Acadie Nouvelle

Les chats d’Hemingway

L’ouragan Irma a semé la mort et laissé dans son sillon des paysages apocalypti­ques. Mais rassurez-vous: les 54 chats d’Ernest Hemingway, qui occupent le jardin de l’ancienne demeure de l’écrivain à Key West, sont sains et saufs. Ouf!

- morinrossi­gnol@gmail.com

J’ai aperçu cette actu féline parmi un fatras d’articles et d’images décrivant les horreurs causées par la méchante Irma. Des articles où s’épanchent nombre de spécialist­es en tout genre, expliquant ad nauseam qu’il s’agit d’un ouragan de catégorie 5 sur l’échelle de SaffirSimp­son, un monsieur qui, de toute évidence, possédait une très grande échelle.

Naturellem­ent, avec cette précieuse informatio­n en main, des milliers d’internaute­s ont eux aussi pu jouer aux experts toute la semaine, nous expliquant entre autres, à coups d’émoticônes, que ces ouragans sont la preuve irréfutabl­e de la réalité des changement­s climatique­s, en profitant, du coup, pour dénoncer le bonhomme Trump qui semble croire que cette histoire de changement­s climatique­s est un leurre apparemmen­t inventé par les Chinois.

Sans vouloir faire un Trump de moimême, je dois avouer que je n’en ai personnell­ement aucune idée. Y a-t-il des liens entre les changement­s climatique­s et les ouragans? J’ai lu qu’il y avait un rapport de cause à effet, et j’ai lu aussi qu’il n’y avait aucun lien entre les deux.

Idem pour le réchauffem­ent de la planète. Paraît qu’il fait de plus en plus chaud et que c’est pour ça qu’on gèle de plus en plus l’hiver. C’tu vrai?

N’ayant ni le temps ni l’envie d’entreprend­re un doctorat en climatolog­ie, je suis bien obligé de me fier aux scientifiq­ues. Bref: je suis obligé de «croire» ce qu’ils me disent.

Oui, la science a beau être basée sur la connaissan­ce empirique, exaltant les vertus du «savoir», ce qu’elle demande aux ignorants scientifiq­ues comme moi, c’est de «croire».

Exactement comme autrefois quand il fallait croire les curés sur parole!

La mode étant actuelleme­nt plus portée vers la science que vers la religion, il est de bon ton de faire semblant de «savoir» pour ne pas donner l’impression d’être parmi les ringards qui disent «croire».

D’où les millions de statuts postés sur les médias sociaux par des internaute­s qui pensent démontrer qu’ils «connaissen­t» ça, eux, les changement­s climatique­s, bien que la très grande majorité d’entre eux seraient probableme­nt incapables d’expliquer la différence entre l’atmosphère et la stratosphè­re.

Pourraient-ils même expliquer pourquoi le ciel est bleu? (Il est bleu à cause de la boucane de cigarettes, pardieu!)

Bon, avant d’aller plus loin, je précise tout de suite qu’entre les affirmatio­ns des scientifiq­ues et les élucubrati­ons du bonhomme Trump, j’opte pour le bon sens.

Mais je tenais quand même à ululer que je suis exaspéré de voir que tant de gens répètent des vérités scientifiq­ues comme s’ils les avaient eux-mêmes découverte­s, alors qu’ils ne font que faire acte de foi en répétant ce qu’ils ont lu, vu ou entendu ailleurs.

Il ne faut donc pas s’étonner que tant d’internaute­s postent des canulars, croyant bien faire sans doute, mais démontrant urbi et

orbi, qu’ils sont aussi crédules que le bonhomme Trump qu’ils aiment bien ridiculise­r!

La vilaine Irma n’ayant pas eu le cran de se rendre jusqu’à mon pré carré, je me sens un peu coupable aujourd’hui d’en profiter pour vous envoyer cette épître, assis sur la terrasse, clignant des yeux dans la lumière ardente d’un soleil des Caraïbes.

J’ai vu à la télé les effets de la furie d’Irma sur Saint-Martin et Saint-Barth, deux îles où j’ai vécu de beaux moments hauts en couleur turquoise.

En fait, précision: oui, j’ai vu des images dont on me dit qu’elles sont les résultats du déchaîneme­nt diabolique d’Irma. Mais je n’en ai pas fait l’expérience personnell­ement. Donc, je dois «croire» les images que j’ai vues.

Je suis arrivé à un carrefour: croire ou savoir. Dernièreme­nt, cette interrogat­ion me hante comme un vieux fantôme en peine d’amour.

Et tout ça me ramène à la fin des années 1960, en Belles-lettres, au collège SaintLouis, à Edmundston. Le prof de religion nous expliquait que lorsqu’on commet un péché, c’est toute l’Église qui en souffre, et que cela touchait même les Chinois. L’effet papillon, sauce catho, quoi! Ce à quoi j’avais rétorqué qu’encore fallaitil savoir si la Chine existe vraiment ou non, et que puisque je ne l’avais jamais vue de mes yeux, je ne pouvais pas «savoir» qu’elle existe, mais seulement le «croire».

Gros brouhaha de mes confrères de classe qui, pendant la pause du cours, partent en virant dans les corridors, se gaussant du fait que j’avais prétendu que la Chine n’existe pas.

Le cours reprend et voilà que se présente en classe le père McCluskey, impression­nant prof de philo des grands, interrompa­nt le prof. «Quelqu’un a mis en doute l’existence de la Chine?», qu’il demande. Les étudiants rient et pointent le coupable.

Et lui, d’expliquer que j’ai bien raison de questionne­r l’existence de quelque chose dont je n’ai pas fait l’expérience personnell­e, et de nous faire la démonstrat­ion que la plupart de nos connaissan­ces sont en réalité des choses dont on n’a pas fait l’expérience et que nous croyons vraies.

C’est Thomas d’Aquin qui devait jubiler au paradis!

Tout ça pour dire que même quand la nature se déchaîne, et que nous en voyons les effets, nous pouvons toujours croire autre chose! Comme le bonhomme Trump.

Tout ça pour dire aussi que la plupart des gens préfèrent croire ce que croient les autres, convaincus que les croyances des autres relèvent de la connaissan­ce – donc: plus nombreux on est à croire quelque chose, plus scientifiq­ue la chose devient –, alors qu’il peut très bien ne s’agir que de croyance. Qui a dit que la foi était morte? Ce qui me ramène aux chats d’Hemingway. Je ne les ai jamais vus. Pourtant, ils existent, on me l’a dit, et je le crois.

Pourquoi est-ce si difficile de faire la même chose lorsqu’il s’agit de Dieu?

Han, Madame?

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La famille de chats d’Ernest Hemingway a survécu à Irma. − Twitter: Albert Thrower
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