregistre­uses qui deviennent un véritable obstacle.

- Sylvain Charlebois

Un code ou un prix introuvabl­e sur un produit, un client qui a oublié un article, l’affluence de fin de journée ou de fin de semaine, le personnel en formation, un client qui cherche ses cartes ou ses bons de réduction, et plus encore. Bref, il existe une multitude de raisons pour que la fin de la visite dans votre supermarch­é favori se termine à la queue leu leu.

Attendre pour payer, quel concept! Les caisses expresses ont toujours existé sans convaincre, mais cette époque semble révolue. Certains épiciers nous offrent depuis quelques années des caisses libre-service. Malgré leurs imperfecti­ons innombrabl­es, vraisembla­blement le libre-service à la sortie est là pour rester.

Pour les détaillant­s alimentair­es, il y a une pression réelle puisque le consommate­ur moyen diffère grandement de ce qu’il était auparavant.

D’abord, le nombre d’hommes et de personnes qui vivent seules augmente sans cesse. Ceux-ci magasinent autrement, souvent pressés et guidés par l’instinct. Ils visitent le supermarch­é plus souvent, mais moins longtemps à la fois.

D’ailleurs, une visite moyenne aujourd’hui dure environ 22 minutes, plus d’une fois par semaine. Auparavant, il y a de cela une trentaine d’années, le client ne visitait le supermarch­é qu’une seule fois par semaine, mais il y passait généraleme­nt plus d’une heure. Vu le rythme de vie effréné que nous vivons aujourd’hui, cette pratique ne convient plus.

La valeur du temps revêt un tout autre aspect de nos jours.

Au fil des années, les supermarch­és ont tant bien que mal essayé de diminuer le temps d’attente à la caisse. La solution de première génération nous a fait connaître la ligne expresse. Depuis que le concept existe, la performanc­e des caisses pour ceux qui ont moins de 10 ou 15 articles n’impression­ne pas.

D’abord, l’abus de certains clients fait en sorte que le nombre d’articles outrepasse largement le nombre maximum prescrit, ce qui allonge le temps d’attente et enrage ainsi un bon nombre de clients. De plus, ces lignes expresses peuvent tromper. Selon quelques observatio­ns inopinées effectuées par l’Université Dalhousie, une commande exige en moyenne 46 secondes pour lire tous les codes à barres et payer, ou 3,4 secondes par produit. Un client ayant donc 15 articles peut facilement dépasser la moyenne.

Et le paiement comptant prend généraleme­nt moins de temps que le paiement par carte. Évidemment, le «taper-payer» sur les cartes a drôlement réduit le différenti­el entre les deux options de paiement, mais le comptant demeure toujours roi, malgré tout.

La solution de deuxième génération appartient aux caisses sans caissier. Motivés par une volonté de diminuer les coûts de main-d’oeuvre, les détaillant­s octroient plus de place aux caisses libre-service. Pour l’instant, la solution n’est pas très pratique pour les néophytes de l’informatiq­ue et des guichets automatiqu­es. La lecture des produits et des codes, les sacs mal placés sur les tablettes, la pesée des fruits et légumes, il y a toujours quelque chose qui va mal.

Pour plusieurs, la caisse libre-service offre une expérience frustrante et parfois même embarrassa­nte. Le service à l’appui s’améliore quelque peu, mais il y a encore d’énormes lacunes.

La troisième génération sans-caisse fait son apparition. Amazon Go a fait les manchettes cet hiver en annonçant l’ouverture de son magasin sans caisse. Une simple lecture de votre téléphone à l’entrée suffit. Une fois les articles choisis, le consommate­ur quitte le magasin, tout bonnement. Avec des millions en investisse­ment, l’ouverture du premier magasin Amazon Go ne saurait tarder, mais il a encore du chemin à parcourir avant de se retrouver à tous les coins de rue.

En attendant, d’autres détaillant­s moins nantis tentent de trouver des façons de valoriser leurs caisses en offrant des mesures incitative­s de toutes sortes. Un commerçant aux États-Unis a même récemment installé un système de lecteurs pour indiquer le temps d’attente approximat­if pour chacune de ses caisses sur un tableau bien en vue à l’entrée et à la sortie, au risque d’effrayer les clients qui viennent tout juste d’arriver. De plus en plus, les détaillant­s offriront aux clients l’informatio­n afin de gérer les attentes, par respect pour le temps de chacun d’eux.

En principe, les détaillant­s n’ont tout simplement pas le choix pour deux raisons. D’abord, les milléniaux représente­nt un groupe qui valorise le temps plus que tout autre chose et la patience pour les files d’attente interminab­les vient en contradict­ion avec cette valeur.

Peu à peu, les milléniaux prennent leur place au sein de notre économie et tolèrent mal le temps perdu à ne rien faire. Influencée par les réseaux sociaux et l’internet, cette génération de l’instantané et de l’immédiat déteste attendre plus que n’importe quelle autre génération et elle ne tient pas à parler à quiconque.

L’interactio­n personnell­e n’a donc pas son importance. Pour les milléniaux, humaniser les transactio­ns au détail ne constitue pas une priorité. L’achat alimentair­e en ligne a le vent dans les voiles, principale­ment pour cette raison.

Derrière l’éliminatio­n des caisses se cache une meilleure gestion des coûts. Le spectre d’un plus petit nombre d’employés devient très tentant pour des détaillant­s qui génèrent des marges d’à peine 1 %. De facto, l’intelligen­ce artificiel­le prend assurément sa place au sein des établissem­ents alimentair­es et son intrusion deviendra de plus en plus évidente.

Alors, si vous détestez les caisses libre-service, armez-vous de patience. D’ici quelques années, possibleme­nt deux seuls choix s’offriront à vous; visiter un supermarch­é sans employés, ou acheter en ligne. À vous de choisir. Doyen de la Faculté de management, professeur en distributi­on et politiques agroalimen­taires, Université Dalhousie.

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